Dans le domaine de la nanophotonique, l’organisation spatiale de molécules optiquement actives, permet de contrôler et renforcer leur activité (par exemple pour la conversion de l’énergie solaire). Ceci peut être réalisé par dépôt sur une surface, mais les molécules doivent rester isolées de celle-ci pour fonctionner efficacement. Une équipe du Laboratoire de chimie des polymères (CNRS / Université Pierre et Marie Curie) et des chercheurs de l’Institut Rayonnement Matière de Saclay (IRAMIS/SPCSI, CEA) proposent une stratégie originale pour contrôler l’organisation des molécules déposées sur une surface tout en préservant leur fonctionnalité. Pour cela, ils réalisent des tectons [1] tridimensionnels possédant une face qui contrôle l’auto-assemblage sur la surface, l’autre face étant constituée par la molécule active. Les deux entités sont reliées entre elles par un pilier de longueur variable pour découpler efficacement la composante active de la surface. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
Afin d’atteindre les limites ultimes de miniaturisation permises par les nanotechnologies, l’approche ascendante (dite « bottom-up ») à partir de l’assemblage d’éléments individuels est de plus en plus utilisée. Dans la réalisation de capteurs, de composants ou de circuits actifs, l’intégration massive de ces éléments fonctionnels impose leur auto-organisation. Il faut ainsi concevoir des briques moléculaires élémentaires permettant cette mise en ordre, par exemple par déposition sur une surface, tout en préservant leur fonctionnalité.
Jusqu’à maintenant, les motifs réalisés étaient principalement bidimensionnels (2D) impliquant des molécules essentiellement planes, plus aptes à interagir avec la surface. Or les molécules « actives » ne doivent pas être en contact direct avec la surface ni avec leurs plus proches voisines sous peine de perdre leurs caractéristiques intrinsèques. Ainsi, la réalisation de composants ou circuits électroniques ou photoniques, requiert d’isoler la partie active des molécules de la surface ce qui ne peut-être envisagé que dans des structures tridimensionnelles (3D). L’objectif est donc de réaliser un assemblage de molécules s’assemblant selon un pavage régulier bien contrôlé et dont le bloc actif reste à distance de la surface support.
Traditionnellement, la nanostructuration d’une surface à l’échelle moléculaire est réalisée par l’auto-assemblage bidimensionnel (2D) de molécules planes (appelées briques élémentaires ou tectons [1]), les molécules étant adsorbées directement sur la surface ce qui altère leur fonctionnalité. Une stratégie d’auto-assemblage également très souvent utilisée consiste à greffer sur la surface l’extrémité de chaînes moléculaires, dont l’autre extrémité est terminée par la fonction désirée. Dans cette approche il est toutefois difficile de contrôler l’ordre latéral c’est-à-dire l’organisation au-dessus de la surface des molécules fonctionnelles les unes par rapport aux autres.
Dans ce contexte, les équipes franciliennes proposent une nouvelle approche totalement inédite qui repose sur la conception de nouvelles molécules : des tectons 3D à deux faces (Figure 1) (nouveau concept de tecton « Janus »). Une face (A), apte à contrôler l’auto-assemblage 2D (Figure 2) (ici sur une surface de graphite HOPG), joue le rôle de base, l’autre face (B) est constituée du bloc moléculaire actif. Ces deux entités sont reliées par un pilier rigide de hauteur variable pour contrôler la distance et donc l’interaction de la molécule active avec la surface (Figure 1). Après adsorption sur une surface de graphite, on observe par microscopie à effet tunnel (STM) que le tecton « Janus » se pose effectivement sur sa base (face A) et que seule cette dernière guide l’auto-assemblage sur la surface. L’organisation de l’assemblée de blocs actifs au sommet des piliers, est ainsi parfaitement contrôlée. L’accès à la 3ème dimension par cette voie, complètement originale, constitue une rupture par rapport à la majorité des travaux antérieurs.
[1] Tectons : molécules possédant des forces associatives particulières qui favorisent l’auto-assemblage pour former des réseaux organisés.
De plus, la conception de tectons « Janus » étant très flexible, il est possible de modifier la face inférieure pour changer l’organisation du réseau de piliers et par conséquent l’organisation du réseau de molécules actives, ou pour déposer le tecton sur d’autres surfaces. On peut également envisager de faire varier la nature du bloc actif selon les applications recherchées avec des molécules présentant des propriétés optiques, des nanofils conducteurs, des entités magnétiques, des récepteurs/donneurs de liaisons hydrogène pour des capteurs par reconnaissance moléculaire, etc… permettant ainsi une large ouverture technologique potentielle.
a) Image STM (50 x 50 nm2). des molécules auto-assemblées sur une surface de graphite. Deux orientations sont possibles (surlignées en bleu) pour le bloc actif par rapport au bloc support comme illustré sur le zoom (b) (gris : bloc support inférieur; bleu : squelette du bloc supérieur actif ; rouge : oxygène; jaune: soufre).
Référence : – Janus-like 3D tectons: self-assembled 2D arrays of functional units at a defined distance from the substrate D. Bléger, F. Mathevet, D. Kreher, A.-J. Attias, A. Bocheux, S. Latil, L. Douillard, C. Fiorini-Debuisschert and F. Charra, Angew. Chem. Int. Ed. 50(29) (2011) 6562. |
Communiqué CNRS (en direct des laboratoires 18/07/2011) :
– Comment maîtriser l’organisation de molécules au-dessus des surfaces ?
Faits marquants IRAMIS sur le sujet :
– Assemblages moléculaires : du 2D au 3D.
– Clips moléculaires : pour un nouveau jeu de construction dans le nanomonde.
– Un agent pour réguler le trafic moléculaire.
Contacts :
- André-Jean Attias, Laboratoire de Chimie des Polymères (Paris)
- Fabrice Charra, IRAMIS/SPCSI (CEA-Saclay)