Yuri Mukharsky, Andrei Penzev et Eric Varoquaux, Groupe de Nanoélectronique
( English version)Si l'existence en était avérée, un « super-solide » serait un état de la matière combinant la rigidité d'un solide et les propriétés d'un superfluide. Ce serait un état inédit de la matière. Toutefois, des incertitudes subsistent sur la mise en évidence d'un tel état et sur la manière dont il pourrait se former. Dans un article à Physical Review B, 80 (2009) 140504(R) ) des chercheurs du SPEC ont mesuré les propriétés élastiques de l'hélium-4 solide par des techniques acoustiques basse fréquence ultra-sensibles. Leurs résultats permettent de franchir une étape dans la compréhension de l'apparition de la supersolidité. Leur travail a été distingué par les éditeurs de Physical Review B de l'American Physical Society avec l'attribution du label « Editor's Suggestions ».
Du point de vue expérimental, la << supersolidité >> se manifeste quand partie d'un échantillon d'hélium-4 solide contenu dans la masselote d'un oscillateur de torsion se découple mécaniquement des parois de l'appareil. Ce phénomène, supposé quantique mais pour le moment inexpliqué, apparaît au-dessous de 0.2 Kelvin et semble lié à la présence de défauts cristallins, très probablement des lignes de dislocation. << Quel genre de lignes de dislocation >> est la question abordée ici par la mesure de la relation contrainte-déformation d'échantillons d'hélium solide fortement déformés.
Comme les cristaux d'hélium sont fragiles et endommagés même par de très faibles contraintes, les chercheurs du SPEC ont utilisé un capteur acoustique extrêmement sensible utilisant une jauge de déplacement supraconductrice pour mesurer les déformations sans introduire de défauts supplémentaires. La résolution en déplacement se trouve dans la zone des femtomètres. Moyennant ces précautions ils ont pu contourner les effets rhéologiques non associés à la formation de la phase supersolide.
La plupart des échantillons ont montré une augmentation très notable de rigidité à basse température, au-dessus de 0.15 Kelvin, tendance déjà notée par d'autres (J. Day et al. cond-mat:0903.1269), mais avec une ampleur encore plus importante. La figure illustre le déplacement en fréquence de la résonance fondamentale de l'hélium solide dans la cavité acoustique en fonction de la température. Cette variation de fréquence traduit le mouvement interne des lignes de dislocation dans la matrice cristalline. Elle montre que la constante de Poisson* varie de manière considérable entre le zéro absolu et 1 Kelvin. Au fur et à mesure que la température s'élève, les lignes de dislocation se << dégèlent >> et se mettre à suivre les déformations associées au champ acoustique. Cette réponse des dislocations a une influence profonde sur l'élasticité de l'hélium-4 solide entre 0,2 et 1 K. L'ampleur du phénomène révèle un réseau de lignes de dislocation anormalement dense et tortueux. Ces observations impliquent également que les mouvements des dislocations ne sont pas bloqués dans les vallées de Peierls, suggérant des dislocations rugueuses à l'échelle atomique. Ces résultats ont tout lieu d'intriguer, mais leur lien avec un hypothétique état supersolide doit encore être élucidé.
* un des paramètres qui caractérisent les propriétés élastiques de la substance.
Référence :
Low-frequency acoustics in solid 4He at low temperature
Yu. Mukharsky, A. Penzev, and E. Varoquaux
Phys. Rev. B, 80 (2009), 140504(R)