Si le transport électrique usuel nous est familier (tension, courant, résistance électrique, …), les phénomènes de transport de charge dans un conducteur quantique suivent des lois probabilistes bien différentes. A très basse température, cet aspect probabiliste et le caractère individuel des charges conduit à l'apparition d'un bruit spécifique, appelé « bruit de grenaille ». Le passage des charges « une par une » peut conduire à des excitations électroniques, mais aussi, par effet d'antenne, à des excitations du champ électromagnétique externe au conducteur. Cette excitation du champ agit à son tour par rétroaction sur le transport électronique. D’un point de vue formel, cette rétroaction apparaît comme la conséquence des fluctuations quantiques de la tension aux bornes de la jonction.
La compréhension de ce couplage matière-rayonnement dans les circuits électriques est une étape cruciale pour l’élaboration de dispositifs exploitant le caractère quantique du transport électronique. Les groupes « Nanoélectronique » et « Quantronique » du SPEC, en collaboration avec le Laboratoire de Physique du Solide de l'Univ. Paris-Sud, ont franchi une étape importante dans cette direction en établissant de façon théorique et expérimentale l’effet de l’environnement électromagnétique sur la dynamique du transfert de charge dans une jonction tunnel.
La situation de couplage entre charges en mouvement dans un conducteur et rayonnement est par bien des aspects similaire à celle d’un atome couplé au rayonnement électromagnétique. Cependant, contrairement à un atome, un solide est un conducteur quantique polarisé qui constitue un système ouvert, avec une structure de bande continue d'énergies accessibles aux électrons, ne pouvant donc pas être réduit à un spectre d’états discrets. En outre, comme le paramètre sans dimension qui gouverne l’importance des effets de couplage entre la matière et le rayonnement, est donné, dans le cas des systèmes atomiques, par la constante de structure fine α ≃1/137, ceux-ci sont alors en général assez faibles. En revanche, dans le cas d’un conducteur quantique, ce paramètre est donné par l’impédance caractéristique du circuit, divisé par le quantum de résistance h/e2 = 25.8 kΩ. Un design astucieux permet donc d’augmenter cette valeur pour atteindre un régime de couplage fort dont la compréhension reste à ce jour un problème ouvert. Au-delà de son intérêt fondamental, la compréhension du couplage matière rayonnement dans les circuits électriques est une étape cruciale pour l’élaboration de dispositifs exploitant le caractère quantique du transport électronique.
Nous avons franchi une étape importante dans cette direction en établissant de façon théorique et expérimentale l’effet de l’environnement électromagnétique sur la dynamique du transfert de charge dans une jonction tunnel couplée à un circuit d’impédance arbitraire. L’expérience consiste à coupler une jonction tunnel à un résonateur micro-onde dont l’impédance est augmentée grâce à un réseau de SQUID de forte inductance, et à mesurer à la fois la réponse de la jonction à une excitation dépendante du temps (son admittance) et les fluctuations quantiques du courant qui la traverse. Au-delà de la vérification de nos prédictions théoriques, les techniques développées pour cette expérience sont directement applicables à d’autres conducteurs quantiques, comme des points contacts quantiques ou des « quantum dots », pour lesquels notre théorie ne s’applique pas. La mesure quantitative de la conductance (dissipation) et du bruit en courant (fluctuation) nous a également permis d’établir l’existence de relation fluctuation-dissipation pour un conducteur quantique soumis à une excitation présentant de fortes fluctuations quantiques.
- Blocage de Coulomb Dynamique : Le circuit est composé d'une jonction tunnel en série avec une impédance Z(ν) que l’on peut toujours modéliser comme une série d’oscillateurs harmoniques (de fréquences caractéristiques ν). L'ensemble est polarisée par une tension continue, dont les fluctutations quantiques aux bornes de la jonction induisent le transfert d'électrons par effet tunnel inélastique. L’émission de « photons » dans l’impédance Z(ν), modifie la dynamique du transfer de charge à travers la jonction. Plus Z(ν) augmente, plus ces effets sont importants.
- Principe de l’expérience : pour exacerber les effets de blocage de Coulomb, nous avons augmenté l’impédance d’un résonateur microonde en le dopant avec un réseau de SQUID. Ce résonateur sert à la fois à renforcer les fluctuations quantiques au niveau de la jonction, et à sonder la dynamique des charges qui la traverse, aussi bien à haute fréquence qu’à basse fréquence.
Références:
– Dynamical coulomb blockade of shot noise,
C. Altimiras, O. Parlavecchio, P. Joyez, D. Vion, P. Roche, D. Esteve, and F. Portier, Phys. Rev. Lett. 112, 236803 (2014).
– Fluctuation-dissipation relations of a tunnel junction driven by a quantum circuit,
O. Parlavecchio, C. Altimiras, J.-R. Souquet, P. Simon, I. Safi, P. Joyez, D. Vion, P. Roche, D. Estève, F. Portier, arXiv:1409.6696.
Contact CEA-IRAMIS/SPEC : Fabien Portier.
Collaboration : Groupes « Nanoélectronique » et « Quantronique » de l'IRAMIS/SPEC et Laboratoire de Physique du Solide de l'Université Paris-sud, Orsay.