L’électronique, à la base de l’informatique et donc du traitement de l’information, est fortement consommatrice d’énergie. La dissipation d’énergie est essentiellement liée aux effets résistifs et au transport des charges. Chaque électron possède également un moment cinétique de spin qui s’oriente « up » et « down » selon la direction du magnétisme local. Portée par ce spin, l’information peut alors être traitée par un simple retournement local de son orientation et sans transport de charges, ce qui peut permettre de réduire drastiquement la consommation électrique du dispositif.
Mais comment réaliser la nécessaire conversion d’une information portée par les spins en un courant ou une polarisation électrique ?
L’équipe LNO du SPEC, en collaboration avec une équipe du DQMP de l’Université de Genève, montre par une analyse de symétrie que la conversion d’une polarisation de spin en courant de charge à l’interface LaAlO3/SrTiO3 est dominée par le couplage avec des électrons présentant une fonction d’onde porteuse d’un moment cinétique orbital (fonction d’onde hélicoïdale), plutôt qu’avec le spin de ces électrons.
Ce résultat ouvre la voie à une plus large utilisation du moment angulaire orbital pur pour le stockage et le traitement de l’information.
Un des enjeux de la spintronique est d’identifier les moyens de transformer les courants électroniques, consommateurs de puissance électrique, en courants d’aimantation manipulables sans transport de charges, puis de reconvertir, après son traitement par des portes logiques, l’information contenue dans le magnétisme en mouvement de charges. L’interconversion spin/courant de charge est donc un phénomène essentiel de ces technologies.
Pour ce faire, les mécanismes connus reposent sur le couplage entre les spins et les charges en mouvement, désigné sous le nom générique « d’interaction spin-orbite ». Jusqu’à présent, le mécanisme le plus fiable est l’effet « Hall de spin » pour lequel le passage d’un courant induit une séparation des électrons selon leur état de spin dans la direction perpendiculaire au courant. Cet effet est principalement observé dans les composés comportant des éléments métalliques lourds comme le Pt ou le W. Un autre type d’interaction couplant spin et « orbite » (effet Rashba-Edelstein) résulte de l’action du champ magnétique vu par les électrons en mouvement (effet relativiste), car subissant le champ électrique intrinsèque aux interfaces entre deux matériaux. Ce champ magnétique effectif perpendiculaire à la trajectoire des électrons fixe la direction d’alignement possible de leur spin (voir figure). Cet effet est aussi désigné sous le nom de « spin galvanique ».
Pour observer cet effet, le meilleur système à ce jour s’avère être l’assemblée d’électrons libres 2D, créée par la discontinuité polaire à l’interface entre deux isolants LaAlO3 et SrTiO3. On observe alors une texture chirale en spin dans la structure de bandes électroniques des interfaces (Fig. 1). Toutefois, la faiblesse du couplage spin-orbite dans ces matériaux est incompatible avec l’amplitude des variations résistives sous champ magnétique mesurées dans des échantillons de type LaAlO3/SrTiO3.
En fait, des prédictions théoriques récentes ont émis l’hypothèse que les effets initialement associés au spin pourraient en fait être les conséquences indirectes d’un effet dominant orbitalaire, c’est-à-dire directement lié à la chiralité de fonctions d’onde électroniques hélicoïdales, et donc porteuses d’un moment cinétique orbital. Afin de mettre en évidence l’importance de ces effets, il a été nécessaire de trouver une méthode permettant de discriminer les « textures » d’orbitales et de spins des bandes électroniques associées aux états d’interface.
Les prédictions théoriques réalisées au laboratoire montrent que l’interface LaAlO3/SrTiO3 présente des structures de bandes dont les composantes de moment angulaire de spin et orbitalaire présentent des symétries très différentes pour la mesure de V(θ) (figure 2a) : la première montre une forte symétrie marquée d’ordre quatre, alors que la seconde reste pratiquement isotrope.
Expérimentalement, il a alors été choisi de mesurer la tension électrique résultant de la conversion de l’injection au niveau de l’interface d’un moment angulaire (figure 2b) sur les électrons de l’interface Rashba, en courant de charge via l’effet Edelstein inverse. L’injection est réalisée par l’apport d’une polarisation en spin issue d’une couche ferromagnétique adjacente, via une technique appelée « Effet Seebeck de spin ». Un petit champ magnétique tournant (θ) et orienté selon le plan du gaz d’électrons permet alors de faire tourner dans le plan de l’échantillon la direction du moment angulaire tout en mesurant la dépendance V(θ) de la tension résultante.
Les résultats mettent en évidence que les contributions liées au spin et au moment orbital participent de manière presque égale mais de façon opposée. En prenant en compte les conditions de l’injection et en considérant la faible efficacité, liée au matériau magnétique utilisé, de la production d’un moment angulaire qui soit principalement orbitalaire, ces mesures montrent en fait que la composante orbitalaire est environ 10 fois plus efficace que celle du spin pour la conversion en charge. Expérience et théorie s’accordent ici pour montrer toute l’importance des effets orbitalaires (associée à une fonction d’onde hélicoïdale des électrons) dans le couplage Rashba-Edelstein inverse de cette interface.
Ces résultats ouvrent la porte à une utilisation plus large des effets purs du moment angulaire orbital et confirment le potentiel du degré de liberté orbitalaire pour le stockage et le traitement de l’information.
Contacts CEA : Jean-Yves Chauleau et Michel Viret (SPEC/LNO)
Référence :
Observation of the inverse Orbital Rashba-Edelstein effect,
Anas El Hamdi, Jean-Yves Chauleau, Margherita Boselli, Clémentine Thibault, Cosimo Gorini, Alexander Smogunov, Cyrille Barreteau, Stefano Gariglio, Jean Marc Triscone and Michel Viret, Nature Physics 19(12) (2023) 1855.
Collaboration :
- Anas El Hamdi, Jean-Yves Chauleau, Cosimo Gorini, Alexander Smogunov, Cyrille Barreteau & Michel Viret, SPEC/LNO et GMT, CEA, CNRS, Université Paris-Saclay, CEA Saclay, Gif sur Yvette, France
- Margherita Boselli, Clémentine Thibault, Stefano Gariglio & Jean-Marc Triscone, DQMP, University of Geneva, Switzerland.