Simulations numériques et calcul à haute performance

Introduction

Les simulations numériques sont un outil essentiel pour concevoir des expériences, supporter l’analyse des résultats expérimentaux et explorer des scénarios physiques qui ne sont pas directement accessibles en laboratoire (par exemple des plasmas astrophysiques).

Le groupe PHI est engagé dans plusieurs activités numériques, qui vont du développement de codes de simulations à l’état de l’art (e.g., WarpX, prix Gordon Bell en 2022) à la réalisation de simulations numériques sur les superordinateurs les plus puissantes au monde pour simuler

des schémas avancés d’accélérateurs laser-plasma ou des schémas pour étudier avec des lasers très intenses l’électrodynamique quantique dans un régime virtuellement inexploré.

Le groupe PHI s’intéresse aussi à l’étude du transfert radiatif, qui est un processus essentiel dans la physique du confinement inertiel et en astrophysique; l’étude de l’absorption du  rayonnement XUV par les plasmas se situe dans ce contexte. Enfin notre groupe participe à l’interprétation de résultats obtenus à l’ENS sur une plateforme de simulation quantique.

Codes Particle-In-Cell et Calcul à haute performance

Dans le groupe PHI nous contribuons au développement du code Particle-In-Cell open-source WarpX, capable de tourner sur les superordinateurs les plus puissants au monde.

La technique plus utilisée pour simuler l’interaction laser-plasma à très haute intensité est la méthode Particle-In-Cell (PIC), qui permet de simuler des plasmas cinétiques relativistes.

Dans un code PIC on a des acteurs principaux : le champ électromagnétique, qui est simulé sur une grille avec un solveur Maxwell, et des « macro-particules », chacune représentante beaucoup de particules du plasma.

Lire la suite

À chaque pas de temps les particules bougent en fonction du champ électromagnétique et elles génèrent un courant électrique qui est utilisé pour faire évoluer le champ électromagnétique.   À  ce schéma de base on peut rajouter d’autres processus physiques avec des modules dédiés : QED, ionisation, collisions, fusions nucléaires… Le défi principal avec les simulations PIC est souvent l’énorme puissance de calcul nécessaire pour réaliser des simulations 3D fiables, puissance de calcul qui peut être disponible seulement avec les superordinateurs les plus puissants au mode.

Le groupe PHI est fortement impliqué dans le développement du code PIC open-source WarpX (https://github.com/ECP-WarpX/WarpX ), un code conçu spécifiquement pour relever le défi du calcul à « à l’exascale », cet à dir avec des machines exaflopiques, capables de réaliser 1018 operations par seconde. Le code WarpX est développé en collaboration avec plusieurs sujets publiques et privés, dont LBNL (USA),  CEA (FR), DESY (DE), SLAC (USA), Tae Technologies (USA)…

Les nombreux modules de physique et méthodes avancés implementés dans WarpX permettent de l’utiliser pour simuler des scénarios de physiques très variés, d’intéret pout l’intéraction laser-plasma, l’astrophysique des plasmas et la conception de machines pour réaliser la fusion nucléaire en laboratoire.

Grâce aux innovations techniques implémentées dans WarpX et aux performances réalisées sur les machines les plus puissantes au monde, dont Frontier (OLCF, USA), Fugaku (Riken, Japon) et Summit (OLCF, USA), on a remporté en 2022 le prix Gordon Bell , un des prix les plus prestigieux dans le domaine du calcul à haute performance.

Le groupe PHI utilise régulièrement le code WarpX en production, grâce à des allocations d’heures de calcul sur des machines aux US (Frontier), en Europe (LUMI, Finlande) et en France (Adastra).

Bibliographie

Simulation d’accélérateurs laser-plasma

Les accélérateurs laser-plasma permettent d’accélérer des paquets d’électrons à haute énergie sur des distances très courtes. Nous étudions des techniques pour en maximiser la charge en gardant la qualité.

L’interaction d’un laser ultra-intense avec un jet de gaz peut être utilisée pour accélérer des paquets d’électrons très courts jusqu’à des énergies très élevées (de quelques MeV à plusieurs GeV) sur quelques centimètres seulement.

La technique appelée “Laser WakeField Acceleration” (LWFA) utilise le laser pour générer une perturbation de densité qui se propage avec lui-même.

Ces perturbations de densité sont associées à un champ électrostatique intense, qui piège et accélère une partie des électrons.

Lire la suite

La taille réduite de ces dispositifs et la brièveté des paquets d’électrons accélérés en font une technique prometteuse pour étudier, par exemple, l’effet FLASH en radiobiologie/radiothérapie, qui, pour une efficacité équivalente, permet de réduire les effets secondaires pour les tissus sains irradiés lorsque les débits de dose sont très élevés. La charge délivrée avec cette technique reste cependant modeste, ce qui limite le champ de ses applications.

Récemment, au sein du groupe PHI, nous avons mis au point un nouveau schéma d’injection qui comprend une cible solide couplée à un jet de gaz pour accélérer davantage de charge, tout en préservant la qualité du faisceau.

En 2022, nous avons validé ce concept par une campagne de simulations à grande échelle, réalisée avec le code Particle-In-Cell WarpX sur 3 des 5 supercalculateurs les plus puissants au monde, notamment Summit (OLCF, USA), Fugaku (Riken, Japon) et Frontier (OLCF, USA). Ces simulations nous ont permit aussi de guider la conception des premières expériences « proof-of-principle »  réalisées au Laboratoire d’Optique Appliquée (France).

Le groupe PHI étudie aussi des techniques accélération basées sur l’interaction d’un laser ultra-intense avec des cibles structurées, notamment des réseaux. Si irradiées à leur angle de résonance, ces cibles permettent d’exciter un plasmon de surface, dont le champ électrique peut accélérer des paquets d’électrons à haute charge le long la surface de la cible.

Bibliographie
Image d’une simulation 3D réalisée avec le code WarpX, avant, pendant et après la réflexion du laser sur une cible solide couplée à un jet de gaz. La densité d’électrons du gaz est montrée en orange, le champ du laser en bleu et rouge, la cible solide et les électrons qui en sont extraits en brun.

Simulations de lasers boostés par effet Doppler et QED en champ fort

En utilisant des « Miroirs Plasmas » on peut augmenter l’intensité des lasers les plus puissants au monde pour étudier l’électrodynamique quantique dans des régimes extrêmes et quasiment inexplorés.

L’Électrodynamique Quantique (QED), pilier fondamental de la physique moderne, compte parmi les théories les mieux testées. Pourtant, son régime dit “de champ fort”, qui caractérise le plasma autour d’objets astrophysiques tels que les trous noirs et les pulsars, reste majoritairement “terra incognita” d’un point de vue expérimental.

Simulation numérique réalisé avec le code Particle-In-Cell WarpX. Un laser boosté par effet Doppler (champ en bleu/rouge) interagit avec une cible solide (densité d’électrons en gris) à des intensités suffisantes pour « creuser » un canal est pour générer des photons gamma et des couples électron/positron (particules vertes et violettes) via des processus de QED en champ fort

En effet, investiguer la QED en champ fort requiert des champs électromagnétiques gigantesques, de l’ordre du « champ de Schwinger”: 1.32×1018V/m.

Cette valeur surpasse de plus de trois ordres de grandeur les champs les plus forts disponibles sur Terre, ceux délivrés par les lasers femtosecondes. Au sein du groupe PHI, nous étudions une stratégie pour surmonter cet obstacle.

Lire la suite

Lorsqu’un laser ultra-intense interagit avec une cible solide, celui-ci forme un “miroir plasma” qui oscille à des vitesses relativistes, générant des trains d’impulsions attosecondes d’harmoniques Doppler du faisceau initial.

La pression de radiation du laser induit une courbure de la cible, qui peut être contrôlée afin d’optimiser la focalisation des harmoniques. L’intensité des harmoniques focalisées peut dépasser de trois ordres de grandeur celle du laser initial, ce qui réduirait le fossé qui nous sépare du champ de Schwinger.

Nous étudions des schémas où les harmoniques sont focalisés sur une cible secondaire afin de“chauffer” ses électrons à des énergies si élevées que l’on dépasse le champ de Schwinger dans leur référentiel. Nous étudions aussi des schémas où les harmoniques sont focalisés sur un paquet d’électrons issu d’un accélérateur, afin d’explorer des régimes particulièrement extrêmes de la QED en champ fort.

Nos simulations, réalisées avec le code Particle-In-Cell open-source WarpX, montrent qu’il serait possible d’explorer la QED en champ fort dans des régimes autrement inaccessibles avec les lasers PetaWatt déjà existants ou bientôt disponibles. Des signatures expérimentales claires (comme la génération de faisceaux de positrons relativistes) pourraient être mesurables pour la première fois.

Pour réaliser ces simulations on a besoin de la puissance de calcul des superordinateurs les plus puissants au monde, dont, par exemple, la première machine exascale au monde, Frontier (OLCF, USA).

Bibliographie

Mesures et interprétation théorique de l’absorption XUV d’un plasma

Les mesures d’absorption dans l’extrême UV (XUV, énergie de photon autour de 100 eV) dans les plasmas denses et chauds fournissent des données essentielles pour l’astrophysique et la fusion par confinement inertiel. Alors que de nombreuses expériences ont été menées depuis des décennies dans le domaine X, les mesures XUV sont bien plus rares. De plus leur interprétation théorique est particulièrement complexe. Par exemple dans le cuivre étudié ici, ce domaine spectral met en jeu des transitions de nombre quantique principal n de 3 vers 3, avec une sous-couche 3d à moitié ouverte et éventuellement d’autres sous-couches spectatrices ouvertes, ce qui conduit à prendre en compte un très grand nombre de raies.

Nous avons mené une campagne de mesures sur l’installation LULI de classe kJ sur un plasma de cuivre de température entre 10 et 30 eV et de densité de quelques mg/cm3 dans la région spectrale 80–180 eV, en utilisant le schéma de l’attaque indirecte [Poirier2019]. Le dispositif utilisé permet d’obtenir des gradients de température et de densité modérés et d’assurer des conditions proches de l’équilibre thermodynamique local. Une interprétation des mesures a été proposée, sur la base de plusieurs codes de structure atomique, parmi lesquels le code-hybride SCO-RCG [Porcherot2011]. Un accord partiel a été obtenu dans ce cas, cependant la prise en compte des gradients de température est certainement nécessaire.

Bibliographie
  • M. Poirier, S. Bastiani-Ceccotti, T. Blenski, M. Comet, C. Esnault, F. Gilleron, D. Gilles, J.-C. Pain, C. Reverdin, F. Thais, “Extreme-UV absorption processes in a laser-produced mid-Z plasma: Measurements and theoretical interpretation”, High Energy Density Phys. 33 100706 (2019).
    https://cea.hal.science/cea-02293080v1
  • Q. Porcherot, J.-C. Pain, F. Gilleron, T. Blenski, “A consistent approach for mixed detailed and statistical calculation of opacities in hot plasmas”, High Energy Density Phys. 7 234 (2011).

Plateforme de simulation quantique utilisant des atomes de strontium doublement excités

Cette activité se déroule dans le cadre d’une collaboration avec S Gleyzes et M Brune du laboratoire Kastler-Brossel et du Collège de France. Elle est le prolongement d’études de spectroscopie sur les états de grand moment cinétique effectuées dans notre laboratoire (SPAM) dans les années 80-90.

La simulation quantique s’efforce de résoudre la difficulté inhérente à l’étude de systèmes quantiques avec un grand nombre de particules en les modélisant par un autre système quantique mieux contrôlé où toutes les observables locales seraient accessibles expérimentalement.

Parmi les diverses plateformes de ce type, les atomes de Rydberg à deux électrons actifs dont un est dans un état de grand moment cinétique constituent une configuration particulièrement attractive. L’équipe de S Gleyzes et M Brune a implémenté un dispositif expérimental utilisant une séquence d’excitation laser et radiofréquence pour créer des atomes de strontium dont l’électron externe est dans un état circulaire de grand moment orbital (n = 51, l = 50) [Muni2022].

Le deuxième électron peut être porté dans un état faiblement excité (4d ou 5p) et sa présence permet la mise en œuvre de méthodes de manipulation optique, telles que le refroidissement laser.

Nous avons pu montrer que l’interaction quadrupolaire entre les électrons actifs se manifeste par un déplacement de niveaux pour lequel une comparaison quantitative expérience – théorie a pu être menée. Le processus d’autoionisation a aussi été mis en évidence, sans comparaison quantitative avec les calculs pour l’instant.

En effet la durée de vie estimée est très grande et ne prend pas en compte le détail de la situation expérimentale, notamment la présence d’un champ électrique statique.

(D’après la proposition SCiRQ Appel à projets 2023, ANR-23-CE47-0008)

Bibliographie
  • R. P. Feynman, “Simulating physics with computers”, Int. J. Theor. Phys. 21 467 (1982).
  • A. Muni, L. Lachaud, A. Couto, M. Poirier, R. C. Texeira, J.-M. Raimond, M. Brune, and S. Gleyzes, “Optical coherent manipulation of alkaline-earth circular Rydberg states”, Nature Phys. 18 502 (2022).
    https://cea.hal.science/hal-03481615v1