Comme pour une toupie, la dynamique naturelle du vecteur aimantation dans un matériau ferromagnétique correspond à une précession aux petits angles autour de sa position d'équilibre. Cette résonance ferromagnétique est extrêmement non linéaire à mesure que l'angle de précession augmente, ce qui engendre une série de phénomènes remarquables, tels des turbulences d’ondes de spin et du chaos. Mais cette complexité peut aussi être problématique pour les dispositifs nanomagnétiques. Il est donc important d’établir jusqu’à quel point la dynamique de nanostructures magnétiques peut être excitée de façon cohérente, avant d’être perturbée par l’apparition d’instabilités. Dans ce travail, nous démontrons que la dynamique de l’aimantation peut conserver une cohérence spatiale substantielle jusqu’à de très grands angles de précession.
Pour cela, nous étudions un nanodisque de YIG, un grenat d'yttrium fer ayant un amortissement magnétique très faible, où le confinement géométrique supprime drastiquement les interactions non linéaires entre ondes de spin. La dynamique de ce nanodisque est sondée mécaniquement, grâce à un microscope de force par résonance magnétique, dont le principe est représenté à la Figure 1a. Un petit champ micro-onde h1 de pulsation ω1, orienté perpendiculairement au champ appliqué H0 et à l’aimantation à l’équilibre M, permet d’exciter la résonance ferromagnétique dans l’échantillon. À faible puissance, le spectre d’ondes de spin du nanodisque, similaires aux modes de vibration d’un tambour, est excité dans le régime linéaire (Figure 1b). En augmentant la puissance micro-onde, comme dans la Figure 1c, la résonance ferromagnétique est excitée dans un régime fortement non linéaire : on observe un repliement hystérétique de la raie de résonance principale, tandis que la composante longitudinale de l’aimantation s’annule quasiment, correspondant à un angle de précession moyen proche de 90°.
Lorsque cette dynamique est perturbée, l'aimantation oscille autour de l’état hors-équilibre en raison des couples tendant à rétablir la trajectoire stabilisée à grand angle de précession par le champ excitateur h1 à ω1. Pour dévoiler ces oscillations, nous appliquons un deuxième champ d’excitation plus faible, h2, de pulsation ω2, comme schématisé sur la Figure 2a. Cela permet de mettre à jour une nouvelle résonance dans le repère tournant de l’aimantation, caractérisée par deux pics d’absorption symétriques par rapport à ω1 lorsque ω2 est variée (Figure 2b). Cette dynamique de fréquence ω2 – ω1 ~ 300 MHz correspond à une nutation cohérente de l’aimantation autour de la trajectoire périodique à grand angle, semblable à celle effectuée par une toupie autour de son axe de précession. L’évolution de cette fréquence de nutation en fonction de l’amplitude du champ de pompage h1 (Figure 2c) et en fonction du champ magnétique statique H0 (Figure 2d) est bien expliquée par un modèle analytique macrospin et des simulations micromagnétiques.
Cette spectroscopie à deux tons permet également d’exciter des modes de nutation d’ordre plus élevés. Ces modes propres sont spécifiques d’un état fortement hors-équilibre : ils sont substantiellement différents des modes d’ondes de spin autour de l’état fondamental, car leur existence est liée à la présence d’une précession cohérente de grand angle. L’excitation résonante de ces nutations permet également de contrôler la bistabilité de la dynamique non linéaire de l’aimantation présentée à la Figure 1c. Plus généralement, cette nouvelle approche spectroscopique devrait permettre de mieux comprendre les régimes fortement non linéaires de la dynamique de l’aimantation, pertinents pour le fonctionnement des dispositifs nanomagnétiques.
Contact CEA : Grégoire de Loubens, SPEC/LNO.
Référence :
Nutation spectroscopy of a nanomagnet driven into deeply nonlinear ferromagnetic resonance,
Y. Li, V. V. Naletov, O. Klein, J. L. Prieto, M. Muñoz, V. Cros, P. Bortolotti, A. Anane, C. Serpico, G. de Loubens, Phys. Rev. X 9, 041036 (2019) – arXiv :1903.05411v1 [cond-mat.mes-hall]
Collaboration :
Ce travail est le fruit d’une collaboration dans le cadre du projet ANR Maestro, entre les chercheurs issus de :
- Service de Physique de l’État Condensé, CEA, CNRS, Université Paris-Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette, France
- Institute of Physics, Kazan Federal University, 420008 Kazan, Russian Federation
- INAC-Spintec, Grenoble INP, Université Grenoble Alpes, CEA-CNRS, 38000 Grenoble, France
- Instituto de Sistemas Optoelectrónicos y Microtecnología (UPM), 28040 Madrid, Spain
- Instituto de Micro y Nanotecnología (CNM-CSIC), 28760 Madrid, Spain
- Unité Mixte de Physique CNRS,-hales, Université Paris-Saclay, 91767 Palaiseau, France
- Dipartimento di Ingegneria Elettrica e Tecnologie dell’Informazione, Università Federico II, 80138 Napoli, Italy