Interférométrie à deux électrons dans le graphène

Interférométrie à deux électrons dans le graphène

Une collaboration internationale menée par une équipe du SPEC est parvenue à réaliser une interférence à deux électrons, en réalisant la superposition cohérente de deux fonctions d’onde électronique dans un interféromètre de type Mach-Zehnder en graphène.

Les interférences entre ondes électroniques, générés à la demande par des impulsions de tension, permettent d’explorer leur cohérence et leur nature statistique. L’analyse du bruit de grenaille a ainsi permis de révéler à la fois l’interférence entre deux excitations électroniques de type Hong-Ou-Mandel (pour deux fermions indiscernables, comme les électrons, les particules doivent nécessairement se séparer pour passer chacune par un des chemins de l’interféromètre) et l’interférence de type Aharonov-Bohm, fonction du flux de potentiel vecteur du champ magnétique externe appliqué. Un contraste d’environ 60 % permet une tomographie complète de l’état quantique. Ces résultats ouvrent la voie à la réalisation de dispositifs portés par des feuillets de graphène, permettant des opérations cohérentes sur des qubits volants.


Les plateformes actuelles de calcul quantique reposent principalement sur des architectures composées de micro-circuits interconnectés de type supraconducteur ou à spin, où chaque composant élémentaire est porteur d’un unique système localisé à deux niveaux, appelé qubit. Ces architectures sont intégrables et l’interconnexion des éléments permet l’intrication des qubits. Chaque qubit nécessite cependant un support matériel dédié, ce qui est une limite forte à une intégration massive.

De leur côté, les technologies quantiques photoniques utilisent des particules qui se propagent – des qubits « volants » – permettant à plusieurs qubits de partager simultanément une même infrastructure physique. Ces qubits volants offrent deux avantages majeurs : un encombrement matériel réduit et une connectivité élevée, indépendante du nombre de qubits. Grâce à leur forte cohérence et la possibilité de les générer un par un de façon déterministe, les photons sont largement utilisés comme qubits volants. Toutefois, leur propagation à la vitesse de la lumière empêche les manipulations dynamiques en cours de propagation, et leur faible interaction nécessite des méthodes complexes pour réaliser leur intrication. Une alternative prometteuse émerge avec les qubits volants électroniques, que l’on peut générer par des excitations de charge unique. De plus, contrairement aux photons, les électrons interagissent via l’interaction de Coulomb, ce qui permet la réalisation de portes logiques à deux qubits [1].

La manipulation cohérente de particules uniques permet d’explorer leur nature ondulatoire et de les utiliser pour le traitement de l’information quantique. En particulier, l’arrivée simultanée de particules identiques sur chacune des entrées du séparateur de faisceau d’un interféromètre révèle des effets d’interférence (effet de Hong-Ou-Mandel – HOM) liés à leur statistique quantique : deux électrons, en tant que fermions, ne peuvent pas se retrouver dans un même état au même endroit, ce qui conduit à un « antibunching » caractéristique en sortie d’interféromètre. Un circuit interférométrique permettant l’observation de tels effets quantiques nécessite des sources d’électrons cohérents à émission contrôlée [2], des canaux balistiques, tels que ceux présents en bord d’échantillon dans l’effet Hall quantique, et une structure d’interféromètre.  L’ensemble devant être capable de préserver la cohérence.

Dans le présent travail publié dans la revue Science, les auteurs rapportent la première collision cohérente de deux électrons (i.e. interférences entre deux excitations de paires électron-trou) dans un interféromètre de type Mach-Zehnder . Le choix de réaliser le circuit actif avec un feuillet de graphène, qui possède des propriétés de conduction bien spécifiques, est ici essentiel. Les excitations électroniques uniques (de type léviton*) sont générées à la demande via des impulsions de tension contrôlées en temps. À basse température, un champ magnétique intense (9 T) place le système dans le régime de l’effet hall quantique, qui ouvre en bord d’échantillon des canaux de conduction pour les excitations électroniques quantifiés qui interfèrent dans l’interféromètre. Le bruit de grenaille mesuré en sortie du dispositif en fonction du décalage temporel entre les impulsions et du flux magnétique traversant chaque boucle de conduction (interférence liée à l’effet Aharonov-Bohm) révèle des signatures fondamentales de la collision entre deux électrons [3].


Interféromètre de Mach-Zehnder en graphène. Des impulsions électroniques, pouvant être décalées dans le temps de façon contrôlée, sont générées aux deux entrées de l’interféromètre CL et CR. La fermeture de chacun des 2 circuits bleu et rouge permet la circulation des qubits volants générés. Deux grilles séparatrices définissent en SG1 les deux canaux adjacents (rouge et bleu) où les deux ondes se combinent, puis d’observer en sortie de SG2 leur état d’interférence par la mesure de IL et IR.

De récents financements européens et nationaux [4] vont permettre à l’équipe d’élargir cette thématique de recherche en explorant des impulsions temporelles ultracourtes (< 1 ps), permettant de minimiser les effets de décohérence. Par ailleurs, la réalisation d’un dispositif à base de graphène multicouches, qui a récemment révélé des propriétés exceptionnelles, telles que la supraconductivité et l’effet Hall Quantique fractionnaire [5], doit permettre d’explorer plus largement les effets quantiques associés aux qubits volants portés par le graphène. Ceci ouvre la voie à la conception de nouveaux dispositifs permettant le transfert d’information quantique et d’explorer de nouvelles signatures de la statistique fractionnaire de quasiparticules de type anyons.


Références :

[1] ERC starting grand, Cohegraph (2016-2022)

[2] Emission and coherent control of levitons in graphene, A. Assouline, L. Pugliese, H. Chakraborti, Seunghun Lee, L. Bernabeu, M. Jo, K. Watanabe, T. Taniguchi, D.C. Glattli, N. Kumada, H.-S. Sim, F.D. Parmentier, P. Roulleau, Science, 382 (2023) 6676.

[3] Electron collision in a two-path graphene interferometer,
H. Chakraborti, L. Pugliese, A. Assouline, K. Watanabe, T. Taniguchi, N. Kumada, D.C. Glattli, M. Jo, H.-S. Sim, P. Roulleau, Science, 388 (2025) 6746.

[4] PEPR e-qubit FLFY (2024-2029), EIC Pathfinder FLATS (2023-2027), EIC Pathfinder ELEQUANT (2025-2029)

[5] Signatures of chiral superconductivity in rhombohedral graphene,
Tonghang Han et al., Nature (2025)

*Léviton et qubit volant : voir le fait marquant : « Contrôle d’un qubit volant dans le graphène » (2024) – Un léviton est l’injection d’un unique électron sous la forme d’une impulsion lorentzienne, évitant toute excitation parasite des autres électrons du système.


Contact CEA-IRAMIS : Preden Roulleau et Léo Pugliese (SPEC/Groupe Nanoélectronique)

Collaboration :