De la rouille, du soleil et de l’eau  pour produire de l’hydrogène

De la rouille, du soleil et de l’eau pour produire de l’hydrogène

Maxime Rioult, Hélène Magnan, Dana Stanescu et Antoine Barbier – Laboratoire des Interfaces et Surfaces d’Oxydes (LISO) – SPEC

Voici presque 4 ans, le groupe Oxydes (LISO) du SPEC s’est lancé le défi d’utiliser son expertise en croissance de films minces d’oxydes afin d’élaborer des matériaux modèles capables de convertir l’énergie solaire en hydrogène. L’enjeu est de taille dans le contexte de crise énergétique que nous traversons car l’hydrogène a l’avantage d’être un puissant carburant, à la fois stockable, propre et recyclable à l’infini. Ici, la clé est d’optimiser les propriétés d’un semi-conducteur qui joue le rôle d’anode dans un processus de production d’hydrogène par photo-électrolyse de l’eau. L’utilisation de techniques de caractérisation parmi les plus avancées, notamment en utilisant le rayonnement synchrotron, permet d’étudier des échantillons modèles, monocristallins, avec une profondeur d’analyse propre à la physique du solide. Il est alors possible de comprendre et de déterminer quels sont les paramètres pertinents pour améliorer la photo-électrolyse de l’eau. Nous avons pu montrer qu’un dopage modeste de l’hématite avec du Ti, en substitution dans la maille, permettait un gain d’un facteur 100 du photo-courant et une augmentation de la longueur de diffusion des porteurs de charge.

Fig. 1 – Principe de la photo-électrolyse avec une anode de Fe2O3 et une cathode de Pt.

L’hydrogène est un vecteur énergétique qui a déjà démontré ses capacités à pouvoir remplacer le pétrole en tant que carburant. Cependant, les moyens de production actuellement mis en œuvre restent fortement émetteurs de gaz à effet de serre. La photo-électrolyse de l’eau est un procédé permettant, à partir d’énergie solaire, de séparer les composés élémentaires de l’eau que sont l’hydrogène et l’oxygène en utilisant un semi-conducteur aux bonnes propriétés physiques. La maîtrise de ce phénomène permettrait de bénéficier des avantages de l’énergie solaire, renouvelable et non polluante, de stocker cette dernière sous forme chimique, et de produire de manière propre le carburant du futur. A IRAMIS/SPEC/LISO, nous étudions des oxydes de métaux semi-conducteurs pouvant être utilisés comme photo-anodes (cf. Figs. 1 et 2), notamment l’hématite (α-Fe2O3), la forme la plus oxydée du fer.

L’hématite est un des matériaux les plus intéressants en tant que photo-anode pour la photo-électrolyse de l’eau : il est peu coûteux, extrêmement abondant sur Terre, stable et non polluant. Sa bande interdite d’environ 2 eV lui permet d’absorber une partie importante du spectre solaire. Toutefois, certains facteurs limitants comme la forte recombinaison électron-trou et la position du haut de la bande de conduction ont été mis en avant pour expliquer le faible rendement observé lors des premiers essais. Dans le cadre de la thèse de M. Rioult, des films minces d’hématite monocristallins sont préparés par épitaxie par jets moléculaires assistée par plasma d’oxygène atomique, une technique de dépôts de couches minces en ultra-vide permettant d’obtenir des couches minces contrôlées en taux de dopage, stœchiométrie et en épaisseur. Le but de notre étude est de déterminer, grâce à des échantillons monocristallins modèles, l’influence de différents paramètres (dopage, structure cristallographique, morphologie) sur la structure électronique, l’absorption du rayonnement solaire et donc le photo-courant, lui-même directement lié à la production d’hydrogène. Notre démarche de physiciens du solide en recherche fondamentale, singulière dans la communauté des équipes étudiant la photo-électrolyse de l’eau, s’appuie sur une expertise en termes de croissance de couches minces, et sur des outils de caractérisation avancée parmi les plus performants au monde, notamment un grand nombre de techniques synchrotron. Afin d’accéder à la mesure pertinente nous avons monté un banc de mesure permettant de déterminer le photo-courant sur nos échantillons. Les premiers résultats concernent l’étude de films minces de différentes épaisseurs d’hématite dopée avec différents taux de titane.

Fig. 2 – Schéma énergétique du processus de photo-électrolyse. L’irradiation du semi-conducteur par des photons crée des paires électron/trou dans le matériau. Ces charges peuvent réaliser les réactions d’oxydation (production d’oxygène à l’anode) et de réduction de l’eau (production d’hydrogène à la cathode). Sans lumière, un potentiel externe (bias) est nécessaire pour effectuer l’électrolyse, sous lumière le potentiel nécessaire est fortement réduit, voire nul.

L’étude du photo-courant en fonction du potentiel appliqué sur la photo-anode (cf. Fig.3(a)) démontre qu’un faible taux de titane dans l’hématite suffit à multiplier par 100 le photo-courant. De plus, une étude fine en fonction de l’épaisseur des films et du dopage a révélé l’existence d’une épaisseur optimale, plus grande pour l’hématite dopée (30 nm) que pour l’hématite non dopée (20 nm) [2]. Ces résultats montrent que le dopage par du titane augmente à la fois le nombre de porteurs de charge mobiles (électrons et trous) et leur mobilité. D’autre part, nous avons montré que le dopage optimal en Ti se trouvait aux alentours de 2 % at. (cf. Fig.3(b)).

Afin de comprendre le rôle des atomes de titane, nous avons étudié en détails les structures cristallographique et électronique des couches. Des mesures in situ par diffraction d’électrons haute énergie en incidence rasante (RHEED) ont révélé que l’hématite dopée suit le même processus de croissance épitaxiale que l’hématite non dopée [1,2]. Nous avons également analysé la structure cristallographique par absorption X (EXAFS, expérience effectuée au synchrotron SOLEIL), pour étudier l’agencement local des atomes dans la structure [1]. Les résultats ont montré que le titane se place en substitution sur les sites du fer, ce qui a pour effet de déformer l’octaèdre formé par les atomes d’oxygène, mais sans changer la structure cristalline. Enfin, des mesures de spectroscopie de photoémission d’électrons X (XPS) ont mis en évidence que quel que soit l’état de dopage, le titane est dans l’état Ti4+ et le fer est dans l’état Fe3+. La neutralité électronique est obtenue par formation de lacunes de Fe.

Ainsi, grâce à l’usage d’échantillons monocristallins modèles, nous pouvons conclure que l’amélioration des propriétés de photo-électrolyse par dopage titane est bien due à des modifications des propriétés intrinsèques du matériau qui ne sont pas liées à des changements structuraux ou de structure électronique. Forts de ces premiers résultats concluants, nous appliquons notre démarche à l’exploration de nombreuses pistes prometteuses (analyse de la structuration, hétéro-structures, …), afin d’apporter un éclairage nouveau sur la compréhension des phénomènes physiques en jeu lors de la photo-électrolyse de l’eau.


Références:

[1] H. Magnan, D. Stanescu, M. Rioult, E. Fonda et A. Barbier, Enhanced photoanode properties of epitaxial Ti doped α-Fe2O3 (0001) thin films, Appl. Phys. Lett. 101, 133908 (2012)

[2] M. Rioult, H. Magnan, D. Stanescu and A. Barbier, Single Crystalline Hematite Films for Solar Water Splitting: Ti-Doping and Thickness Effects, J. Phys. Chem C. 118, 3007 (2014)

Contacts : Maxime Rioult, Hélène Magnan, Dana Stanescu, Antoine BarbierLaboratoire des Interfaces et Surfaces d'oxydes (LISO)

Fig. 3 – (a) Photo-courant en fonction de l’épaisseur de la couche d’hématite non dopée (en noir, multiplié par 75) et dopée à 2 %at. en Ti (vert) (b) Photo-courant en fonction du dopage en Ti de la couche d’hématite. Le potentiel appliqué est de 0.6 V vs. Ag/AgCl et l’électrolyte est une solution de NaOH de concentration 0.1M.