Depuis une quinzaine d’années, les physiciens se demandent s’il existe des aspects universels dans les phénomènes de mouvements collectifs observés dans la nature (nuées d’étourneaux, colonies de bactéries, troupeaux …). Ces phénomènes peuvent être décrits dans le cadre d’un nouveau type de matière condensée: la matière active polaire. Celle-ci est définie par ses constituants qui sont des particules macroscopiques qui dissipent l’énergie qu’on leur injecte et qui se déplacent selon une orientation propre.
Plusieurs modèles théoriques ont mis en évidence l’existence d’une transition de phase dynamique vers un ordre polaire dans le cas d’agents ponctuels à deux dimensions. Cependant les règles d’interactions dans ces modèles sont bien spécifiques. L’ordre polaire n’existe que pour une règle d’alignement ferromagnétique : dès que deux particules autopropulsées interagissent, leurs vitesses s’alignent. Qu’en est-il de la robustesse de ces modélisations vis-à-vis d’une situation expérimentale où les interactions sont à priori plus complexes ?
Nous avons réalisé un système bidimensionnel de disques asymétriques, autopropulsés par vibration, qui interagissent uniquement par contact. Ces disques se comportent comme des marcheurs aléatoires, dont les trajectoires présentent une longueur de persistance grande devant leur taille. Plus l’amplitude de vibration est grande, plus courte est la longueur de persistance. Les modes d’alignement résultant du couplage entre la persistance du mouvement et l’interaction de coeur dur entre les particules sont complexes. En particulier, nous avons observé que seules 10% des collisions se traduisent par un alignement effectif de type ferromagnétique.
Nous observons dans ce système une transition vers une phase de mouvements collectifs, lorsque l’amplitude de la vibration décroît, c’est-à-dire lorsque la longueur de persistance des marcheurs individuels augmente. Par ailleurs l’existence de la phase ordonnée polaire est confirmée par l’observation des fluctuations géantes de densité qui la caractérisent.
Il s’agit véritablement de la première mise en évidence expérimentale de la transition de phase prévue dans les modèles de matière active polaire.
Ces travaux ont fait l’objet d’une publication Physical Review Letters 105 (2010) 098001, ainsi que la couverture de cette revue.