Les détecteurs de photons uniques, largement utilisés dans les fréquences optiques, ont permis des avancées technologiques significatives bien au-delà de la physique fondamentale. Des applications telles que la microscopie à fluorescence et le LIDAR en sont des exemples notables. L’extension du comptage de photons à une gamme de fréquences beaucoup plus large a été et continue d’être un objectif majeur de la communauté. Les fréquences micro-ondes, généralement comprises entre 1 et 20 GHz, dont l’énergie est inférieure de cinq ordres de grandeur, sont essentielles pour l’électronique et les télécommunications. À des températures cryogéniques (inférieures à 100 mK), il est possible d’obtenir un noir presque parfait dans cette partie du spectre. Ainsi, à l’instar de la gamme optique, le comptage de photons devient une méthode de détection extrêmement sensible, permettant la distinction d’un photon unique sur un fond de vide quantique, sans la limite fondamentale de sensibilité inhérente à la détection des quadratures du champ électromagnétique. Cependant, la faible énergie des photons micro-ondes complique la transposition des technologies optiques, qui sont basées sur l’effet photoélectrique et l’absorption des photons par des matériaux présentant une lacune énergétique. Ce défi est dû au manque de matériaux appropriés avec des écarts suffisamment faibles pour répondre efficacement aux fréquences des micro-ondes.
En 2018, nous avons développé un système innovant de comptage de photons par micro-ondes supraconductrices basé sur les principes du traitement quantique de l’information plutôt que sur la physique des matériaux. Cela nous a placés dans une position confortable, car il y a eu relativement peu de propositions alternatives pour le comptage de photons par micro-ondes depuis lors. Cela est probablement dû à la robustesse et à la simplicité de la mise en œuvre de notre système de détection. Notre programme de recherche reste très dynamique, car fondamentalement, la sensibilité ultime de la détection des photons n’est pas limitée par les lois de la mécanique quantique. En effet, plus le bruit noir est faible pour une efficacité donnée, meilleure est la sensibilité.
Nous travaillons actuellement à la conception d’une nouvelle gamme de détecteurs. Le principe de base de notre détection de photons étant basé sur le traitement quantique de l’information, il est possible d’ajouter un niveau de correction d’erreur en introduisant de la redondance dans le mécanisme de détection. Plus précisément, le principe de détection utilisé est non destructif pour le photon ; le photon est simplement réémis à une fréquence différente par le dispositif. Il est donc possible de mettre en cascade plusieurs dispositifs pour répéter la détection plusieurs fois. Si deux détecteurs sont mis en cascade, un clic n’est enregistré que si les deux détecteurs cliquent simultanément, ce qui permet d’éliminer la grande majorité du bruit d’obscurité intrinsèque du détecteur, mais au détriment de l’efficacité. Avec trois détecteurs en cascade, un système de vote majoritaire peut améliorer simultanément le bruit noir et l’efficacité. Il est important de noter que cette cascade quantique peut être réalisée sur la puce et de manière cohérente, ce qui n’augmente que modérément la complexité de la puce (en particulier par rapport aux processeurs développés pour l’informatique quantique).
Aujourd’hui, une preuve de principe à deux qubits est en phase de test, et les résultats sont extrêmement encourageants. Un bruit noir de 3 c/s est mesuré pour une efficacité de 25%. En extrapolant ces résultats préliminaires, il est envisageable d’atteindre une sensibilité de l’ordre de 10-23 W/√Hz. Pour rappel, le temps de mesure étant inversement proportionnel au carré de la sensibilité, le gain de deux ordres de grandeur issu de ce programme de recherche permet d’améliorer le temps de mesure d’un facteur104. Cela permet d’accéder à de nouveaux phénomènes physiques, par exemple en résonance magnétique et dans la recherche de matière noire.