Assembler des molécules aimants sur des nanotubes de carbone : une première que vient de réaliser une équipe de l’Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d’Orsay (CNRS/Université Paris 11) en collaboration avec l’Institut Lavoisier de Versailles (CNRS/Université de Versailles Saint-Quentin), le laboratoire de Chimie Physique (CNRS/Université Paris 11), le laboratoire d’Electronique Moléculaire (de l’IRAMIS/SPEC au CEA-Saclay) et l’Institut Néel de Grenoble (CNRS/Université Joseph Fourier). Ces nouveaux objets intéressent les physiciens, car ils permettent de stocker de façon indépendante dans chaque molécule de très petite taille (~ 2nm) une information binaire (état on ou off), mais aussi les chimistes car ce système permet d’observer une accélération exceptionnelle du transfert électronique entre les électrodes et les polyoxométallates(*) laissant présager de nouvelles propriétés catalytiques. Ces résultats ont fait l’objet d’un article dans l’édition du journal Angewandte Chemie du 2 juin.
Les nanoaimants moléculaires (ou molécule-aimants) sont des complexes de la chimie de coordination qui présentent une bistabilité (effet mémoire), c’est-à-dire changent de propriétés magnétiques sous l’effet d’une perturbation extérieure (passage d’un état magnétique à un autre : état on / off). A l’heure actuelle, cette bistabilité a été mise en évidence à l’échelle des cristaux moléculaires contenant un très grand nombre de molécules. Une fois les molécules isolées les unes des autres, elles peuvent perdre cette propriété. Un des défis dans ce domaine est donc de conserver cet effet mémoire à l’échelle de molécules individuelles isolées, dans le but de réaliser des dispositifs modèles pour le stockage de l’information binaire à l’échelle de la molécule unique.
Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à assembler une molécule aimant, le Fe6-Polyoxométallate, sur un nanotube de carbone, sans qu’elle soit chimiquement modifiée comme le montre l’étude électrochimique. Les molécules sont alors isolées les unes des autres et les mesures magnétiques réalisées à l’aide d’un micro-squid (**) montrent qu’elles conservent leur propriété de bistabilité. De plus, la présence de nanotubes de carbone autour des molécules pourrait faciliter leur adressage (manipulation du moment magnétique de chacune des molécules pour les faire passer d’un état magnétique à l’autre) grâce à l’interaction entre les propriétés électroniques des nanotubes (semi-conducteur) et les propriétés magnétiques des molécules. Ainsi, on pourrait imaginer un dispositif permettant la lecture et la manipulation des moments magnétiques pour effectuer des opérations quantiques.
Dans un tout autre domaine, des études électrochimiques ont montré que le greffage de cette molécule sur le nanotube de carbone s’accompagnait d’une accélération considérable du transfert électronique entre les électrodes et les polyoxométallates. Raison invoquée : la grande stabilité du système hybride nanotube/polyoxométallate et la présence du nanotube de carbone renforçant l’interaction entre l’électrode et la molécule, augmentant ainsi les transferts d’électrons entre les deux. Ce comportement ouvre des perspectives très encouragentes, notamment en électrocatalyse, pour de nouvelles propriétés catalytiques… Affaire à suivre !
(*) Les polyoxométallates (POM) sont composés principalement de métaux (molybdène et tungstène) et d’oxygène.
(**) Un micro-SQUID (de l’anglais Superconducting Quantum Interference Device) est un magnétomètre de grande sensibilité utilisé pour mesurer des champs magnétiques très faibles dans des objets de très petites tailles.
Référence :
Magnetic Bistability of Individual Single-Molecule Magnets Grafted on SWNTs
A. Giusti, G. Charron, S. Mazerat, J.D. Compain, P. Mialane, A. Dolbecq, E. Rivière, W. Wernsdorfer, R.N. Biboum, B. Keita, L. Nadjo, A. Filoramo, J.-P. Bourgoin, T. Mallah,
Angew. Chem. Int. Ed., 48(27) (2009) 4949.