Les progrès en nano-électronique quantique permettent d'observer dans un conducteur les interférences entre électrons, comme le font des photons en optique, ou encore de mesurer leur bruit quantique (ou bruit Schottky, l’analogue pour des électrons du bruit de photon , lié à la nature discrète des particules).
Pour compléter cette optique quantique électronique, il manquait une source d’électrons à la demande, simple et fiable. La difficulté résidait dans le fait que, contrairement aux photons qui se meuvent dans le vide, un conducteur contient déjà des charges qui ne demandent qu’à s’agiter lors de l’injection d’un électron.
Suivant une proposition datant de presque vingt ans de L. Levitov, théoricien au MIT, les chercheurs du SPEC ont réussi à injecter un nombre entier d’électron dans le conducteur sans le perturber en appliquant des impulsions de tension de forme Lorentzienne. Celles-ci génèrent une excitation fondamentale présentant une parenté avec les solitons, qu’ils ont appelé « Léviton ». Cette première, à paraître dans la revue Nature, ouvre des perspectives en physique quantique dépassant le champ de la nano-électronique : en effet, des Lévitons atomiques pourraient être pareillement réalisés avec des atomes froids (gaz de fermions).
Le contrôle de l’état initial d’un système quantique est un point clé pour réaliser des opérations en information quantique. Bien maîtrisé avec des systèmes de petit nombre de degré de libertés (atomes, photons, boîtes quantiques, etc…), il est plus difficile pour une assemblée de fermions comme des atomes froids ou un conducteur électrique, car toute perturbation temporelle nécessaire pour créer l’état initial souhaité affecte l’ensemble du système. Ainsi l’injection soudaine d’un électron dans un conducteur crée des excitations indésirables : des paires électron-trous. C’est ce qui est observé lorsqu'un électron localisé dans une boîte quantique ou un îlot métallique est soudainement émis vers un conducteur.
Pourtant une approche simple a été suggérée : appliquer une impulsion de courant sur un contact de telle façon que la charge injectée soit multiple de celle de l’électron. Mais pas n’importe quel impulsion : seule une forme temporelle Lorentzienne est capable d'éviter les excitations de paires électrons-trous indésirables. Suivant cette approche, les chercheurs du SPEC ont utilisé un conducteur appelé « Contact Ponctuel Quantique » (CPQ) et appliqué des impulsions de quelques dizaines de ps sur un contact adjacent et mesuré le bruit en courant mesuré. Les électrons injectés et les éventuels trous créés sont diffusés de façon probabiliste par le conducteur quantique, et le niveau de bruit est une mesure du nombre total d’excitations mises en jeux. Seules les impulsions Lorentziennes, générant des électrons sous forme de Lévitons, donnent une absence de bruit.
Cette mise en évidence du Léviton demandait de maîtriser les mesures du bruit quantique dans des conducteurs pour lesquelles le groupe Nanoélectronique a été pionnier. Grâce à un fort soutien Européen avec l’attribution fin 2008 du financement ERC Advanced Grant MeQuaNo (pour Mesocopic Quantum Noise), ce projet a pu disposer d’une plateforme de mesure performante combinant génération de pulses sub-nanosecondes, ultra-basse température et sensibilité en bruit de quelques femto ampères.
Outre leur intérêt en physique quantique, le principe sous-jacent à la génération de Lévitons (injection d'une charge entière dans un conducteur par une impulsion de forme lorentzienne adaptée) repose sur une propriété remarquable de modulation des ondes qui pourrait avoir des applications dans le monde classique, comme pour la génération d’ondelettes.
Références :
– Electron counting statistics and coherent states of electric current,
L. S. Levitov, H. Lee, and G. Lesovik, J. Math. Phys. 37, 4845 (1996)
– Minimal-excitation states for electron quantum optics using Levitons,
J. Dubois, T. Jullien, F. Portier, P. Roche, A. Cavanna, Y. Jin, W. Wegscheider, P. Roulleau, and D. C. Glattli, Nature 502 (2013) 659.
– Communiqué de presse CEA. (sur le site du CNRS).
– Article de Hamish Johnston, éditeur de PhysicsWorld.com. |
Contact CEA : D. Christian Glattli, IRAMIS/Service de Physique de l’Etat Condensé
Ce travail a été effectué dans le cadre du contrat ERC » Advanced Grant 2008″ porté par D.C. Glattli : MeQuaNo (Mesoscopic quantum noise: from few electron statistics to shot noise based photon detection). |