La réduction catalytique de composés organiques comportant des liaisons C=O suscite de nombreuses études en chimie fine pour former des molécules d’intérêt (éthers, alcools…), mais l’obtention sélective d’un produit de réaction est parfois difficile. Le choix du catalyseur et du réducteur joue ici un rôle essentiel.
L‘équipe LCMCE du NIMBE (CEA/CNRS) a utilisé pour la première fois un composé d’actinide, dérivé d’un ion très courant dans l’environnement et l’industrie nucléaire, i.e. l’ion uranyle [UO2]2+, pour effectuer la réduction catalytique d’aldéhydes par des hydrosilanes. Ce catalyseur d’uranium (VI) s’avère très efficace et, combiné avec une modulation de l’encombrement stérique du silane, permet d'obtenir sélectivement des éthers ou des alcools silylés. À partir d’études cinétiques et de caractérisation des espèces organiques formées et des complexes de l’uranyle, un mécanisme catalytique est proposé.
Actuellement de nombreuses méthodes de réduction des composés carbonylés (comportant une liaison C=O tels que les cétones, aldéhydes, esters…) sont utilisées en chimie organique pour former des molécules d’intérêt (éthers, alcools…) en chimie fine. Depuis quelques années des stratégies de réductions catalytiques de ces molécules insaturées se développent avec l’utilisation de réducteurs de type hydrosilanes* (hydrosilylation) ou boranes (BH3 ou dérivés de type RxBH3-x) pour réaliser des réductions dans des conditions douces. Alors que de nombreux composés métalliques ont été décrits pour catalyser l’hydrosilylation de composés carbonylés, aucun catalyseur d’actinide n’avait encore été rapporté.
L‘équipe LCMCE du NIMBE (CEA/CNRS), qui a longtemps travaillé sur la chimie des métaux f et principalement de l’uranium, s’intéresse depuis une petite décennie à l’activation catalytique de la liaison carbone-oxygène. Cet intérêt s’inscrit dans le cadre plus large de la chimie renouvelable (ou durable) tels que le traitement et la valorisation chimique de déchets organiques oxygénés industriels (CO2, plastiques) [1,2] et de résidus de la biomasse (lignine de bois) [3]. Du fait de la grande affinité des actinides pour les atomes d'oxygènes, les éléments f ont longtemps été négligés pour la catalyse de transformation de substrats oxygénés. Ce n’est que depuis peu que leur utilisation a été considérée avec l’uranium et le thorium [4].
*Hydrosilanes : Composé du silicium (IV) de formule générique RnSixHy, avec y > 0 et R = fragment alkyle (alcane CnH2n+2 ayant perdu un atome hydrogène).
Il apparait aujourd'hui que le triflate d’uranyle(VI), i.e. UO2(OTf)2 (CF3SO3 = OTf), précurseur préparé il y a quelques années au laboratoire [5], est un excellent catalyseur de réduction des aldéhydes aliphatiques et aromatiques en alcools sylilés ou en éthers symétriques, la sélectivité étant apportée par l’encombrement stérique de l’hydrosilane [6].
Des études cinétiques et de caractérisations des espèces intermédiaires organiques et de l’uranium, permettent d’apporter des informations sur le mécanisme probable de la catalyse. Ce travail mené par Louis Monsigny dans le cadre de sa thèse constitue un exemple rare de transformation catalytique de molécules organiques oxygénées avec un ion actinide et la première utilisation d’un élément 5f pour l‘hydrosilylation de liaison C=O. Il met de nouveau en exergue que l’uranium naturel ou appauvri (en isotope 235 radioactif), bon marché et disponible en quantité, est un métal chimiquement intéressant. Enfin, alors que l’ion uranyle(VI) est oxydant et contient des atomes d’oxygène, la réduction et la coupure de liaisons C=O et C‒O sont possibles, sans compromettre l’intégrité du « bâtonnet » uranyle.
Références :
[1] CO2 as a C1-building block for the catalytic methylation of amines
O. Jacquet, X. Frogneux, C. D. Gomes, T. Cantat, Chem. Sci. 2013, 4, 2127
A diagonal approach to chemical recycling of carbon dioxide: organocatalytic transformation for the reductive functionalization of CO2,
C. D. Gomes, O. Jacquet, C. Villiers, P. Thuéry, M. Ephritikhine, T. Cantat, Angew. Chem. Int. Ed. 2012, 51, 187
Thèse Louis Monsigny (2019) : Catalyseurs d’hydrosilylation pour la réduction de liaisons C-O dans les polymères oxygénés.
[2] Room temperature organocatalyzed reductive depolymerization of waste polyethers, polyesters, and polycarbonates,
E. Feghali, T. Cantat, ChemSusChem 2015, 8, 980
Depolymerization of waste plastics to monomers and chemicals using a hydrosilylation strategy facilitated by Brookhart’s iridium(III) catalyst”,
L. Monsigny, J.-C. Berthet and T. Cantat, ACS Sustainable Chem. Eng. 2018, 6, 8, 10481
[3] Efficient reductive depolymerization of hardwood and softwood lignins with Brookhart's iridium(III) catalyst and hydrosilanes,
L. Monsigny, E. Feghali, J.-C. Berthet and T. Cantat, Green Chem. 2018, 20, 1981
Convergent reductive depolymerization of wood lignin to isolated phenol derivatives by metal-free catalytic hydrosilylation
E. Feghali, G. Carrot, P. Thuéry, C. Genre, T. Cantat, Energy. Environ. Sci. 2015, 8, 2734
[4] Organoactinides promote the Tishchenko reaction: the myth of inactive actinide-alkoxo complexes,
T. Andrea, E. Barnea, M. S. Eisen, J. Am. Chem. Soc. 2008, 130, 2454
[5] Simple preparations of the anhydrous and solvent-free uranyl and cerium(IV) triflates UO2(OTf)2 and Ce(OTf)4 – Crystal structures of UO2(OTf)2(py)3 and [{UO2(py)4}2(μ-O)][OTf]2
J.-C. Berthet, M. Lance, M. Nierlich and M. Ephritikhine, Eur. J. Inorg. Chem. 2000, 1969
[6] Breaking C-O bonds with uranium: uranyl complexes as selective catalysts in the hydrosilylation of aldehydes
L. Monsigny, P. Thuéry, J.-C. Berthet and T. Cantat , ACS Catalysis 2019.
Contacts CEA-IRAMIS : Thibault Cantat et Jean-Claude Berthet (NIMBE/LCMCE).