Contrôle électronique de la relaxation dans un isolant magnétique

Contrôle électronique de la relaxation dans un isolant magnétique

En 2010, des chercheurs japonais ont prouvé que du moment magnétique de spin pouvait être échangé entre l'aimantation d'un matériau ferromagnétique isolant et les électrons de conduction d'un métal normal adjacent [1]. En théorie, ce transfert de spin permet de contrôler électroniquement la relaxation de la couche magnétique, mais aucune expérience concluante n'a été réalisée depuis.

En mesurant précisément la largeur de raie dans le système hybride YIG | platine, il a pu être montré que le temps de relaxation du grenat d'Yttrium Fer (YIG) peut être réduit ou augmenté en fonction de la polarité du courant injecté dans le platine, couvrant une variation d'un facteur cinq [2].

La découverte qu'un courant pur de spin peut être transféré d'une couche magnétique isolante à une couche métallique adjacente, et vice versa, ouvre de nouvelles perspectives [1]. En particulier, cela permet d'incorporer des matériaux tels que le YIG, connu pour ses propriétés hyperfréquences inégalées, dans les dispositifs innovants de la spintronique. Même si ce matériau magnétique est isolant, il est en effet possible de détecter électriquement sa dynamique. En précessant à la fréquence de résonance, son aimantation perd du moment angulaire à l'interface avec le métal adjacent, qui offre un canal de relaxation pour l'aimantation dynamique : c'est le pompage de spin. S'il existe un couplage spin-orbite dans ce métal, comme dans le platine, ce courant de spin est converti en courant de charge par effet Hall de spin inverse, ce qui permet sa détection. Ce mécanisme est maintenant bien établi [3, 4, 5]. L'effet réciproque, à savoir le transfert d'un courant de spin – généré par effet Hall de spin dans le platine – dans la couche de YIG, n'a pas été reproduit depuis les premiers signes expérimentaux de compensation de la relaxation dans le YIG [1]. Un des problèmes récurrents des études expérimentales jusqu'ici est l'utilisation de couches épaisses de YIG (> 1 µm), alors que l'effet recherché est de nature interfaciale, donc prépondérant dans les couches ultra-minces. Un autre problème est l'utilisation d'échantillons de grande taille latérale (~ mm), où plusieurs ondes de spin quasi-dégénérées entrent en compétition vis-à-vis de la même source de moment angulaire, ce qui pourrait auto-limiter le phénomène et empêcher le démarrage d'auto-oscillations dans le YIG [6].

Il est possible d'isoler un seul mode dynamique susceptible d'absorber le courant de spin injecté, en réduisant fortement les dimensions latérales du YIG, afin de séparer en énergie les différentes ondes de spin [7]. Pour cela, il a pu être tiré parti des récents progrès dans la croissance de couche ultra-minces de YIG épitaxiales par ablation laser pulsé, obtenus par nos collègues de l'Unité Mixte de Physique CNRS/Thales [3]. Grâce à une technique de microscopie en champ proche développée au Laboratoire Nanomagnétisme et Oxydes du SPEC [8], les variations spectrales, induites par le courant injecté dans le platine d'un disque de YIG(20 nm)|Pt(7nm) de 5 microns de diamètre (figure 1), ont pu être étudiées.

Figure 1 : Spectres de résonance magnétique du micro-disque de YIG|Pt en fonction du courant dc pour différentes orientations du champ appliqué. a) H0 // +y à f = 6.33 GHz (rouge); b) H0 // +z à f = 10.33 GHz (noir); c) H0 // -y à f = 6.33 GHz (bleu). Deux schémas représentent les configurations dans le plan et hors-plan. En haut à droite : image de l'échantillon prise en microscopie optique.

La largeur de raie de la résonance du YIG peut être réduite ou augmentée sur une grande gamme, en fonction de la polarité du courant injecté et de l'orientation du champ magnétique appliqué dans le plan du disque (figure 2). L'effet observé a bien la symétrie attendue pour l'effet Hall de spin, et la compensation totale de la relaxation s'extrapole pour des densités de courant de quelques 1011A/m2, en accord avec la théorie [9]. À ce seuil critique, l'instrument de mesure utilisé détecte également une petite variation d'aimantation spontanée, ce qui est cohérent avec des oscillations libres du YIG.

Figure 2 : Variation de la largeur de raie mesurée à 6.33 GHz pour H0 // +y (rouge) et H0 // -y (bleu), et à 10.33 GHz pour H0 // +z en fonction du courant dc injecté dans le platine. L'insert montre la détection de la tension d'effet Hall de spin inverse aux bornes du platine générée par la dynamique de l'aimantation du YIG dans le micro-disque à courant nul.


Étendre cette étude à un guide d'ondes de spin unidimensionnel permettrait d'obtenir une ligne à retard dont le délai pourrait être contrôlé électriquement. Un tel dispositif contribuerait à faire avancer certains paradigmes de la « magnonique », une nouvelle discipline qui vise à la manipulation d'ondes de spin – et leur quanta, les magnons – pour le traitement et le stockage de l'information.

Références :

[1] Y. Kajiwara, K. Harii, S. Takahashi, J. Ohe, K. Uchida, M. Mizuguchi, H. Umezawa, H. Kawai, K. Ando, K. Takanashi, S.Maekawa, E. Saitoh, Nature 464, 262 (2010).

[2] A. Hamadeh, O. d’Allivy Kelly, C. Hahn, H. Meley, R. Bernard, A. H. Molpeceres, V. V. Naletov, M. Viret, A. Anane, V. Cros, S. O. Demokritov, J. L. Prieto, M. Muñoz, G. de Loubens, O. Klein, Phys. Rev. Lett. 113, 197203 (2014).

[3] O. d’Allivy Kelly, A. Anane, R. Bernard, J. Ben Youssef, C. Hahn, A. H. Molpeceres, C. Carretero, E. Jacquet, C. Deranlot, P. Bortolotti, R. Lebourgeois, J.-C. Mage, G. de Loubens, O. Klein, V. Cros, A. Fert, Appl. Phys. Lett. 103, 082408 (2013).

[4] C. Hahn, G. de Loubens, O. Klein, M. Viret, V. V. Naletov, J. Ben Youssef, Phys. Rev. B 87, 174417 (2013).

[5] C. Hahn, G. de Loubens, M. Viret, O. Klein, V. V. Naletov, J. Ben Youssef, Phys. Rev. Lett. 111, 217204 (2013).

[6] V. E. Demidov, S. Urazhdin, E. R. J. Edwards, M. D. Stiles, R. D. McMichael, S. O. Demokritov, Phys. Rev. Lett. 107, 107204 (2011).

[7] C. Hahn, V. V. Naletov, G. de Loubens, O. Klein, O. d’Allivy Kelly, A. Anane, R. Bernard, E. Jacquet, P. Bortolotti, V. Cros, J. L. Prieto, M. Muñoz, Appl. Phys. Lett. 104, 152410 (2014).

[8] O. Klein, G. de Loubens, V. V. Naletov, F. Boust, T. Guillet, H. Hurdequint, A. Leksikov, A. N. Slavin, V. S. Tiberkevich, N. Vukadinovic, Phys. Rev. B 78, 144410 (2008).

[9] J. Xiao and G. E. W. Bauer, Phys. Rev. Lett. 108, 217204 (2012)


Contacts: Grégoire de Loubens, Olivier Klein