Résumé :
La physique des écoulements turbulents est encore mal comprise. En 1935, Taylor remarque que lorsque la turbulence est pleinement développée, l’énergie cinétique d’un écoulement est dissipée sous forme de chaleur à un taux indépendant du nombre de Reynolds, Ce résultat, qui a eu depuis de nombreuses confirmations expérimentales et numériques, est au coeur de notre compréhension de la physique des régimes turbulents, alors qu’aucune démonstration mathématique partant des équations de Navier-stokes n’a été établie. En 1941, la découverte de Taylor amène Kolmogorov à faire l’hypothèse que le taux de dissipation d’énergie reste non-nul, même dans la limite de nombre de Reynolds infini. En 1949, Onsager apporte les premiers arguments à l’hypothèse de Kolmogorov en soulignant que la régularité du champ de vitesse n’est pas assurée à Reynolds infini, ce qui pourrait conduire à l’existence d’un mécanisme de dissipation d’énergie non-visqueux (dit inertiel). De plus, il propose une conjecture concernant la régularité minimum que doit satisfaire le champ de vitesse pour annuler cette dissipation inertielle.
En 2000, Duchon et Robert formalisent les idées d’Onsager dans un cadre mathématique rigoureux, et établissent la forme exacte de la dissipation d’énergie émanant de l’existence possible de singularités dans l’écoulement, et l’expriment en fonction des incréments de vitesse. Cependant, la pertinence de ces concepts en turbulence expérimentale reste à établir, et n’a jamais été étudiée.
En laboratoire, il est possible de générer des écoulements pouvant atteindre des nombres de Reynolds suffisamment grands, et de collecter suffisamment de données pour permettre une analyse fiable. Les récents progrès des techniques de vélocimétrie, notamment avec la vélocimétrie par image de particules, permettent désormais d’effectuer des mesures de champs de vitesse en plusieurs points de l’espace simultanément, avec une résolution permettant de visualiser les écoulements aux échelles dissipatives. Ces mesures présentent de plus l’avantage de donner accès aux incréments de vitesse dans le volume de l’écoulement en question. Dans cette thèse, nous présentons la première étude visant à déterminer si les idées d’Onsager peuvent apporter une compréhension plus profonde de la physique des écoulements turbulents et incompressibles. Pour cela, nous nous plaçons dans le cadre des écoulements de von Kármán, qui constituent une classe d’écoulements pour laquelle la régularité des équations de Navier-Stokes est incertaine.
Notre présentation s’organise en suivant le sens de la cascade d’énergie : tout d’abord, nous montrons que la forme de la dissipation ínertielle obtenue par Duchon et Robert permet une estimation très précise du taux d’énergie cascadant à travers le domaine inertiel, suggérant que leur résultat fournit une expression analytique des transferts d’énergie à travers les échelles. À plus petite échelle, on observe que ces transferts se concentrent dans certaines zones de l’espace, et se manifestent avec une intensité distribuée de façon non-Gaussienne au voisinage de l’échelle de Kolmogorov. Ces résultats conduisent donc naturellement à I’introduction d’un critère permettant de détecter les zones d’un écoulement susceptibles de contenir une singularité. Pour ce faire, nous concentrons notre étude sur les évènements les plus extrêmes, permettant ainsi de mettre en évidence des topologies de champ de vitesse très irrégulières, que nous classifions en quatre catégories. Les résultats présentés dans cette thèse mettent en avant le caractère non-trivial des écoulements turbulents aux échelles plus petites que celle de Kolmogorov, ce qui nous amène finalement à discuter les implications possibles en simulations numériques.
Mots clés : Singularités, Dissipation anormale, Navier-Stokes, Duchon-Robert, Onsager.
Investigations on the relevance of Onsager’s conjecture in real incompressible turbulence
Abstract:
The zeroth law of turbulence states that fully developed turbulent incompressible flows dissipatetheir kinetic energy independently of the Reynolds number. Since its discovery by Taylor in 1935, thislaw has had many experimental and numerical confirmations, and is at the heart of our understandingof turbulence. In the following years, Taylor proposed a mechanism for the zeroth law, based onviscosity and the idea of a cascade of energy through scales. In 1949, Onsager realized that energydissipation could occur without the final assistance by viscosity at small scales if the velocity fieldbecomes sufficiently irregular, and conjectured the minimum regularity condition above which energyconservation is ensured in the absence of viscosity. In 2000, two french mathematicians, Jean Duchonand Raoul Robert, were able to derive the analytical expression for the inertial dissipation in termsof velocity increments, along with the corresponding energy balance. However, the relevance of theseideas for real turbulence has never been studied.In this thesis, we present the first tests of Onsager’s idea from experimental data, based on thework of Duchon and Robert. We enter the framework of von Kármán flows for which the regularity ofNavier-Stokes equations is unknown. We use particle image velocimetry measurements which provideus with the three components of the velocity field on a meridional plane, and allows for the computationof velocity increments at the resolution scale of our measurement set-up. In this work, we point out thenon-trivial character of turbulent flows at the Kolmogorov scale, where we observe irregular.
Keywords: Singularities, Turbulence, Anomalous dissipation.
SPEC/SPHYNX