Les hétérostructures multiferroïques artificielles combinent plusieurs ordres ferroïques (comme par exemple la ferroélectricité, le ferromagnétisme, la ferroélasticité …) dans des couches distinctes et présentent un fort potentiel pour les dispositifs électroniques de nouvelle génération. Elles sont de nature à répondre au manque de composés intrinsèques ayant ce type de propriétés. Les combinaisons magnétoélectriques suscitent un intérêt particulier : manipuler l’aimantation par un simple potentiel électrique est un concept très frugal en énergie et l’aimantation confère une grande stabilité à l’information stockée. Elles sont à la base de technologies de rupture comme les mémoires magnétiques adressables.
Cependant, les propriétés d’interface deviennent déterminantes pour des dispositifs d’épaisseurs nanométriques. De plus, dans cette gamme d’épaisseurs, les contraintes structurales participent au couplage entre les ordres ferroïques. Le système NiFe2O4/BaTiO3 se distingue par la présence, jusque-là incomprise, d’une couche de ferrite de Ni d’interface présentant une aimantation anormalement réduite, décrite souvent comme magnétiquement morte.
Dans une étude récente [1] un ensemble de couches NiFe2O4 (001) / BaTiO3 (001) déposées sur substrat SrTiO3(001), dopé à 1% de Nb a été examiné. Les couches ont des épaisseurs relatives variables allant de 3 à 12 nm. Les études ont été conduites sur la ligne de lumière DiffAbs du synchrotron SOLEIL.
- par diffraction des rayons X, qui permet d’étudier la déformation, les contraintes et les structures cristallines de chaque couche.
- et par des mesures de dichroïsme magnétique circulaire sur la ligne de lumière DEIMOS). L’effet résulte de la différence d’absorption des rayons X, à un seuil atomique donné, pour un matériau magnétique. Cette technique permet de connaître les propriétés magnétiques et de déterminer la distribution des sites cationiques avec une grande précision.
La combinaison des résultats obtenus par ces techniques, avec ceux obtenus au laboratoire, permet de révéler des corrélations entre toutes ces propriétés. Les paramètres de maille perpendiculaire ont été obtenus par l’ajustement de mesures spéculaires de diffraction dont évolution montre que la contrainte dans chaque couche dépend des épaisseurs de toutes les couches présentes dans la structure (figure 1).

Figure 1: (a) Balayages spéculaires (selon 00L) pour des films de 4 nm de NiFe2O4 déposés sur des couches de 3, 6, 9 et 12 nm de BaTiO3. Paramètres de maille hors du plan pour (b) BaTiO3 et pour (c) NiFe2O4 en fonction de l’épaisseur de BaTiO3.
La distribution cationique est obtenue en ajustant les données expérimentales par une combinaison linéaire de spectres multiplets calculés à partir de la structure électronique et de l’environnement des cations. Des épaisseurs plus grandes de BaTiO3 conduisent à un état d’oxydation réduit pour les atomes de Fe dans la couche magnétique (figure 2).

Figure 2: (a) Distribution cationique des atomes de Fe selon les sites de la structure spinelle et paramètre d’inversion de la structure spinelle en fonction de l’épaisseur de BaTiO3. (b) Images PFM (microscopie à force piézoélectrique) pour des films de 4 nm de NiFe2O4 déposés sur des couches de 3, 6, 9 et 12 nm de BaTiO3 après écriture de 9 carrés imbriqués, réalisés à des potentiels de pointe croissants.
Des calculs ab initio ont permis d’attribuer ce phénomène à une plus faible énergie de formation de lacunes d’oxygène sous l’effet d’une contrainte plus forte exercée par des couches de BaTiO3 plus épaisses. Les films les plus minces de NiFe2O4 ne présentent quasiment pas d’aimantation et sont caractérisés par une réduction du Fe et une importante proportion de lacunes en sites tétraédriques. Confronté à une analyse fine des clichés de diffraction lors de la croissance, ces résultats permettent de conclure que les films les plus minces sont plutôt constitués d’un mélange de FeO et NiO, deux composés antiferromagnétiques, plutôt que d’une phase de structure spinelle clairement ordonnée (figure 3). Il est aussi montré qu’un recuit à l’air, à température modérée, permet de former la phase spinelle et de restaurer l’aimantation attendue. Il est donc effectivement possible d’obtenir une hétérostructure magnéto-électrique dans le système NiFe2O4/BaTiO3 même pour les épaisseurs les plus faibles, le rendant ainsi potentiellement utilisable pour des applications.

Figure 3: (a) Évolution du paramètre de maille dans le plan durant la croissance épitaxiale de 4 nm de NiFe2O4. (b) Images RHEED prises à différents moments lors de la croissance (a).
Cet article a été réalisé dans le cadre de la thèse de Haowen LIN et fait partie du projet ANR MULTINANO (ANR-19-CE09-0036). Le travail de doctorat a été encadré par Antoine BARBIER (SPEC/LNO) et Cristian Mocuta (Synchrotron-SOLEIL, ligne DIFFABS).
Référence :
[1] Properties of NiFe2O4/BaTiO3 heterostructures. Unveiling and optimizing interface
Haowen Lin, Cristian Mocuta, Rémi Arras, Céline Blaess, Brice Sarpi, Philippe Ohresser, Hélène Magnan, Jean-Baptiste Moussy, Cindy L. Rountree, Antoine Barbier. Unveiling and Optimizing Interface Properties of NiFe2O4/BaTiO3 Heterostructures. ACS Appl. Electron. Mater. 6(10) (2024) 7286–7300.
Contact CEA : Antoine Barbier, SPEC/LNO