Au sein d'un échantillon solide, réduire la température des spins est une bonne méthode pour améliorer le signal de RMN ou de RPE, puisque cela favorise leur polarisation selon la direction imposée par le champ externe appliqué. L'équipe du SPEC propose une méthode très générale et vient de montrer expérimentalement qu'il est possible de refroidir une assemblée de spins à une température inférieure à celle du cristal qui les porte, du fait de leur couplage avec le champ électromagnétique au sein d'une cavité microonde résonante accordée.
La méthode brevetée peut s'appliquer à tout système de spins électroniques pouvant être amenés en régime d'effet Purcell, où la relaxation des spins électroniques est dominée par la voie radiative.
En résonance magnétique, on détecte la présence de spins dans un échantillon grâce à leur interaction avec un champ électromagnétique accordé à leur fréquence de résonance, dans le domaine radiofréquence pour des spins nucléaires ou dans le domaine micro-onde pour des spins électroniques. Plus précisément, et en se focalisant sur le cas des spins électroniques qui est celui que nous avons étudié, l’échantillon est inséré dans un résonateur micro-onde à fréquence w0, placé dans un champ magnétique B0 qui permet d'accorder à la résonance l'écart entre les niveaux de spins. L'assemblée de spins est sondé par des séquences d’impulsions micro-ondes. Celles-cigénèrent un signal d’écho de spins, dont les caractéristiques (amplitude, dépendance en B0, dépendance temporelle, …) portent les informations recherchées sur l’échantillon. Il est donc essentiel d’avoir un rapport signal-sur-bruit le plus élevé possible.
Le signal d’écho de spin est proportionnel à N↓-N↑, la différence entre le nombre de spins dans l’état ↓ et dans l’état ↑, qui est elle-même entièrement définie par T la température des spins selon la relation : N↓-N↑=Ntanhℏω0/2kT, N étant le nombre total de spins. Pour augmenter ce signal (à fréquence ω0 fixée), la seule solution est d’abaisser la température T des spins. Idéalement, on souhaiterait refroidir les spins à la température la plus basse possible (tel que kT<<ℏω0), pour avoir tous les spins dans l’état de plus basse énergie N↓≃N et obtenir un signal maximum.
Comme il n’est pas toujours possible d’abaisser globalement la température de l'échantillon, un domaine de recherche actif consiste à trouver des méthodes pour refroidir uniquement les spins, si possible largement en-dessous de la température de l’échantillon : on parle alors d’hyperpolarisation. L’exemple le plus important est l’hyperpolarisation des spins nucléaires par Polarisation Nucléaire Dynamique (DNP), qui permet de gagner plusieurs ordres de grandeur sur le signal de résonance magnétique. La DNP repose sur le couplage des spins nucléaires à un ensemble de spins électroniques introduits dans l’échantillon. Il est ainsi possible de profiter de la polarisation plus élevée à l’équilibre thermique des spins électroniques, du fait de leur fréquence de résonance beaucoup plus élevée, qu'il est ensuite possible de transférer aux spins nucléaires via le couplage existant. En revanche, il n’existait jusqu’à maintenant aucune méthode permettant d’hyperpolariser un ensemble de spins électroniques, sauf dans quelques cas spécifiques où ces spins pouvaient être refroidis par des méthodes optiques.
Le principe d'une telle méthode d'hyperpolarisation de spins électroniques vient d'être inventée par le groupe Quantronique au SPEC [1], et expérimentalement démontrée. La méthode permet même de refroidir des spins électroniques à une température bien inférieure à celle du substrat dans lequel ils sont insérés ! Son principe repose sur une découverte récente de l'équipe en 2016 [2], sur la relaxation des spins électroniques, basée sur une prédiction de E. Purcell de 1946 : dans les conditions habituelles de résonance magnétique, les spins électroniques dans un solide retournent à leur équilibre thermique en échangeant de l’énergie sous forme de phonons (ou vibrations). Il est cependant montré (thèse d’Audrey Bienfait) que lorsque les spins sont fortement couplés à un résonateur micro-onde de grand facteur de qualité, les échanges d’énergie avec le champ micro-onde contenu dans le résonateur deviennent le canal de relaxation dominant. Cet « effet Purcell » est observé au moyen d'un micro-résonateur supraconducteur couplé à un ensemble de donneurs de bismuth implantés dans un échantillon de silicium : on observe que le taux de relaxation des spins est augmenté de 3 ordres de grandeur lorsque les spins sont accordés à ω0.Une conséquence de ce régime Purcell, dominé par l'interaction des spins avec le champ électromagnétique, est que la température des spins devrait être presque totalement découplée de la température du cristal portant les spins. Il devient donc possible de refroidir les spins en « refroidissant » le champ micro-onde à l’intérieur de la cavité, à une température inférieure à celle du substrat (voir figure).
C'est le principe de la nouvelle expérience réalisée, où un ensemble de spins contenus dans un échantillon (atomes de bismuth implantés dans un cristal de silicium) sont couplés à un résonateur supraconducteur en niobium de fréquence ω0/2π=7.4 GHz en régime Purcell, à une température Thot=0.85 K (voir figure). À cette température, la polarisation des spins p=(N↓-N↑ )/N est seulement de 0.2. En connectant simplement l’entrée du résonateur à une résistance de 50 ohms, refroidie à une température Tcold=20 mK on montre qu'il est alors possible d'abaisser la température des spins.
Figure 1 : (a) Principe du refroidissement radiatif de spins. L’échantillon contenant les spins est placé dans un résonateur micro-onde, et thermalisé à la température Thot. Lorsque les spins sont en régime Purcell, ils échangent de l’énergie principalement avec le champ micro-onde. Un switch permet de comparer le signal d’écho de spin lorsque lorsque l’entrée du résonateur est connecté à une résistance à la même température que l’échantillon Thot ou à une autre résistance refroidie à la température Tcold. (b) Le signal est plus de deux fois plus grand avec la résistance froide, ce qui démontre le principe du refroidissement radiatif. (c) L’échantillon comporte un ensemble de donneurs de bismuth dans le silicium, implantés sous la surface d’un échantillon de silicium sur lequel est fabriqué un résonateur en niobium (en rouge) qui sert à la détection de spin et au refroidissement radiatif.
Afin d’évaluer quantitativement l’effet de la résistance froide sur la température des spins, un interrupteur micro-onde permet de connecter la cavité soit à une résistance à la même température Thot que l’échantillon, soit à une température bien inférieure Tcold. Comme le montre la figure, le signal d’écho est multiplié par 2.3 dans la configuration cold, ce qui démontre l’hyperpolarisation des spins électroniques, et leur refroidissement à une température intermédiaire entre Tcold et Thot, estimée à 350 mK.
Cette méthode (aujourd'hui brevetée) est applicable à n'importe quelle assemblée de spins électroniques pouvant être amenés en régime Purcell. Pour cela, il suffit que leur taux de relaxation par émission de phonons soit inférieur au taux de relaxation par émission de photons micro-ondes. C’est le cas pour un grand nombre de spins à basse température, pour lesquels la méthode proposée est donc directement applicable. Elle devrait aussi fonctionner à des températures plus élevées, par exemple à la température de l’Hélium liquide (4.2K).
Un autre aspect de la méthode que nous souhaiterions améliorer dans le futur vise la température à laquelle les spins peuvent être refroidis. Dans la version actuelle, il faut refroidir une résistance, et l'élément à la température la plus basse doit donc être physiquement disponible dans le cryostat. Il serait cependant souhaitable de refroidir les spins à une température arbitrairement basse, même inférieure à la température la plus froide disponible dans le cryostat, permettant ainsi d’atteindre en principe une polarisation arbitrairement proche de 1 à partir de n’importe quelle situation d’équilibre thermique. Cet objectif ambitieux devrait être possible en combinant la méthode de refroidissement radiatif des spins ici proposée, avec des méthodes de refroidissement actif du champ micro-onde, récemment démontrées en utilisant des jonctions Josephson.
Références
[1] B. Albanese, S. Probst, V. Ranjan, C.W. Zollitsch, M. Pechal, A. Wallraff, J.J.L. Morton, D. Vion, D. Esteve, E. Flurin, P. Bertet, Radiative cooling of a spin ensemble, Nature Phys.(2020) https://doi.org/10.1038/s41567-020-0872-2
Voir aussi : « A new technique for the radiative cooling of spin ensembles« , by Ingrid Fadelli , Phys.org.
[2] A. Bienfait, J.J. Pla, Y. Kubo, X. Zhou, M. Stern, C.C Lo, C.D. Weis, T. Schenkel, D. Vion, D. Esteve, J.J.L. Morton, and P. Bertet, Nature 531, 74 (2016) https://doi.org/10.1038/nature16944
[3] Brevet « Procédé et appareil d'hyperpolarisation de spins, notamment électroniques« , P. Bertet.
Contact CEA : Patrice Bertet, Quantronics Group, SPEC UMR 3680 CEA-CNRS.
Collaboration :
- Quantronics Group, SPEC, CEA, CNRS, Université Paris-Saclay, Gif-sur-Yvette, France
- London Centre for Nanotechnology, University College London, London, UK
- Department of Physics, ETH Zurich, Zurich, Switzerland