Contrôle d’un qubit volant dans le graphène

Contrôle d’un qubit volant dans le graphène

Une collaboration de chercheurs autour du groupe Nanoélectronique du SPEC franchit une étape importante en contrôlant pour la première fois une superposition quantique de qubits volants électroniques. Un qubit volant est un bit quantique (ou qubit) non localisé, pouvant être manipulé pendant sa propagation. Si le développement de qubits volants porté par des photons a déjà été réalisé, le contrôle complet d’un qubit volant porté par une onde électronique dans un solide restait à démontrer.

Dans ce travail novateur, il est montré qu’il est possible de contrôler la superposition quantique d’impulsions électroniques individuelles (ou lévitons), se propageant dans un interféromètre formé par une jonction p-n en graphène. Cette réalisation marque une avancée importante vers la génération à la demande de paires quantiques intriquées, exigence requise pour connecter des ordinateurs quantiques distants.

Le principe d’un qubit porté par un substrat solide, tels qu’un qubit supraconducteur ou un point quantique semi-conducteur, repose sur un système fixe et localisé à deux niveaux. À l’opposé, les qubits « volants » portés par un courant électronique (i.e. une onde électronique) qui se propage, offrent l’avantage de pouvoir être générés à la demande et de pouvoir être manipulés pendant leur propagation. Le support matériel contient simplement une architecture extensible de portes logiques.

L’une des techniques les plus étudiées consiste à manipuler les états électroniques d’un semi-conducteur d’arséniure de gallium (GaAs) à haute mobilité au moyen d’un interféromètre électronique de type Mach-Zehnder. La réalisation de l’interféromètre nécessite un séparateur de faisceaux d’électrons, des canaux de conduction unidimensionnels à faible dissipation et une source d’électron unique, que l’on sait développer. Les interférences obtenues sont cependant trop sensibles à la chaleur, aux fluctuations de tension électrique et d’énergie des électrons injectés, pour permettre la réalisation d’un qubit volant à électrons dans cette configuration.

Le défi a pu être relevé en construisant un interféromètre de Mach-Zehnder électronique basé sur une jonction p-n en graphène et couplé à une source d’électrons uniques dénommée « lévitons* ». L’échantillon de graphène est simplement déposé de façon bien contrôlée sur un substrat isolant. L’application d’un champ magnétique externe au système induit la formation de canaux de conduction unidimensionnels de part et d’autre de la jonction p-n (voir figure). Les points d’entrée et de sortie au niveau de la jonction p-n sont ainsi clairement définis et agissent comme des séparateurs de faisceau d’électrons, formant un interféromètre de Mach-Zehnder. Comparé aux interféromètres conventionnels à base de GaAs, l’interféromètre réalisé présente une tolérance dix fois supérieure au bruit thermique ou de tension [1,2].

*Un léviton est l’injection d’un unique électron sous la forme d’une impulsion lorentzienne, évitant toute excitation parasite des autres électrons du système.

Qubit volant à base de jonction p-n. Les lignes bleues (côté n) et rouges (côté p) soulignent les canaux de conduction en bord du substrat de graphène. Il est montré que la superposition quantique des états de léviton, au niveau du canal de conduction entre les côtés n (bleu clair) et p (rose) est parfaitement contrôlée.

Avec ce dispositif, le fonctionnement d’un qubit volant d’électrons a pu être obtenu en manipulant la superposition d’états quantiques |0> et |1> d’un léviton, respectivement définis par les états électroniques dans le canal de conduction sur les côtés n et p. Il est notamment montré que l’angle polaire (θ), pour lequel tan(θ) est le rapport d’amplitude entre les deux états superposés |1> et |0>, peut être contrôlé en ajustant la transmission du séparateur de faisceau à l’entrée de la jonction p-n (Fig. 1). Parallèlement, la phase relative Aharonov Bohm (ϕ) entre |0> et |1>, induite par la présence du champ B, peut être ajustée selon la valeur de ce champ magnétique externe. Le contrôle complet des deux phases θ et ϕ permet d’obtenir l’état de superposition que l’on souhaite [3].

Cette démonstration d’un contrôle parfait d’un qubit électronique volant est une avancée importante pour concevoir un dispositif à l’état solide permettant un transfert d’information quantique. Il doit maintenant être possible de générer à la demande des paires de qubit volants intriquées à partir d’opérations sur des qubits volants à deux électrons. Autre voie de recherche, nécessitant un nouvel effort technologique : raccourcir l’impulsion des lévitons, afin de permettre un multiplexage temporel.


Références :

[1] “Quantum hall valley splitters and a tunable Mach-zehnder interferometer in graphene”,
M Jo, P Brasseur, A Assouline, G Fleury, HS Sim, K Watanabe, T Taniguchi, W Dumnernpanich, P Roche, DC Glattli, N Kumada, FD Parmentier, P Roulleau, Physical Review Letters 126(14) (2021) 146803.

[2] “Scaling behavior of electron decoherence in a graphene Mach-Zehnder interferometer”,
M Jo, JYM Lee, A Assouline, P Brasseur, K Watanabe, T Taniguchi, P Roche, DC Glattli, N Kumada, FD Parmentier, H-S Sim, P Roulleau, Nature Communications 13(1), (2022) 5473 .

[3] “Emission and coherent control of Levitons in graphene”,
A Assouline, L Pugliese, H Chakraborti, Seunghun Lee, L Bernabeu, M Jo, K Watanabe, T Taniguchi, DC Glattli, N Kumada, H-S Sim, FD Parmentier, P Roulleau, Science 382(6676) (2023) 1260-1264.

Cette recherche a été réalisé en suite directe du projet européen ERC starting Grant 2015 COHEGRAPH, porté par Preden Roulleau.


Contact CEA-IRAMIS : Preden Roulleau (SPEC/Groupe Nanoélectronique)

Collaboration :