Des capteurs magnétiques secoués mais moins bruyants

Des capteurs magnétiques secoués mais moins bruyants

Des capteurs magnétiques basés sur le déplacement d’un cœur de vortex dans une jonction tunnel magnétique sont actuellement proposés pour obtenir des réponses linéaires en champ sur une large gamme (typiquement quelques dizaines de mT) tout en gardant une très bonne sensibilité pour diverses applications, (automobiles, biomédical). Cependant, ces capteurs présentent un bruit magnétique basse fréquence très important qui limite leur performance de détection. Dans ce travail, ce bruit a été caractérisé et étudié en fonction de la dynamique du vortex et cela a permis de déterminer des solutions pour le réduire. L’utilisation d’une excitation AC dans ces capteurs en appliquant un champ magnétique, un courant DC ou radiofréquence (RF), induit une dynamique du cœur de vortex qui l’empêche de se bloquer dans des états métastables, source principale du bruit magnétique. « Secouer » ainsi le cœur de vortex permet d’obtenir une réduction significative du bruit basse fréquence.

Les nano-oscillateurs à transfert de spin (STNO) sont des dispositifs spintroniques, composés d’une jonction tunnel magnétique, et basés sur l'excitation de modes de précession dont les fréquences vont de moins de 100 MHz à des dizaines de GHz [1]. Une jonction tunnel magnétique est une structure composée schématiquement de deux couches ferromagnétiques séparées par un film mince isolant que les électrons polarisés en spin peuvent traverser par effet tunnel. Une des couches magnétiques, la couche de référence, possèdent une aimantation fixe tandis que l’aimantation de l’autre couche, dite libre, suit le champ magnétique à détecter et induit une variation de la résistance de la structure. Les STNO possèdent une configuration particulière pour laquelle l’aimantation de la couche libre est distribuée en vortex dans son état d’équilibre (figure 1).

La précession du cœur de vortex induite par le couple de transfert de spin dans les STNO constitue un système modèle pertinent pour étudier la dynamique de l'aimantation correspondante. En outre, ce sont des candidats prometteurs pour être intégrés dans des dispositifs utilisés pour des applications futures hautes fréquences, comme la génération [2] et la détection [3] de radiofréquences ou l'informatique bio-inspirée [4]. L’utilisation des STNO à base de vortex dans des capteurs de champ magnétique à magnétorésistance tunnel (TMR), largement répandus dans les domaines de l’automobile ou du biomédical, est une voie encore peu explorée mais qui présenterait cependant des avantages. En effet ces dispositifs à base de vortex offrent d’une part une grande plage linéaire pour la détection du champ magnétique [5] et ils possèdent d’autre part une taille de l'ordre de 100 nm qui permet d'obtenir une détection du champ magnétique à une échelle locale.

Figure 1 : (a) Structure magnétique de type vortex : l’aimantation est chirale dans le plan et sort hors du plan au centre dans le cœur de vortex. (b) Nano-oscillateurs à transfert de spin (STNO) dans lequel la couche libre est dans l’état vortex.

L'une des principales limitations des capteurs magnétiques, notamment ceux basés sur les vortex, est leur bruit en 1/f intrinsèque, qui peut réduire la capacité de détection du dispositif à basse fréquence. Dans ce travail le bruit à basse fréquence des STNO à base de vortex a été étudié, en comparant le niveau de bruit mesuré dans les différents états magnétiques possibles. Le paramètre de Hooge [6] – utilisé pour caractériser et comparer les propriétés du bruit des capteurs et mesuré dans les états uniformes, est du même ordre de grandeur que ceux mesurés dans les capteurs TMR de l’état de l’art avec le même produit Résistance x Aire (RA), α = 10-11 – 10-10 µm2. Dans l'état vortex, le niveau de bruit mesuré est environ un ordre de grandeur plus élevé que dans l'état parallèle (P) des aimantations aimantation de la couche libre et de la couche de référence (et antiparallèle (AP)) (figure 2), en raison de la forte probabilité de piégeage du centre du vortex sur les défauts du matériau et/ou aux inhomogénéités des propriétés magnétiques de la couche libre.

Figure 2 : Bruit représenté par le paramètre de Hooge (a) et résistance (b) du STNO lorsqu’un champ magnétique est appliqué sur le STNO dans le plan. La configuration de la TMR est un état saturé parallèle à champ négatif et une configuration antiparallèle à champ positif en passant par l’état vortex autour de champ nul.

Ensuite l'influence de la dynamique des vortex dans les valeurs de bruit basse fréquence mesurées a été étudiée (figure 3 et 4). Pour une densité de courant supérieure à un seuil critique, les couples de transfert de spin conduisent à la compensation totale de l'amortissement intrinsèque de la couche libre, ce qui entraîne un mouvement de précession du cœur du vortex (mouvement gyrotropique) autour de sa position d'équilibre [7]. Cette dynamique auto-entretenue empêche le vortex de se bloquer dans les états métastables et réduit ainsi fortement le bruit basse fréquence d’origine magnétique.

Figure 3 : Evolution du paramètre de Hooge avec le courant DC appliqué dans le STNO. L’encart montre l’amplitude (Power Spectral Density) de l’émission RF due à la dynamique du vortex. La ligne rouge en pointillés représente le paramètre de Hooge dans l’état AP du STNO.

Figure 4 : Paramètre de Hooge en fonction de la fréquence d’un courant RF appliqué dans le STNO (a) et en appliquant un champ extérieur RF (b). La ligne rouge représente la valeur du paramètre de Hooge en l’absence de champ et la ligne verte en pointillé le bruit dans l’état P du STNO. Ces mesures montrent la réduction forte du bruit grâce à l’utilisation d’un courant RF ou bien d’un champ extérieur RF pour induire des oscillations auto-entretenues du vortex.

Références :

[1] S. Kiselev et al., Nature Vol. 425, 380 (2003)

[2] S. Wittrock et al., Phys. Rev. B Vol. 99, 235135 (2019)

[3] A. S. Jenkins et al., Nat. Nanotech., Vol. 11, 360 (2016)

[4] M. Romera et al., Nature Vol. 563, 230–234 (2018); J. Torrejon et al., Nature, Vol. 547, 428-431 (2017)

[5] D. Suess et al., Nature Electronics volume 1, pages 362–370 (2018)

[6] F. Hooge and A. Hoppenbrouwers, Physica 45, 386-392 (1969)

[7] A. Dussaux et al., Nat. Comm., Vol. 1, 8 (2010)


Références du travail :

M. Jotta Garcia, J. Moulin, S. Wittrock, S. Tsunegi, K. Yakushiji, A. Fukushima, H. Kubota, S. Yuasa, U. Ebels, M. Pannetier-Lecoeur, C. Fermon, R. Lebrun, P. Bortolotti, A. Solignac, and V. Cros, “Spin–torque dynamics for noise reduction in vortex-based sensors”, Appl. Phys. Lett. 118, 122401 (2021)

Brevet déposé : SYSTEME ET PROCEDE DE SUPPRESSION DU BRUIT MAGNETIQUE BASSE FREQUENCE DE CAPTEURS MAGNETO-RESISTIFS, A. Solignac, M. Jotta Garcia, J. Moulin, S. Wittrock, V. Cros, P. Bortoloti, C. Fermon, M. Pannetier-Lecoeur

Contacts CEA : Aurélie Solignac, SPEC/LNO

Collaborations :

  • Service de Physique de l’Etat Condensé (SPEC), UMR 3680 CEA-CNRS, Université Paris-Saclay
  • Unité Mixte de Physique, CNRS, Thales, Université Paris-Saclay, 91767 Palaiseau, France
  • National Institute of Advanced Industrial Science and Technology, Research Center for Emerging Computing Technologies, Tsukuba, Ibaraki 305-8568, Japan
  • Univ. Grenoble Alpes, CEA/IRIG, CNRS, GINP, SPINTEC, 38054 Grenoble, France