J. Scheibert, C. Guerra, F. Célarié, D. Dalmas and D. Bonamy
Du point de vue de leur comportement à la rupture, les matériaux sont traditionnellement regroupés en trois grandes classes :
- (i) les matériaux ductiles qui, comme les métaux, se déforment de manière plastique avant leur rupture
- (ii) les matériaux quasi-fragiles, tels que les roches ou les bétons, où la fracture débute par un endommagement sous forme de microfissures, dont la coalescence amène à la rupture brutale.
- (iii) les matériaux fragiles, verres polymériques ou verres d'oxyde…, qui se déforment de manière parfaitement élastique avant la fracture, qui se produit par rupture successives des liaisons atomiques en pointe de fissure.
Les expériences réalisées à l'IRAMIS-SPCSI montrent qu'un même matériau peut, en fonction de la vitesse de fissuration, appartenir à deux de ces catégories : il est observé que le Plexiglas®, archétype des matériaux fragiles, s'endommage au delà d'une vitesse limite bien définie, par nucléation de microfissures, comme les matériaux quasi-fragiles.
La propagation de fissures est le mécanisme responsable de la rupture brutale des matériaux fragiles (ex : rupture d'un verre). Pour expliquer le phénomène, l'enjeu consiste à trouver la relation entre la « force » s'appliquant à ouvrir une fissure et la vitesse à laquelle son front se déplace. Cette relation fait nécessairement intervenir une quantité, appelée énergie de fracture, qui est l'énergie dépensée pour que la surface de fracture augmente d'une unité. Dans les matériaux fragiles, cette énergie de fracture reste constante au cours de la propagation de la fissure. On prédit alors que la vitesse limite de fissuration devrait être la vitesse de Rayleigh (vitesse d'une onde acoustique le long d'une surface). Or un grand nombre d'expériences montrent que ceci n'est pas vérifié. L'explication du phénomène reste un débat très actuel en mécanique de la rupture.
Pour comprendre l'origine de ce désaccord, un dispositif expérimental a été développé au SPCSI en collaboration avec l'UMR CNRS/Saint-Gobain pour étudier les mécanismes de rupture dans un matériau fragile modèle – le Plexiglas® – sur une large gamme de vitesse. Pour les faibles vitesses de fissuration, l'énergie de fracture reste effectivement constante : le matériau est fragile. A un seuil de vitesse bien défini (165 m/s), l'énergie triple brusquement. Simultanément les surfaces de fracture s'ornent de marques coniques. Au delà de ce seuil, l'énergie de fracture augmente avec la vitesse de fissuration ainsi que le nombre de marques. L'énergie diverge lorsque la vitesse approche une valeur correspondant à la moitié de la vitesse de Rayleigh, qui ne peut donc être atteinte.
Les marques coniques observées, sont aussi visibles sur un grand nombre de matériaux. Elles sont généralement interprétées comme la signature de la formation de micro-fissures en avant du front principal, qui s'élargissent sous forme de disque avec le temps, et lorsqu'elles coalescent avec le front de fissure principal, laissent ces marques si caractéristiques sur les surfaces. Au delà du seuil de 165 m/s, la rupture du Plexiglas® s'accompagne donc d'endommagement, comme un matériau quasi-fragile. Un modèle simple permet alors de relier la variation d'énergie de fracture à la vitesse, et ainsi d'expliquer la vitesse limite atteinte dans la rupture du Plexiglas®.
Un certain nombre d'arguments suggèrent que la transition dynamique entre un comportement « fragile » et un comportement « quasi-fragile », observée sur le Plexiglas, pourrait être générique et s'appliquer à une large gamme de matériaux. C'est l'enjeu de nouvelles expériences que de vérifier cette conjecture.
Référence :
Brittle-quasibrittle transition in dynamic fracture: an energetic signature J. Scheibert, C. Guerra, F. Célarié, D. Dalmas, and D. Bonamy Phys. Rev. Lett. 104 (2010) 045501 |
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Physical Review Focus |
Contact : Daniel Bonamy (CEA-IRAMIS/SPCSI) et Davy Dalmas (UMR CNRS-St Gobain).