Emission de photons intriqués par effet tunnel inélastique

Emission de photons intriqués par effet tunnel inélastique

Les photons intriqués jouent un rôle fondamental pour la compréhension et la vérification expérimentale des aspects les plus spectaculaires de la physique quantique, notamment dans les expériences de violation des inégalités de Bell. En outre, ils constituent des ressources potentielles pour des protocoles de télécommunication et de transmission de l’informatique quantique. Nous avons récemment montré qu’une jonction Josephson polarisée en tension offre une source particulièrement simple et brillante de paires de photons intriqués.

Une jonction Josephson (jonction tunnel entre deux supraconducteurs) est un dispositif non dissipatif, tant que le passage de quasi-particules normales est impossible et que seules des paires de Cooper peuvent la traverser. Par conséquent, une jonction Josephson polarisée par une tension continue ne sera traversée par un courant continu que si la puissance fournie par le circuit de polarisation peut être absorbée par des excitations extérieures, par exemple des modes électromagnétiques. On obtient alors un courant inélastique de paires de Cooper, associé à l’émission de photons dans l’environnement. Notre expérience, schématisée par la figure 1, fonctionne sur ce principe : une jonction Josephson couplée à deux résonateurs micro-onde de fréquences ν1, ν2 est polarisée à une tension V=h(ν12)/2e, choisie telle que l’énergie fournie par le circuit de polarisation lors du passage tunnel d’une paire de Cooper au travers de la jonction corresponde à la somme de l’énergie d’un photon dans chacun des résonateurs. Nous avions montré en 2011 dans une configuration analogue qu’un courant continu circule au travers de la jonction, associé à l’émission de photons dans les résonateurs, puis vers deux lignes d’un circuit de détection [1]. Plus récemment, nous avons démontré que ces photons sont bien émis par paires, ce qui implique que le rayonnement sur les deux lignes est non classique. Ces résultats ont été récemment publiés dans Physical Review Letters [2]. Toutefois, ce caractère non classique ne donne aucun renseignement sur l’intrication potentielle des signaux se propageant sur les deux lignes. Avec l’aide de nos collègues de l’université Paris Diderot et de l’université de Chalmers en Suède, nous avons identifié la nature de l’intrication produite: le rayonnement émis correspond à la superposition cohérente de toutes les combinaisons de fréquence qui respectent la conservation de l’énergie.
Fig.1 – Jonction Josephson couplée à deux résonateurs.

Ce résultat nous a permis de déduire que les fluctuations thermiques résiduelles de la tension de polarisation limitent l’intrication. Nous avons ensuite identifié et mesuré un témoin d’intrication, qui établit que les photons émis par les résonateurs sont intriqués si leur temps de sortie est plus rapide que le temps de décohérence associé aux fluctuations thermiques de la tension de polarisation. Comme souvent, on prouve l’intrication en comparant une fonction de corrélation du système à sa valeur limite pour des états non intriqués. Comme le montre la courbe 2, l’expérience confirme que le corrélateur montrant l’intrication (en bleu) passe au-dessus de la limite classique (en rouge), démontrant l’intrication des champs émis.

L’intérêt de notre méthode, outre sa simplicité, est qu’elle est directement transposable à d’autres domaines de fréquence allant jusqu’au THz. Par la suite, nous envisageons d’augmenter le temps de cohérence des deux signaux en utilisant une source de tension Josephson étalon, bien plus stable. Nos collègues du Collège de France travaillent à l’heure actuelle à cette stratégie, que nous envisageons d’implémenter à Saclay prochainement.

Fig. 2 – Témoin d’intrication : la courbe bleue montre la mesure d’un corrélateur de population, dont la décroissance est donnée par temps de vie des photons dans les résonateurs et la courbe rouge montre les corrélations quantiques de la phase des champs rayonnés. On peut montrer que le fait que la courbe rouge soit au-dessus de la bleue est une preuve de leur intrication.

Références

[1] M. Hofheinz, F. Portier, Q. Baudouin, P. Joyez, D. Vion, P. Bertet, P. Roche, et D. Esteve, Bright Side of the Coulomb Blockade, Physical Review Letters 106, 217005 (2011)

[2] M. Westig, B. Kubala, O. Parlavecchio, Y. Mukharsky, C. Altimiras, P. Joyez, D. Vion, P. Roche, D. Esteve, M. Hofheinz, M. Trif, P. Simon, J. Ankerhold, et F. Portier, Emission of Nonclassical Radiation by Inelastic Cooper Pair Tunneling, Physical Review Letters 119, 137001 (2017)

Collaboration

Contact CEA : Fabien Portier, Groupe Nanoélectronique, DRF/IRAMIS/SPEC