Les éléments magnétorésistifs peuvent être utilisés dans des mémoires magnétiques ou des capteurs magnétiques. L’obtention d’une couche ferromagnétique bloquée est une condition indispensable à la réalisation de ces applications et est maintenant bien développée dans le cas des métaux. De nouveaux matériaux de type oxydes pourraient également présenter un grand intérêt. En effet, des magnétorésistances jusqu’à 2000% ont été observées dans des jonctions tunnel composées du manganite ferromagnétique et demi-métallique, le La0.7Sr0.3MnO3 (LSMO). L’utilisation de ces jonctions combinées au supraconducteur YBaCuO pourrait permettre d’augmenter la détectivité des capteurs mixtes ultra-sensibles permettant la mesure de signaux magnétiques très petits comme ceux produits par l’activité électrique cardiaque ou cérébrale (voir fait marquant « Magnétocardiographie par capteurs à GMR »)
Récemment un couplage antiferromagnétique a été observé à l’interface du LSMO et du SrRuO3 (SRO), un autre oxyde ferromagnétique. Il pourrait être utilisé pour piéger un film de LSMO et ainsi créer une couche de référence dans les jonctions
Par ailleurs, ce couplage antiferromagnétique entre deux matériaux ferromagnétiques, dû à la liaison Ru-O-Mn, est très inhabituel et a fait l’objet d’une étude fondamentale au sein de notre groupe.
Nous avons donc regardé le couplage antiferromagnétique présent à l’interface du LSMO et du SRO dans des bicouches déposées sur SrTiO3(001) (STO) par ablation laser, à l’aide de mesures magnétométriques, de simulations et de mesures de réflectivité de neutrons polarisés.
Une asymétrie inhabituelle est observée sur le cycle d’hystérésis du LSMO d’une bicouche LSMO/SRO lorsque le champ magnétique est appliqué selon la direction [110]. Durant ce cycle, appelé cycle mineur, l’aimantation du SRO reste bloquée dans la direction des champs positifs, puisque le SRO possède un champ coercitif beaucoup plus élevé que celui du LSMO.
Afin d’expliquer cette asymétrie du cycle mineur, nous avons proposé un modèle dans lequel le couplage antiferromagnétique à l’interface du LSMO et du SRO n’est pas homogène, mais deux forces de couplages sont présentes à l’interface. Des domaines sont fortement couplés alors que d’autres le sont faiblement. L’aimantation du LSMO se comporte, par conséquent, différemment selon la valeur du couplage antiferromagnétique qu’elle subit à l’interface avec le SRO, ce qui induit l’asymétrie sur le cycle mineur.
Les domaines du LSMO qui sont fortement couplés au SRO sont responsables de la partie linéaire du cycle mineur, les domaines du LSMO faiblement couplés sont responsables de la partie hystérétique du cycle. Des simulations basées sur un modèle de Stoner-Wolhfarth ainsi que des mesures de réflectivité de neutrons polarisés (Figure 3) ont été réalisées afin de vérifier le modèle à deux couplages.
Figure 3 : Mesures de réflectivité de neutrons polarisés à 77K et à 400 Oe d’une bicouche LSMO(18nm)/SRO(25nm)//STO. Cette technique basée sur l’interaction des neutrons polarisés avec l’aimantation des matériaux, est sensible à l’aimantation planaire des films et permet de déterminer des profils d’aimantation. Elle consiste à mesurer trois courbes de réflectivité : une courbe avec des neutrons incidents polarisés Up et réfléchis Up, une courbe avec des neutrons incidents Down et réfléchis Down, et la dernière mesure avec des neutrons polarisés incidents polarisés Down et réfléchis Up. Les points expérimentaux sont superposés aux simulations basées sur le modèle à deux forces de couplage (lignes).
Toutes les données sont en très bon accord (Figure 4), ce qui tend à confirmer le modèle à deux forces de couplage. L’origine des deux forces de couplage pourrait être expliquée par la contrainte induite par la présence de variants cristallographiques dans le SRO.
Il est nécessaire maintenant de mieux comprendre l’origine de ces deux forces de couplage aux interfaces afin de pouvoir, à terme, contrôler l’interface et obtenir des bicouches très fortement couplées uniformément. Ceci permettrait ainsi de les utiliser comme couches dures dans des jonctions tunnel à base de matériaux oxydes.
Référence :
A. Solignac1, R. Guerrero1, P. Gogol², T. Maroutian², F. Ott3, L. Largeau4, Ph. Lecoeur², C. Fermon1, M. Pannetier-Lecoeur1,Phys. Rev. Lett. 109, 027201 (2012)
1DSM/IRAMIS/SPEC, CEA Saclay, 91191 Gif sur Yvette Cedex France
2 Institut d’Electronique Fondamentale, Univ Paris-Sud, CNRS UMR8622, F-91405 Orsay, France
3Laboratoire Léon Brillouin CEA/CNRS,CEA Saclay, 91191 Gif sur Yvette Cedex,France
4Laboratoire de Photonique et Nanostructures, CNRS UPR 20, Route de Nozay, F-91460 Marcoussis, France