Stockage de l’oxygène dans le composé multiferroïque LuFe2O4+x

Stockage de l’oxygène dans le composé multiferroïque LuFe2O4+x

Une collaboration de chercheurs issus des laboratoires CRISMAT à Caen, LLB et SOLEIL sur le plateau de Saclay et de l'Institut Gerhardt de Montpellier, vient de mettre en évidence des propriétés inédites d’absorption-restitution de l’oxygène dans une ferrite multiferroïque, ouvrant ainsi la voie à des nouvelles applications multifonctionnelles.

Définir les bonnes structures solides pour capturer, stocker ou transporter les gaz est un sujet de recherche au cœur de nombreuses applications. En ce qui concerne l'oxygène, les électrolytes solides des piles à combustibles haute température SOFC, les membranes conductrices d'ions des séparateurs de gaz, les matériaux « getter » ou encore les catalyseurs oxydants, requièrent des matériaux innovants avec des structures adaptées à leur fonction de piégeage, transport ou restitution d'oxygène. De ce point de vue, les oxydes à structure ouverte en couches méritent d'être explorés, et le composé LuFe2O4 en est une très bonne illustration. Sa structure monoclinique combine un aspect 2D dû à un empilement de couches LuO2 et Fe2O4 et une coordinance du fer assez inhabituelle, dans des bipyramides triangulaires (Figure 1).

Un autre grand intérêt de ce type de composés réside dans le fait qu’ils peuvent présenter au moins deux propriétés ferroïques couplées (magnétisme, ferroélectricité, ferroélasticité), avec la possibilité de piloter une de ces propriétés en jouant sur l’autre. L’oxyde de fer LuFe2O4 est ferroélectrique à température ambiante [1], antiferromagnétique en dessous de 250 K [2], et a beaucoup été étudié pour ses propriétés multiferroïques potentielles.

La littérature montrait cependant une grande disparité au niveau des propriétés de ce matériau, qui nous a amenés à entreprendre une étude méticuleuse, combinant diffraction de rayons X (DRX, au laboratoire et avec le rayonnement synchrotron), de neutrons et d’électrons, microscopie électronique haute résolution, analyse thermique gravimétrique, magnétométrie et résistivité électrique. Des indications de non stœchiométrie, rarement mentionnée dans la littérature, mais classique dans les oxydes complexes, nous ont conduits à mener une étude complète de l’insertion-désinsertion de l’oxygène dans cette ferrite.

Structure cristalline de LuFe2O4. Les bicouches de Fe2O4 en orange sont séparées par des couches de LuO2 en gris.

Dans LuFe2O4, le très faible excès d’oxygène se traduit par une modulation structurale incommensurable, impliquant une ségrégation en domaines plus ou moins oxygénés. Des recuits et analyse thermogravimétrique (ATG) sous atmosphère contrôlée, couplés à des études par microcopie à transmission (MET) et DRX, ont révélé qu’il était possible de faire varier le taux d’oxygène, de façon notable et contrôlée, de LuFe2O4 à LuFe2O4.5.

L’introduction de l’oxygène dans la charpente cristalline se fait par l’extension des zones modulées, suivie de glissements, couche par couche, des plans [Lu] et [Fe] les uns par rapport aux autres, jusqu’à l’obtention d’une nouvelle structure monoclinique (M’) (Voir figure ci-contre). Cette structure (O4.5) est très stable, jusqu’à 700°C sous la même atmosphère, mais des recuits réducteurs (sous Ar/H2) restaurent la structure initiale (O4). Ce mécanisme d’insertion et désinsertion est « topotactique », c’est-à-dire qu'il peut se produire en phase solide sans modification notable de la structure du matériau, qui est préservée malgré les glissements. Ces mécanismes de glissements relatifs des couches sont en effet connus pour accommoder la non stœchiométrie et éviter l’effondrement des structures.

Mécanisme d’insertion de l’oxygène par glissement des plans [Lu] et [Fe].

Ce matériau présente ainsi une capacité de stockage de l’oxygène de 1642 µmol O g-1, et au moins cinq cycles consécutifs d’oxydation/réduction sont réalisables sans dégradation [3]. Cet ensemble de propriétés – conditions de réaction à basses températures, grande sensibilité à la teneur en oxygène, stabilité – permet d’envisager l’utilisation de ce matériau dans des systèmes de type capteurs d’oxygène, piles à combustible à oxydes solides (SOFC) ou catalyseurs pour la dégradation des alcanes et polluants.

L’intérêt des composés de type LnFe2O4 (Ln= Y et Ho à Lu) est renforcé par cette découverte : avec cette nouvelle propriété – la capacité de stockage d'une forte teneur en oxygène – une nouvelle voie vers la multifonctionnalité est ouverte.

Contact IRAMIS : F. Damay (LLB).


Références :

[1] « Ferroelectricity from iron valence ordering in the charge-frustrated system LuFe2O4« 
N. Ikeda, H. Ohsumi, K. Ohwada, K. Ishii, T. Inami, K. Kakurai, Y. Murakami, K. Yoshii, S. Mori, Y. Horibe and H. Kitô, Nature 436, 1136 (2005).

[2] « Evidence of magnetic phase separation in LuFe2O »
J. Bourgeois, G. André, S. Petit, J. Robert, M. Poienar, J. Rouquette, E. Elkaïm, M. Hervieu, A. Maignan, C. Martin, and F. Damay, Phys. Rev. B 86, 024413 (2012).

[3] « Oxygen storage capacity and structural flexibility of LuFe2O4+x (0≤x≤0.5) »
M. Hervieu, A. Guesdon, J. Bourgeois, E. Elkaïm, M. Poienar, F. Damay, J. Rouquette, A. Maignan & C. Martin, Nature Materials 13, 74 (2014).


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