Les « nématiques actifs » forment une sous-classe importante de la matière active qui a suscité de nombreux travaux théoriques à la suite de quelques expériences marquantes [2]. Dans ces systèmes, des particules actives –auto-propulsées ou déplacées par d’autres– de forme allongée, s’alignent localement pour former un ordre nématique semblable à celui des cristaux liquides. L’activité leur procure des propriétés remarquables, comme des défauts topologiques intrinsèquement mobiles, dont on a pu récemment montrer qu’ils pouvaient avoir un rôle fondamental dans un système de cellules souches neurales en développement [3].
Jusqu’à présent, le lien entre expériences et modèles était essentiellement qualitatif, les résultats théoriques étant obtenus sur la base de modèles très généraux dont les nombreux paramètres ne sont pas directement reliés aux quantités contrôlables et mesurables expérimentalement. Mais les équipes de Hepeng Zhang et Hugues Chaté ont mis au point un nématique actif fait de bactéries allongées en mouvement sur lequel ils ont réussi à mesurer à la fois l’ordre nématique local et la vitesse des cellules. Ces données, et notamment une étude fine de la structure et de la dynamique chaotique des défauts topologiques, ont été exploitées pour prouver qu’un nouveau type de modèle peut leur être fidèle jusque dans les moindres détails. La variation des paramètres expérimentaux, par leur traduction en une variation des paramètres du modèle, révèle dès lors une mine d’informations précieuses sur le système.
Un modèle particulaire d’un type nouveau, particulièrement bien adapté aux suspensions actives a permis ces résultats. C’est une version du célèbre modèle de Vicsek couplé à un fluide de Stokes (régime à très bas nombre de Reynolds adapté aux micro nageurs tels que les bactéries), très efficace numériquement car il permet de traiter facilement des millions de particules. De plus il est propice au développement contrôle de théories continues hydrodynamiques.
Les lignes continues sont les données expérimentales, les lignes pointillées sont issues du modèle.
L’étude publiée dans PNAS montre que, pour chaque expérience, le modèle possède un optimum optimorum de matching quasi-parfait avec les données expérimentales, jusque dans les moindres détails de la structure des défauts topologiques.
La méthode développée est versatile et devrait pouvoir être appliquée sur de nombreux systèmes de matière active, vivante ou artificielle.
Références :
[1] Data-driven quantitative modeling of bacterial active nematics »
H. Li, X.-q. Shi, M. Huang, X. Chen, M. Xiao, C. Liu, H. Chaté, and H.P. Zhang, PNAS décembre 2018, DOI : 10.1073/pnas.1812570116.
[2] « Orientational order of motile defects in active nematics »
S. J. De Camp, G. S. Redner, A. Baskaran, M. F. Hagan, and Z. Dogic, Nature Materials 14 (2015) 1110.
[3] « Topological defects control collective dynamics in neural progenitor cell cultures »
K. Kawaguchi, R. Kageyama, and M. Sano, Nature 545 (2017) 327.
Contact CEA-IRAMIS : Hugues Chaté (SPEC/SPHYNX)
Collaboration :
- H. Li, M. Huang, X. Chen, M. Xiao, H.P. Zhang, Institute of Natural Sciences, Shanghai Jiao Tong University, Shanghai 200240, China
- M. Xiao, C. Liu, Institute of Synthetic Biology, Shenzhen Institutes of Advanced Technology, Chinese Academy of Sciences, Shenzhen, China