Une voie d’accès bon marché aux nanotubes semi-conducteurs « purs » ?

Une voie d’accès bon marché aux nanotubes semi-conducteurs « purs » ?

Les nanotubes de carbone sont un matériau prometteur à la fois en mécanique, électronique et optique. Si des matériaux composites industriels renforcés en nanotubes commencent à sortir sur le marché, les applications optiques et électroniques sont plus lentes à venir car elles utilisent des nanotubes de carbone semi-conducteurs. Or ces derniers sont synthétisés en mélange avec des nanotubes très conducteurs, dits métalliques. Dans les dispositifs fabriqués avec ce mélange, la présence des métalliques provoque des courts-circuits. Leur séparation est donc un fort besoin identifié depuis leur découverte, et constitue le principal point bloquant leur utilisation industrielle.

Plusieurs méthodes de séparation ont été décrites récemment, mais ne permettent d’obtenir que des petites quantités. En effet, les nanotubes métalliques et semi-conducteurs sont des espèces chimiques très proches, très peu solubles, de même longueur et même diamètre, constituées toutes deux uniquement de carbone en réseau hexagonal. Ces méthodes de séparation doivent donc exploiter des petites différences d’affinités chimiques d’où des coûts de séparation élevés comme par exemple la séparation par ultracentrifugation sur gradient de densité (1mg de nanotubes séparés à 99% est vendu 900$). Souvent, plusieurs étapes de purification successives sont nécessaires. Enfin, même une excellente purification de nanotubes de carbone semi-conducteurs à 99% produit un mélange contenant encore 1% de nanotubes métalliques, un taux encore bien trop élevé si l’on cherche à éviter les courts-circuits dans des dispositifs électroniques.

Les nanotubes de carbone sont synthétisés sous la forme d’un mélange de nanotubes métalliques (en rouge) et semi-conducteurs (en bleu).

Recherchant une méthode chimique exploitable à l’échelle du matériau, nous avons choisi les diazoniums qui se couplent sur les nanotubes dans des conditions simples (température ambiante, solution aqueuse) avec une préférence pour les métalliques. Cette réaction a un autre intérêt : le couplage du diazonium sur le nanotube de carbone endommage localement sa structure électronique et donc sa conductivité. On peut donc espérer supprimer sélectivement la conductivité des nanotubes métalliques d’un mélange, ce qui supprimerait le risque de court-circuit sans avoir à séparer les semi-conducteurs après réaction. Le coût de préparation de ce matériau semi-conducteur devient alors très faible en comparaison des nanotubes semi-conducteurs séparés purs.

Cependant, la réaction des diazoniums avec les nanotubes, connue depuis 10 ans, est peu utilisée car elle n’est pas assez sélective1 pour permettre une bonne séparation. En étudiant le mécanisme de la réaction dans le détail, nous avons pu comprendre cette réaction complexe, démontrant pour la première fois un mécanisme de réaction radicalaire en chaîne2 . Nous avons aussi pu déterminer quelle étape de la réaction était responsable de la sélectivité vis-à-vis des métalliques. Travaillant sur cette étape cruciale, nous avons ensuite amélioré considérablement la sélectivité en changeant le diazonium pour un autre réactif diazoïque : le diazoester3 .

Ce réactif, moins prompt aux réactions rédox en solution, se concentre autour des nanotubes de carbone en solution micellaire et réagit au moins 10 fois plus vite avec les métalliques qu’avec les semi-conducteurs. Une récente optimisation du procédé a permis d’obtenir des sélectivités de fonctionnalisation dépassant 20 sur de nombreuses sources de nanotubes de carbone monoparois (CoMocat, HiPco, nanotubes Laser, nanotubes à arc).Dans ces conditions, la sélectivité du couplage est suffisamment forte pour supprimer la conductivité des nanotubes métalliques tout en préservant les nanotubes semi-conducteurs. Le mélange après réaction peut donc être utilisé directement dans la fabrication de dispositifs sans risque de court-circuit.

Le procédé, qui a fait l’objet de 2 dépôts de brevets4,5, est maintenant mis en œuvre pour la réalisation de dispositifs photovoltaïques et électroniques. Les nanotubes semi-conducteurs sont en effet des accepteurs d’électrons qui, en composite avec un colorant donneur d’électron, peuvent fournir la matrice active de cellules solaires organiques. Par ailleurs, le prix réduit des nanotubes de carbone semi-conducteurs produits par cette méthode en fait des candidats idéaux pour la réalisation de circuits électroniques imprimés à très bas coût par jet d’encre ou sérigraphie.

La sélectivité de la réaction est le rapport entre la réactivité des métalliques et celle des semi-conducteurs. Par exemple, dans le procédé mis au point en 2011, les nanotubes métalliques réagissent 32 fois plus vite que les semi-conducteurs avec le diazoester.

References:

[1] La sélectivité est calculée comme le rapport de la vitesse de couplage aux nanotubes métalliques sur la vitesse de couplage simultanée aux nanotubes semi-conducteurs. Une sélectivité de 10 indique donc que les nanotubes métalliques portent en fin de réaction 10 fois plus de fonctions greffées sur leur surface que les nanotubes semi-conducteurs.

[2] G. Schmidt, S. Gallon, S. Esnouf, J.-P. Bourgoin, P. Chenevier Chemistry a European Journal 15, 2101 (2009)

[3] G. Schmidt, A. Filoramo, V. Derycke, J.-P. Bourgoin, P. Chenevier Chemistry a European Journal 17, 1415 (2011)

[4] « Procédé et kit de séparation de nanotubes de carbone métalliques et semiconducteurs », P. Chenevier, Brevet 0950757, 6 fév. 2009
[5] “Procédé de fonctionnalisation sélective des nanotubes de carbone monoparois”, P. Chenevier, Demande de brevet 1155137, 10 juin 2011

Contacts : Pascale Chenevier