Malgré leur potentiel technologique en métrologie dans le traitement quantique de l’information…, il reste difficile de fabriquer une « bonne » source de photons uniques, alliant à la fois une forte brillance (grand débit de photons délivrés) et qualité (probabilité nulle de trouver simultanément plus d’un photon dans un mode donné). Cette difficulté provient de la nature grégaire des photons qui obéissent à la statistique de Bose-Einstein et ont donc plutôt tendance à être émis par paquets. Ainsi, les photons uniques sont généralement obtenus par l’excitation sélective et pulsée d’une transition électronique d’un système isolé (atome, boîte quantique, « atome artificiel » supraconducteur, etc…), qui relaxe ensuite par émission spontanée d’un unique photon.
Dans une expérience récente [1] menée par les chercheurs du SPEC à Saclay en collaboration avec une équipe théorique de l'IQST d'Ulm en Allemagne, c’est une tout autre stratégie qui est proposée, basée sur un circuit composé d'une jonction Josephson [*] et d'un résonateur microonde de haute impédance placé en série (voir figure 1 a). Une tension continue VDC polarise l'ensemble. La jonction est un élément non-dissipatif et le circuit ne peut être traversé par un courant continu que si le travail fournit par le générateur lors du passage de chaque paire d'électrons, égal à 2eVDC, peut être dissipé dans le résonateur microonde.
Une première condition, énergétique, est d'accorder la tension appliquée afin que 2eVDC = hνr, où νr est la fréquence de résonance du résonateur microonde (νr = 1⁄2π(LC)1/2). La seconde est d'obtenir un fort couplage de la jonction avec le résonateur. Ces deux conditions étant remplies, le passage d'une paire dans la jonction entraine l'excitation d'un quantum hνr du résonateur (excitation électromagnétique), qui se dissipe par l'émission d'un photon dans un guide microonde. Le couplage électrodynamique entre la jonction Josephson et le résonateur est paramétré par le rapport r = πZc/RK, entre l’impédance caractéristique du résonateur Zc = (L/C)1/2 et le quantum de résistance supraconducteur RK ~ h/(4e2) = 6.41 kΩ. Il est ensuite remarquable que pour une valeur de r exactement égale à 2 (Zc = 4.1kΩ), le résonateur ne peut accepter un deuxième quantum d'excitation hνr, la probabilité de transition vers l'état à deux photons étant nul. Il faut donc attendre que le premier photon soit émis dans la ligne de mesure, avant de pouvoir recharger le résonateur. Les photons sont ainsi émis au niveau du résonateur un par un.
Atteindre un tel régime de couplage fort est un défi technique. La difficulté vient du fait que l’échelle naturelle de l’impédance caractéristique d’un mode électromagnétique est de l'ordre de l’impédance électromagnétique du vide (μ0⁄ε0)1/2 ~ 377 Ω. Pour dépasser cette limitation, il a fallu développer des résonateurs reposant sur une inductance spirale micro-fabriquée « on-chip » (voir figure 2), et une impédance de 2 kΩ a pu être atteinte, valeur suffisamment élevée pour que les photons émis soient fortement dégroupés : dans l’expérience, pour un taux d’émission de 6 x 107 photons/s, la probabilité de détecter simultanément deux photons en sortie du résonateur réduite d'un facteur 3 (dégroupage partiel), par rapport à une source classique (laser) ayant le même flux de photons. Le mécanisme mis en évidence doit permettre d'atteindre un dégroupage parfait en ajustant les paramètres du circuit. Pour ceci, on peut, par exemple, réaliser le même type de circuit sur une membrane de SiN de façon à réduire encore sa capacité C (et augmenter encore l'impédance).
Les performances du dispositif peuvent aussi être exploitées pour créer des paires uniques de photons intriqués, ou même pour stabiliser un état quantique avec exactement un photon dans le résonateur. Au-delà de la génération de ces états non classiques de la lumière, le régime de couplage fort (entre la jonction et le résonateur) qui a pu être atteint présente un grand intérêt pour la simulation quantique avec des circuits électriques : en couplant de tels résonateurs avec un conducteur quantique normal, on émule les propriétés de transport de système de fermions en interactions.
[*] Une jonction Josephson est constituée de deux électrodes supraconductrices séparées par une mince barrière isolante permettant le passage par effet tunnel des électrons appariés (ou « paires de Cooper »).
Référence :
[1] Antibunched photons emitted by a dc-biased Josephson junction
C. Rolland, A. Peugeot, S. Dambach, M. Westig, B. Kubala, Y. Mukharsky, C. Altimiras, H. le Sueur, P. Joyez, D. Vion, P. Roche, D. Esteve, J. Ankerhold and F. Portier, Phys. Rev. Lett. 122, 186804, 2019.
Voir aussi : « Conducteur quantique en couplage fort avec son environnement : bruit en courant et relations fluctuations dissipation«
Collaboration :
- IRAMIS/SPEC, UMR 3680 CEA-CNRS, Université Paris-Saclay, 91190 Gif sur Yvette, France
- Institute for Complex Quantum Systems and IQST-Integrated Quantum Science and Technology, University of Ulm, 89069 Ulm, Germany
Contact CEA : Fabien Portier et Carles Altimiras (SPEC/GNE).