Manuscrit de la thèse Résumé : La notion d’onde plane est omniprésente dans la physique de l’état cristallin. Que l’on pense au théorème de Bloch, lequel assure que les fonctions d’onde électroniques ont la périodicité du réseau (à une phase près); ou bien que l’on pense aux degrés de liberté atomiques appelés « phonons », on retrouve toujours la notion d’onde plane. Il est assez intuitif que cette notion va faciliter énormément la compréhension de tous les problèmes liés à la physique du transport. Par exemple, en ce qui concerne le transport de la chaleur, la plupart des cristaux, à température ambiante, ont à peu près les mêmes propriétés puisque la conductivité thermique de tous les cristaux est toujours de l’ordre de 0.3W/K/cm, à un facteur 3 près dans un sens ou dans l’autre. Pour ce qui concerne le transport électrique, la question se complique à peine du fait de la statistique de Fermi Dirac, qui traduit le principe d’exclusion de Pauli: ainsi, la conductivité électrique sera soit très bonne s’il existe des états accessibles libres à une distance en énergie inférieure à la température T, et très mauvaise si au contraire il faut franchir une grande bande interdite pour exciter les électrons. Ce travail se situe dans le vaste ensemble des recherches visant à appréhender la physique du transport dans les matériaux qui sont très loin de présenter la perfection de la périodicité cristalline. Nous allons en effet traiter de quelques questions relatives au transport dans les « verres ». Pour tous ces matériaux (parfois appelés « amorphes »), on ne peut plus faire appel aussi naturellement à la notion d’onde plane, ce qui, immédiatement, complique beaucoup la compréhension des phénomènes de transport. En effet, tant que l’écart à la périodicité reste faible (comme dans le cas des cristaux comportant des défauts), la notion d’onde « moyenne naturellement » l’effet de ces écarts à la périodicité idéale. Qu’en est il lorsque la notion d’onde n’est plus aussi naturelle ? Intuitivement, il semble que le transport sera toujours – cette idée souffre quelques exceptions, comme par exemple le fait que, pour $T le 7$K le Bismuth transporte infiniment mieux le courant lorsqu’il est amorphe (il est alors supraconducteur) que lorsqu’il est cristallin (il est alors normalement métallique). Mais il est bien connu, depuis les développements de la Théorie de Landau des Liquides de Fermi, que l’instabilité supraconductrice joue un rôle tout à fait exceptionnel pour les systèmes électroniques – plus difficile que dans le cas cristallin équivalent. Nous déclinerons cette intuition au travers de deux idées que nous retrouverons dans chacun des trois chapitres de ce document : * Le transport est si difficile dans les « verres » qu’il est fortement « inhomogène », autrement dit il est dominé par une petite portion de l’ensemble « contrainte extérieure/système vitreux ». * L’étude du régime non linéaire, où les effets produits sur le système cessent d’être proportionnels à la contrainte appliquée, est un très bon révélateur de la nature de cette « petite portion » qui domine le problème du transport. Ainsi, dans le chapitre 1, consacré à l’étude des échauffements produits dans des verres isolants soumis à des micro faisceaux de particules, nous verrons que le problème du transport (de la chaleur) est dominé par les fluctuations temporelles de l’intensité du faisceau incident: la somme des effets thermiques induits sera dominée par ce qu’il se passe durant les brefs instants où le faisceau est d’intensité « exceptionnellement » élevée. Toute cette physique provient de la très faible conductivité thermique du verre, 10 à 100 fois plus faible que celle des cristaux, à Température ambiante. Le chapitre 2 est consacré à l’étude de la conduction par sauts entre états électroniques localisés par le désordre. Dans ce cas, contrairement au chapitre 1, l’intensité de la contrainte appliquée (celle du champ électrique F) peut être maintenue parfaitement stable dans le temps. Cependant, nous verrons que ce sont alors les « fluctuations spatiales » qu’il faut prendre en compte pour comprendre le transport. Nous montrerons, en effet, que, suivant la valeur du champ électrique F, le chemin qui porte l’essentiel du courant électrique, dans le verre, n’est pas du tout le même: pour $F to 0$, il s’agira d’un chemin de type « percolation isotrope », alors que dans la limite $F to infty$ ce sera un chemin de type « percolation dirigée ». Nous montrerons que le comportement non linéaire courant tension permet justement de « voir » cette transformation d’un type de chemin en l’autre, et d’obtenir certains renseignements nouveaux sur la topologie de ces chemins de percolation. Enfin, le chapitre 3 traite de la constante diélectrique basse fréquence dans les verres isolants. Cette étude s’inscrit dans le cadre qu’on appelle « le modèle des doubles puits » élaboré par Anderson, Halperin et Varma (et indépendamment par Philipps) au début des années 70. Nous rappellerons que ce modèle, en dépit de sa simplicité extrême, permet de rendre compte du comportement si particulier des verres, surtout aux plus basses températures. Cependant, nous montrerons qu’en y regardant de plus près, le comportement non linéaire de la constante diélectrique ne peut pas être expliqué dans ce modèle. Nous proposerons alors, suivant un travail récent de Burin et al., que le problème du transport dans ces systèmes est dominé par « des fluctuations spatio-temporelles » tout à fait particulières: les doubles puits n’interagissent efficacement que s’ils sont quasi semblables (donc a priori assez éloignés les uns des autres), et, de plus, l’interaction ne joue un rôle qu’à certains instants bien précis de la période électrique, qui dépend des caractéristiques fines des deux doubles puits considérés. Nous nous permettons une remarque de forme : la longueur de ce document atteint la limite supérieure autorisée à cause des efforts qui ont été faits pour le rendre « lisible ». En particulier, chaque sous-chapitre comporte une introduction exposant le problème traité et une conclusion synthétisant les résultats principaux. On peut donc sauter des sous chapitres entiers, sans pour autant perdre le fil de la lecture. Une autre façon de lire ce document est de ne considérer que les Figures et leurs légendes, qui constituent un sous ensemble suffisant pour comprendre l’essentiel de ce qui est dit. Enfin, bien sûr, on peut, si on le désire, lire ce travail en entier. Dans ce cas, l’exposition des problèmes a été conçue pour qu’aucune consultation de la bibliographie ne soit nécessaire, même pour une compréhension détaillée des résultats obtenus. This work deals with transport in insulating glasses. In such solids, the discrete translational symmetry is lost, which means that the plane wave analysis is not a priori the right « starting point ». As a result, the transport is more difficult to handle, and a huge amount of works have been devoted to many aspects of transport in disordered systems, especially since the seventies. Here we focus on three specific questions: (i) the heat transport in glasses submitted to micro-beams and the associated irreversible vaporisation; (ii) the electronic d.c. transport, below 1 Kelvin, in Mott-Anderson insulators, i.e. in « electron glasses » where both disorder and electron-electron interactions are relevant; (iii) the low frequency dielectric constant in « structural glasses » (i.e. « ordinary glasses ») which, below 1 Kelvin, is both universal (i.e. independent on the chemical composition) and very different of that of crystals. For each topic, we present both original experiments and the new theoretical concepts that we have elaborated so as to understand the main experimental features. Eventually, it appears that, in any case, transport in insulating glasses is strongly dominated by quite a small part of the « glass-applied field » ensemble and that the nonlinear response is a relevant tool to get informations on this « sub-part » which dominates the transport in the whole system.
Service de Physique de l’Etat Condensé, CEA/Saclay, Université Paris Sud – Paris XI