CEA
CNRS
Univ. Paris-Saclay

Service de Physique de l'Etat Condensé

13 octobre 2016
Un réseau bidimensionnel d’aimants moléculaires contrôlés par la lumière
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Contrôler l’aimantation d’un réseau bidimensionnel de molécules à l’aide de la lumière, c’est ce que viennent de démontrer des équipes du Laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques, de l’Institut de Chimie Moléculaire et des Matériaux d’Orsay, et du Service de Physique de l’Etat Condensé de Saclay. Dans des travaux publiés dans Nature Communications, ces chercheurs ont démontré expérimentalement et théoriquement la possibilité de faire transiter des molécules d’un état non-magnétique vers un état magnétique, à l’aide d’une irradiation laser, et sous contrôle de la pointe d’un microscope électronique à effet tunnel (STM). Ce travail ouvre des perspectives prometteuses dans le contrôle à l’échelle moléculaire de couches magnétiques bidimensionnelles.

 

 

Les molécules dites à transition de spin (spin cross-over) possèdent la propriété unique de pouvoir transiter d’un état non-magnétique vers un état magnétique par le biais d’une excitation lumineuse par exemple. De ce fait, ces systèmes présentent un intérêt majeur dans la conception de nouveaux composants électroniques pour la spintronique moléculaire. Malheureusement, cette transition implique des distorsions structurelles, internes à la molécule mais dépendantes de l’environnement, qu’il est indispensable de comprendre à l’échelle de la molécule, sous peine de modifier l’état de spin en dimension réduite, voire même de supprimer la possibilité de transition dans le cas d’une monocouche monomoléculaire. En conséquence, l’étude du comportement structurel et magnétique d’une monocouche de molécules à transition de spin représente un enjeu fondamental pour la compréhension de ces systèmes. Pour la première fois, trois équipes, respectivement au MPQ, à l’ICMMO et au SPEC, ont observé et interprété en commun l’induction de la transition par irradiation lumineuse, ainsi que la propagation de la phase magnétique, signature d’un effet collectif dans la monocouche.

Dans un premier temps, les chercheurs ont étudié par STM une monocouche de molécules à transition de spins déposées sur une surface d’or, en l’absence d’irradiation laser. Des calculs réalisés en parallèle dans le cadre de la Théorie de la Fonctionnelle de la Densité (DFT) ont permis de caractériser sans ambigüité l’état de spin des molécules observées sur la surface et ont ainsi fourni la grille de lecture nécessaire à la bonne analyse des images STM. Celles-ci ont fini par révéler la formation d’un ordre à longue portée, sous la forme d’une superstructure alternant une molécule dans l’état magnétique et deux molécules dans l’état non-magnétique. Cet ordre correspond de fait à une nouvelle phase thermodynamique de molécules à transition de spin en basse dimensionnalité.

 
Un réseau bidimensionnel d’aimants moléculaires contrôlés par la lumière

(a) Schéma de la molécule à transition de spin (gris : carbone, bleu : azote, rose : bore, rouge : fer, et blanc : hydrogène). (b) Image STM (acquise à 0.3 V en mode hauteur constante) qui montre la superstructure mixte des molécules déposées sur une surface d’or : sur trois molécules, deux sont dans l’état non-magnétique (point rouge sombre) et une est dans l’état magnétique (point rouge brillant). En insert, image STM topographique acquise à -1.5 V qui montre l’ensemble du cristal moléculaire (molécules magnétiques et non-magnétiques indifférenciées). Les vecteurs de réseau du cristal (A et B, en noir) et de la superstructure (a et b, en blanc) sont également représentés. (c) Densité d’états (DOS) calculée en DFT de l’atome de fer central de la molécule pour les états non-magnétique (S=0) et magnétique (S=2), qui montre la position correspondante des états moléculaires HOMO et LUMO. L’état LUMO pour la molécule magnétique à 0.3 V, indiqué par la flèche, contribue à la brillance des points sur l’image STM. Le panel supérieur montre la DOS du ligand de la molécule, qui ne présente pas d’état au niveau de l’énergie d’observation expérimentale.

Plus précisément, l’étude théorique du système a permis de montrer que le paramètre qui contrôle le magnétisme moléculaire est l’allongement de la « cage moléculaire » selon l’axe de la molécule, c’est-à-dire la distance entre les atomes d’azote et l’atome de fer la constituant (Fig. 1a). Cette déformation est favorisée par le dépôt de la monocouche sur la surface d’or, les interactions intermoléculaires étant responsables de la formation d’une superstructure incommensurable avec la surface (Fig. 1b). En outre, une analyse poussée des orbitales moléculaires pour les états magnétique et non-magnétique des molécules a révélé une différence de symétrie des orbitales dans ces deux états. En effet, à la tension d’observation expérimentale de +0.3 V, la première orbitale moléculaire inoccupée (LUMO) de la molécule dans l’état non-magnétique, dans laquelle sont injectés les électrons, n’est pas accessible (Fig. 1c), ce qui se traduit par une tache sombre sur l’image STM. En revanche la molécule dans l’état magnétique possède son premier état inoccupé (LUMO) à cette énergie, ce qui donne lieu à une tache brillante sur l’image expérimentale (Fig. 1b). Ce comportement est inversé pour des tensions négatives lorsque les électrons sont éjectés de la dernière orbitale occupée (HOMO). Cette analyse permet d’identifier clairement les deux états magnétiques dans l’assemblée de molécules observée expérimentalement.

Les chercheurs ont ensuite étudié le comportement du système lorsque celui-ci est irradié localement par un faisceau laser de lumière bleue. Leurs résultats montrent que la lumière permet d’induire la transition entre état non-magnétique et état magnétique, pour recréer une nouvelle superstructure moléculaire métastable alternant une molécule non-magnétique et une molécule magnétique. On peut ainsi observer des effets coopératifs entre les molécules, puisque la transition non-magnétique magnétique se propage de proche en proche. Après extinction du faisceau laser, le réseau moléculaire relaxe à nouveau vers sa structure originale.

Cette étude offre donc pour la première fois la possibilité d’induire par irradiation lumineuse une transition de spin moléculaire en surface, puis de caractériser la propagation de la phase magnétique. Elle révèle l’importance des effets collectifs ainsi que des fluctuations de la phase magnétique à très basse température (4.6 K) dans les couches moléculaires. Elle ouvre ainsi la voie au contrôle de la bistabilité de molécules à transition de spin dans des molécules organisées en surface, avec des perspectives prometteuses pour la spintronique moléculaire.

 

Référence:

Molecular scale dynamics of light-induced spin crossover in a two-dimensional layer, K. Bairagi, O. Iasco, A. Bellec, A. Kartev, D. Li, J. Lagoute, C. Chacon, Y. Girard, S.Rousset, F. Miserque, Y. J. Dappe, A. Smogunov, C. Barreteau, M.-L. Boillot, T. Mallah and V. Repain, Nature Communication 7, 12212 (2016)

Contacts CEA : Yannick Dappe et Alexander Smogunov, DRF/IRAMIS/SPEC, Groupe Modélisation et Théorie (GMT)

Collaboration:

 
#2637 - Màj : 03/11/2016

 

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