L’émission spontanée de rayonnement est l’un des mécanismes fondamentaux par lesquels un système quantique excité retourne à l’équilibre. Dans l’espace libre, le taux d’émission spontanée, pour le retour de spins excités vers leur état fondamental, est cependant extrêmement faible (un photon émis tous les 30 000 ans !). Le temps de relaxation T1 de retour des spins à l’équilibre peut alors devenir excessivement long à basse température, rendant de nombreuses mesures tout simplement impossibles. En 1946, Purcell réalisa que la probabilité d’émission spontanée peut être fortement augmentée si un système quantique est placé dans une cavité accordée à sa fréquence de résonance [1]. Dans un article publié par la revue Nature [2]., une collaboration CEA / LCN / Université de Berkeley rapporte la première application de cet « effet Purcell » à des spins électroniques dans les solides. En couplant le spin de donneurs dans le silicium à une cavité micro-onde supraconductrice de facteur de qualité élevé et de faible volume de mode, les auteurs atteignent le régime où l’émission spontanée constitue le mode dominant de relaxation. Cela se traduit par une diminution de 3 ordres de grandeur du temps de relaxation – de 1 000 s à 1 s – lorsque la fréquence de résonance des spins est accordée à résonance avec la cavité, prouvant ainsi que la relaxation de spin peut être contrôlée à la demande.
Les applications de cs résultat sont à chercher du côté de la résonance paramagnétique électronique (RPE) et de l’information quantique. En RPE, le contrôle de la relaxation de spin par la cavité devrait résoudre le problème des temps de relaxation excessivement longs à basse température, et aussi ouvrir la voie à de nouveaux protocoles de polarisation dynamique de spin nucléaire . En information quantique, ces résultats constituent un pas important vers le couplage cohérent d’un spin à des photons micro-ondes, qui pourrait mener à plus long terme vers le développement d’un futur processeur quantique basé sur des spins individuels.
La relaxation de spin est le processus par lequel un spin atteint l’équilibre thermique en échangeant un quantum d’énergie ħωS avec son environnement (ωS étant sa fréquence de résonance), sous la forme par exemple d’un photon ou d’un phonon (voir figure ci-dessous). La compréhension et le contrôle de la relaxation de spin est d’importance essentielle dans certains domaines tels que la spintronique, l’information quantique, et la spectroscopie de résonance magnétique ainsi que l’imagerie. Pour ces applications, le temps de relaxation de spin T1 doit être suffisamment long pour permettre la manipulation cohérente du spin ; cependant, si T1 est trop long, il devient un obstacle majeur qui limite le taux de répétition d’une expérience, ce qui impacte directement la sensibilité maximale que l’on peut atteindre. Certains types de spins peuvent être relaxés dans leur état fondamental par des méthodes optiques ou électriques grâce à leur schéma de niveau spécifique ; néanmoins, une méthode efficace et générale d’initialisation du spin à la demande n’est pas disponible aujourd’hui.
A première vue, l’émission spontanée n’est pas un candidat prometteur pour cette tâche : par exemple, le retournement radiatif d'un spin électronique dans l’espace libre, à une fréquence typique de ωS /2π =8 GHz, se produit spontanément tous les 30 000 ans. Dans un article historique, le prix Nobel E. Purcell a proposé un moyen d’exalter dramatiquement l’émission spontanée : considérant un système à 2 niveaux inséré dans une cavité micro-onde de facteur de qualité Q et de fréquence ω0 (voir figure), si le taux d’amortissement de la cavité κ=ω0/Q est plus grand que g la constante de couplage entre le spin et le champ dans la cavité, le taux d’émission spontanée de photons à-travers la cavité Γp est donné par la formule de Purcell qui prédit que Γp=κg2/ (δ2+κ2/4), δ= ωS-ω0 étant le désaccord entre la fréquence de résonance de la transition et celle de la cavité.
Ce taux d’émission spontanée à-travers la cavité peut être beaucoup plus grand que dans l’espace libre, et est maximum à la résonance (δ=0 ) auquel cas Γp=4g2/κ. Une signature frappante de l’effet Purcell est que Γp dépend fortement du désaccord δ, ce qui permet de contrôler la relaxation à la demande. L’effet Purcell a été observé avec des atomes réels et artificiels tels que des boîtes quantiques, et est à la base des sources de photons uniques les plus avancées. Bien qu'activement recherché, il n'avait jusqu'à présent jamais été observé pour des transitions de spin électronique dans le domaine microonde,
Pour atteindre le régime où l’effet Purcell est le mécanisme dominant de relaxation des spins, il est nécessaire d’obtenir à la fois un fort couplage entre le spin et la cavité micro-onde, ainsi qu’une cavité sans pertes internes. Les auteurs ont réussi cela en réalisant la cavité avec des matériaux supraconducteurs, permettant d’obtenir un facteur de qualité très élevé, et en réduisant ses dimensions transverses à une taille de quelques microns afin de confiner au maximum le champ micro-onde vu par les spins (voir figure).
en combinant le confinement micro-onde procuré par un résonateur ayant une taille caractéristique de l’ordre du micron avec les facteurs de qualité très élevés obtenus grâce à l’utilisation d’une cavité supraconductrice. Cette cavité est déposée sur un substrat de silicium dans laquelle des atomes de bismuth ont été implantés. Le bismuth agit dans le silicium comme un donneur d’électrons ; à basse température, chaque atome de bismuth piège un électron dont la fréquence de résonance pour le retournement du spin est contrôlée en appliquant un champ magnétique statique. La détection des transitions de spin est effectuée grâce à un spectromètre ultra-sensible développé au laboratoire, fonctionnant à une température de 10 mK [2].
L’expérience consiste très simplement à mesurer le temps de relaxation T1 des spins en fonction du désaccord avec la cavité δ, fonction du champ magnétique appliqué. Le résultat montre que T1 varie de 3 ordres de grandeur entre le cas δ=0, pour lequel T1 = 1 s, et le plus fort désaccord mesuré pour lequel on mesure T1 = 1500 s, (voir figure). Cette dépendance frappante constitue une preuve irréfutable que la relaxation des spins est bel est bien limitée par l’émission spontanée lorsque δ=0. Les mesures de T1 (δ) sont par ailleurs quantitativement reproduites par la formule du taux Purcell, auquel on a ajouté une contribution de relaxation non-radiative qui limite T1 à 1 500 s dans la limite des forts désaccords.
La capacité de moduler la relaxation de spin de 3 ordres de grandeur en changeant le champ magnétique appliqué par moins de 0.1 mT ouvre de nouvelles perspectives pour l’information quantique à base de spins : de longs temps de relaxation intrinsèques, désirables pour maximiser le temps de cohérence des spins, sont compatibles avec une initialisation rapide et à la demande du spin dans son état fondamental. De la même manière, la capacité d’accélérer la relaxation de spin à la demande permettra d’effectuer des mesures, autrement impossibles, de résonance électronique de spins à très basse température. La relaxation Purcell pourrait aussi offrir une nouvelle approche à la polarisation dynamique nucléaire, par exemple en accordant la cavité à la fréquence d’une transition combinée de spin électronique et nucléaire, ce qui permettrait de favoriser la relaxation vers l’état de spin nucléaire désiré. Enfin le taux Purcell obtenu pourrait être augmenté encore plus en réduisant les dimensions transverses de notre cavité micro-onde, permettant de réduire T1 à résonance jusqu’à 1 milliseconde, ce qui augmenterait la sensibilité de notre détecteur et ouvrirait la possibilité d'atteindre la sensibilité ultime : la mesure de la résonance magnétique d’un spin unique.
Références :
[1]« Spontaneous emission probabilities at radio frequencies », E. Purcell, Phys. Rev. 69, B10 681 (1946).
[2] « Controlling spin relaxation with a cavity », A. Bienfait, J.J. Pla, Y. Kubo, X. Zhou, M. Stern, C.C. Lo, C.D.Weis, T. Schenkel, D. Vion, D. Esteve, J.J.L. Morton, and P. Bertet, Nature (2016), in press. |
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Voir aussi :
[3] « Reaching the quantum limit of sensitivity in electron spin resonance »,
A. Bienfait, J. J. Pla, Y. Kubo, M. Stern, X. Zhou, C. C. Lo, C. D. Weis, T. Schenkel, M. L. W. Thewalt, D. Vion, D. Esteve, B. Julsgaard, K. Mølmer, J. J. L. Morton, and P. Bertet, Nature Nanotechnology (2015), advance on line publication.
et le fait marquant associé : Sensibilité record pour la détection de spin en Résonance de Spin Electronique (ESR).
Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet Européen ERC-Consolidator porté par Patrice Bertet : « CIRQUSS – Circuit Quantum Electrodynamics with Single Electronic and Nuclear Spins« |
Contact CEA-IRAMIS : Patrice Bertet – SPEC UMR 3680– Groupe Quantronique.
Collaboration :
- J. Morton’s group London Centre for Nanotechnology, University College London, London WC1H 0AH, United Kingdom
- T. Schenkel et C. Weis Accelerator Technology and Applied Physics Division, Lawrence Berkeley National Laboratory, Berkeley, California 94720, USA
- Quantronics group, Service de Physique de l'Etat Condensé, IRAMIS/SPEC, UMR 3680 CEA-CNRS, Université Paris-Saclay, CEA Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette cedex, France.