Pour relever le défi de l’accès à une énergie propre et durable il faut mener des efforts de recherche technologique mais aussi poser – ou réexaminer – des questions fondamentales sur la conversion d'énergie, toujours accompagnée de dissipation et d’une production d’entropie. A l’échelle atomique, les fluctuations quantiques pourraient causer un phénomène de friction – et donc de dissipation – lors de la collision de deux atomes neutres. C’est ce que viennent de montrer deux chercheurs de l’IRAMIS/SPEC et de l’IRFU/SAP dans un article publié dans Physical Review Letters. Leurs travaux théoriques pourraient s’avérer déterminants quant à la compréhension du concept d’irréversibilité en physique.
Il est établi depuis longtemps que l’interaction quantique entre des atomes et le vide électromagnétique est à l'origine de l'attraction de van der Waals entre les atomes et les molécules, ainsi que des forces macroscopiques dite « de dispersion » ou « de Casimir ». L’intuition que les fluctuations du champ électromagnétique du vide pouvaient avoir des effets macroscopique est due à Hendrik Casimir qui démontra théoriquement l’existence d’une force attractive entre deux miroirs plans parallèles placés dans le vide. Une façon simple de décrire son origine est d’assimiler les deux miroirs à une cavité. Entre les miroirs, seules les fluctuations du vide quantique associées aux fréquences de résonance de la cavité sont autorisées. La suppression des autres modes, fait que la pression de radiation exercée à l’extérieur de la cavité par les fluctuations du vide est supérieure à celle qui s'exerce entre les miroirs. Une force nette attractive s'exerce ainsi et les deux miroirs se rapprochent !
Les fluctuations quantiques permettent aussi de comprendre l’attraction entre molécules neutres et apolaires. En effet, les fluctuations du vide induisent un moment dipolaire dans une molécule. Le moment dipolaire fluctuant d'une molécule interagit avec les moments dipolaires induits des molécules voisines : de l’ensemble de ces interactions résulte une force s'exerçant entre molécules dite « force de dispersion de London ». Celle-ci est, en général, la composante la plus importante des forces microscopiques, que le physicien néerlandais Van der Waals avait découvertes empiriquement au XIXème siècle. Dans les 30 dernières années, des effets de friction sur (ou avec) le vide quantique ont aussi été prédits pour des atomes, ou encore des objets proches en translation relative ou encore des objets en rotation.
Dans un article paru dans l'édition de Physical Review Letters du 28 août 2015, deux chercheurs d'IRAMIS/SPEC et d'IRFU/SAP s'intéressent à la collision de deux atomes neutres identiques. Au cours d'une telle collision, l'énergie totale du système formé par les deux atomes est en principe conservée. Cependant, l'effet des fluctuations quantiques sur ces collisions atomiques n'avaient pour l'instant été envisagé que pour des mouvements relatifs rectilignes des atomes. Le travail théorique présenté ici étudie plus précisément la déviation de la trajectoire, lorsque les atomes sont attirés par la force de London, à laquelle s'oppose la force centrifuge.
Il est montré que les fluctuations du champ électromagnétique du vide induisent un effet de freinage notable sur les deux atomes en rotation l'un autour de l'autre, proportionnel à la vitesse de rotation Ω. La force de freinage est beaucoup plus petite que la force d'attraction de London, ce qui explique qu'elle ait pu passer jusqu'à présent inaperçue. Une partie de l'énergie cinétique des atomes est alors perdue sous forme d'énergie électromagnétique, qui, dans ce modèle simple, est rayonnée à la fréquence Ω. Cependant, la connaissance de ce rayonnement demande un traitement quantique complet des atomes et du champ, ce qui reste un objectif.
Ce phénomène pourrait jouer un rôle crucial et général dans l'irréversibilité constatée de tous les systèmes macroscopiques, et sa compréhension fine serait un atout pour une meilleure compréhension de l'énergétique des collisions atomiques et moléculaires et des phénomènes thermodynamiques qui en résultent. Enfin, du point de vue expérimental, plusieurs questions restent ouvertes : Le freinage autorise la formation d'un dimère, paire d'atomes faiblement liés, alors que la conservation de l'énergie l'interdit, ce qui peut être un moyen de le mettre en évidence expérimentalement. L'effet du freinage peut-il être mesuré ? L'énergie perdue sous forme de rayonnement électromagnétique peut-elle être détectée et analysée ? Toutes ces questions orientent maintenant la réflexion sur ce travail.
Référence :
Vacuum friction on a rotating pair of atoms,
Hervé Bercegol et Roland Lehoucq, Phys. Rev. Lett. 115, 090402 (2015).
Contacts CEA :
- Hervé Bercegol , CEA/DSM/IRAMIS, Service de Physique de l’État Condensé (SPEC), CNRS UMR 3680
- Roland Lehoucq, CEA/DSM/IRFU, Service d’Astrophysique (SAP), CNRS UMR 7158
Collaboration :
- IRAMIS/SPEC groupe SPHYNX
- IRFU/SAP – LCEG