Conversion efficace d’énergie thermoélectrique dans les ferrofluides

Conversion efficace d’énergie thermoélectrique dans les ferrofluides

Pour l'ensemble des activités humaines, les pertes thermiques représentent 20 à 50 % de la consommation totale d'énergie. Récupérer sous forme d'électricité une fraction de cette chaleur résiduelle aujourd'hui perdue, améliorerait grandement notre efficacité énergétique.

Pour ceci, les liquides complexes tels que les liquides ioniques chargés ou non en nanoparticules (nanofluides ioniques) sont considérés comme de nouveaux matériaux prometteurs permettant d'améliorer le rendement de conversion directe de chaleur en électricité (ou thermoélectricité). Les efforts expérimentaux et théoriques de l'équipe SPHYNX du SPEC contribuent à élucider les divers phénomènes thermoélectriques se produisant au sein des ces liquides, permettant d'obtenir des coefficients thermoélectriques (TE) parmi les plus élevés. Cette maitrise des phénomènes élémentaires au sein de ces milieux complexes permet de proposer des solutions pour optimiser la production d'énergie thermoélectrique.

Pour de faible l'écart en température ∇T entre une source chaude et une source froide, les matériaux thermoélectriques (TE) apportent une solution possible pour récupérer au mieux cette chaleur résiduelle de faible qualité sous forme d'électricité, même si l'efficacité de conversion, fonction de ∇T, reste limitée. Lorsqu'un gradient de température ∇T est appliqué à un matériau thermoélectrique, les électrons à l'extrémité chaude acquièrent de l'énergie cinétique et diffusent vers la région plus froide, ce qui entraîne la création d'un champ électrique (ou gradient de potentiel électrique -∇V) : ∇E = Se ∇T, où Se désigne le coefficient Seebeck. Certaines valeurs de Se remarquablement élevées [1] ont été obtenues pour des électrolytes liquides au cours de la dernière décennie. Cependant, ceux-ci ne présentent qu'une faible conductivité électrique, ce qui les rend peu attrayants du point de vue des applications en thermoélectricité. Dans ce domaine, l'attention se renforce actuellement vers les liquides ioniques (IL) et leurs mélanges du fait de leur conductivité ionique élevée. Plus récemment, un coefficient Se a été rapporté dans un autre type de fluide complexe : des « nanofluides ioniques », solution colloïdale chargée en nanoparticules.

Représentation schématique d'une cellule thermoélectrique liquide simple. L'application d'un gradient thermique ∇T génère une différence de potentiel thermoélectrique -∇V = E.

Les électrolytes liquides contiennent deux (ou plus) porteurs de charge (ions et particules colloïdales) formant un couple d'oxydoréduction (entre lesquels se produit l'échange d'électrons). Ces porteurs interagissent entre eux ainsi qu'avec leur environnement et sont tous soumis à la thermodiffusion, ce qui complique considérablement l'étude théorique du phénomène. Trois composantes contribuent à l'effet thermoélectrique majeur [2](voir figure ci-contre) :

  • les effets thermogalvaniques (TG),
  • de thermodiffusion (TD)
  • et électrostatiques à double couche (EDL) .

Au laboratoire SPHYNX du SPEC, l'influence dans les mélanges de liquides ioniques de la nature des compositions moléculaires et de leur concentration sur les trois composantes du coefficient de Seebeck ont été largement explorées [3]. Puis des ferrofluides chargés de nanoparticules magnétiques ont été étudiés [4]. Ces fluides sont bien connus pour présenter des coefficients de thermodiffusion très élevés contrôlant l'effet thermoélectrique. Le premier résultat marquant obtenu (voir figure ci-contre) est que l'inclusion d'une très petite quantité de nanoparticules magnétiques permet de doubler la puissance de sortie de la cellule thermoélectrique [5], bien que le coefficient Seebeck du mélange soit réduit lorsque des nanoparticules sont présentes. Cette amélioration remarquable de la puissance électrique en sortie est liée à la forte augmentation de la conductivité électrique due à une charge effective des particules. Elle est également supposée provenir d'une réduction des mouvements de convection auto-induits des particules initiées par la thermodiffusion ou effet Soret (gradient de concentration au sien d'un mélange, induit par un gradient de température).

Tension (cercles) et densité de puissance (losange) dans un liquide ionique aqueux (bleu) et chargé en nanoparticules magnétiques, à 0,5% en volume (ferrofluide, en vert). Mesures faites à ∇T = 30 K, près de la température ambiante.

Il est ensuite observé que l'application d'un champ magnétique modéré (100 kA/m) peut renforcer jusqu'à 25 % le coefficient de Seebeck des nanofluides ioniques magnétiques (figure ci-contre)[6]. L'effet est plus prononcé pour de faibles concentrations en nanoparticules. Pour des concentrations élevées, une agrégation irréversible des particules est observée. L'ensemble de ces résultats définissent un axe de recherche pour le développement de thermoélectriques liquides.

Augmentation du coefficient Seebeck par l’application d’un champ magnétique, perpendiculairement au gradient de température (∇T = 10 K).

Une dernière étude concerne la complexation de ligands de molécules de couple redox de métaux de transition (groupe lanthanide) dans des liquides ioniques. Leur nature est très sensible à la température, ce qui conduit à des coefficients Seebeck élevés dans ces systèmes. À titre d'exemple, le coefficient de Seebeck des couples redox (Eu2+/3+) dissous dans le 1-éthyl-3-méthylimidazolium bis (trifluorométhane sulfonyl) imide (EMI-TFSI) est reporté sur la figure ci-dessous en fonction de la température. On observe une valeur record de Se atteignant 5.5 mV/K, coefficient Seebeck (thermogalvanique) le plus élevé jamais enregistré dans un système de liquide ionique pur proche de la température ambiante [7].

Ces études se poursuivent aujourd'hui dans le cadre du projet « FET-proactive » Magenta qui a pour objectif principal l'amélioration de l'effet thermoélectrique avec des ferrofluides et la valorisation de ces recherches. Le projet est interdisciplinaire en regroupant physiciens, chimistes et électrochimistes, avec la participation active de 3 PME et d'un industriel.


Références :

[1] « Huge Seebeck coefficients in nonaqueous electrolytes »
M. Bonetti, S. Nakamae, M. Roger and P. Guenoun, JCP 134 (2011) 114513.

[2] Thermoelectricity and thermodiffusion in magnetic nanofluids: entropic analysis
T. Salez, S. Nakamae, R. Perzynski, G. Mériguet, A. Cebers and M. Roger, Entropy 2018, 20(6), 405.

[3] « Enhanced Thermoelectric Power in Ionic Liquids »
V. Zinovyeva, S. Nakamae, M. Bonetti, M. Roger, ChemElectroChem 1 (2014) 426,

« Thermoelectric energy recovery at ionic-liquid/electrode interface »,
M. Bonetti, S. Nakamae, B.T. Huang, T.J. Salez, C. Wiertel-Gasquet and M. Roger, JCP 142 (2015) 244708.

[4] « Thermoelectricity and thermodiffusion in charged colloids »
B. T. Huang, M. Roger, M. Bonetti, T. J. Salez, C. Wiertel-Gasquet, E.Dubois, R. Cabreira Gomes, G. Demouchy, G. Mériguet, V. Peyre, et al.
Journal of Chemical Physics, American Institute of Physics 143 (2015) 054902.

Can charged colloidal particles increase the thermoelectric energy conversion efficiency?
T. J. Salez, B. T. Huang, M. Rietjens, M. Bonetti, C.Wiertel-Gasquet, M. Roger, C. Lopes Filomeno, E. Dubois, R. Perzynskic and S. Nakamae, Physical Chemistry Chemical Physics (PCCP) 19 (2017) 9409.

[5] T. Salez et al., in preparation.

[6] T. Salez et al., RSC Advances, submitted.

[7] « Effets thermoélectriques dans les fluides complexes: liquides ioniques et ferrofluides« ,
thèse Thomas J. Salez (SPEC), soutenue le 10 Novembre 2017.

et V. Zinovyeva et al., in preparation.

Contact CEA : Sawako Nakamae (SPEC/SPHYNX).

Collaboration :

Ce travail se poursuit aujourd'hui au sein du projet européen H2020 – FET Proactive* MAGENTA :
« MAGnetic nanoparticle based liquid ENergy materials for Thermoelectric device Applications »,

impliquant plusieurs partenaires européens et industriels.
Coefficient de Seebeck du couple redox Europium (Eu2+/3+) en fonction de la température. Toutes les mesures ont été prises avec un gradient de température ∇T = 10K.