Depuis des siècles, les physiciens s’interrogent sur la nature du vide, c’est à dire sur ce qu’il reste, quand on a tout enlevé…Une manière d’envisager ce problème est de tenter d'ouvrir le vide, un peu comme un objet dont on a envie de comprendre le fonctionnement.
L’électrodynamique quantique (QED) fournit l’image d’un ensemble de paires électrons-positrons chacune en interaction virtuelle dans le sens où leur durée de vie est infiniment brève. Dans les années 50, le physicien Julian Schwinger prédit qu'au-delà d'un éclairement lumineux supérieurs à 4.7 1029 W/cm2, il devient possible de séparer ces paires de particules et ainsi commencer à « ouvrir » le vide. Ce seuil d'éclairement est sept ordres de grandeur au-delà des records atteints avec les lasers femtoseconde les plus puissants actuels.
De nombreuses recherches poursuivies par les physiciens des lasers ultra-intenses visent à atteindre ce seuil en ajoutant un étage de compression spatio-temporelle supplémentaire à ces impulsions lasers. C'est l'enjeu des recherches de l'équipe « PHI – Physique à Haute Intensité » du LIDYL, qui montre expérimentalement que la réflexion des impulsions lasers sur un miroir plasma permet d'améliorer les records d'éclairement obtenus jusqu'à présent.
En théorie, pour séparer les paires de particules et ainsi commencer à matérialiser le vide, il suffit donc d’appliquer a minima le champ de Schwinger. Sa valeur est obtenue en multipliant la longueur caractéristique d’écrantage de l’interaction qui lie l'électron et le positron (la « longueur « Compton ») par le champ électrique, le résultat devant être supérieur à leur énergie de masse au repos (mc2). On obtient un champ E=1.32 1018 V/m, qui correspond à des éclairements lumineux supérieurs à 4.7×1029 W/cm2, très au-delà des records atteints par les lasers de type petaWatt (1015 W) les plus puissants actuellement, dont les impulsions sont focalisées sur des foyers optiques proches de la limite de diffraction.
Du fait des limites physiques et technologiques, il n’y a aucun espoir d’augmenter de sept ordres de grandeur l’énergie contenue dans les impulsions des lasers PetaWatt. Pour tenter d'atteindre le seuil de Schwinger, Il faut donc se concentrer sur les deux paramètres restants : la durée des impulsions et leur focalisation.
En 2019 des simulations PIC (Particle In Cell) en trois dimensions, réalisées au laboratoire prédisaient qu'il était possible d'augmenter l'éclairement d'un laser après réflexion sur un miroir plasma, à même de comprimer spatio-temporellement l'impulsion initiale*. C'est ce qui vient d'être vérifié expérimentalement sur le laser UHI100 du LIDYL. A ce jour, les impulsions lumineuses issues de ce laser permettent d'atteindre des éclairements de l'ordre de 1019 W/cm2.
Pour augmenter l'éclairement, l'équipe focalise ces impulsions sur un miroir, dont la surface va être instantanément ionisée pour osciller à l’échelle du cycle optique avec des vitesses proches de la vitesse de la lumière (un miroir plasma), générant par effet Doppler des longueurs d’ondes beaucoup plus courtes (génération d’harmoniques d'ordre élevé) que celle du fondamental du laser incident (800 nm), tout en incurvant la surface par pression de radiation (figure 1). La réflexion sur le miroir-plasma apporte trois effets cumulatifs qui augmentent considérablement l’intensité concentrée au foyer :
- les harmoniques générées sont de courte longueur d'onde (domaine XUV), donc peuvent être plus fortement focalisées,
- la pression de radiation agit comme un miroir parabolique dont la courbure renforce la focalisation,
- grâce à l'effet Doppler provoqué par la réflexion du laser UHI, chaque cycle optique se raccourci temporellement, ajoutant une compression temporelle et l'augmentation de la puissance instantanée.
Pour mesurer l'effet obtenu les expérimentateurs du LIDYL ont mis au point une méthode originale fondée sur la ptychographie (méthode d'imagerie sans lentille) pour caractériser les impulsions spatialement focalisées (à l'échelle du nm) et compressées temporellement (à l'échelle de l'attoseconde)**.
La figure 2 montre la reconstruction spatio-temporelle obtenue après cette réflexion, pour un champ laser incident supérieur à 1019 W/cm2.
On note que le profil spatial de la phase de l'harmonique 9 est parabolique, ce qui témoigne de l'action de la pression de radiation provoquée par la distribution d'intensité gaussienne du laser incident. Cet effet renforce la focalisation du faisceau harmonique et la concentration spatiale d'intensité. Avec les données obtenues pour toutes les harmoniques, l'impulsion au niveau du foyer peut être reconstruite par transformée de Fourier (Figure 2 à droite). Un profil d'intensité de 450 attosecondes (450 10-18 s) est ainsi mesuré, à comparer à la durée du cycle optique initial de 2.3 fs.
L'excellente compression spatio-temporelle ainsi observée dans cette expérience confirme l'effet attendu d'une réflexion sur un miroir plasma théoriquement prédite. On observe un gain d'un ordre de grandeur en intensité portant les 1019 W/cm2 initiaux à plus de 1020 W/cm2. Les lasers PetaWatt actuels permettent d'obtenir des intensités sur cible de 1022 W/cm2, ce qui, appliqué sur un miroir plasma doit permettre de gagner un facteur 1000, soit 1025 W/cm2, ce qui rapproche du seuil du « Champ de Schwinger ».
Références :
[1] « Spatio-temporal characterization of attosecond pulses from plasma mirrors »
L. Chopineau, A. Denoeud, A. Leblanc, E. Porat, P. Martin, H. Vincenti & F. Quéré, Nature Physics., Vol 17, August (2021)
[2] Achieving Extreme Light Intensities using Optically Curved Relativistic Plasma Mirrors »,
H. Vincenti, Phys. Rev. Lett.RL 123, (2019) 105001
*Miroir plasma, voir le fait marquant : « Code de calcul massivement parallèle pour une simulation ab-initio de l’interaction laser-matière à ultra-haute intensité : atteindre une compression de 1025 W.cm-2«
**Voir le fait marquant LIDYL 2022 : « Caractérisation spatio-temporelle d'impulsions attosecondes de très haute intensité par ptychographie« .
Contact CEA-IRAMIS : Philippe Martin et Henri Vincenti, (LIDYL/PHI)
Collaboration :
• Adrien Leblanc, LOA – Laboratoire d’Optique Appliquée, ENSTA-Paristech, CNRS, Ecole Polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, Palaiseau.