Une découverte surprenante a permis d’identifier pour la première fois de la supraconductivité non-conventionnelle dans des cristaux d’un minéral naturel : la miassite Rh17S15. Ceci montre que la supraconductivité « non-conventionnelle » n’a rien d’intrinsèquement « artificielle ».
La synthèse de nouveaux matériaux a permis le développement de nombreuses applications : c’est le cas par exemple de la découverte de la supraconductivité à haute température critique (Tc) dans les matériaux céramiques de type cuprate. Leur propriété est incompatible avec le modèle historique de la supraconductivité, la théorie BCS, où.le mécanisme d’appariement des électrons en paires de Cooper résulte du couplage « conventionnel » de type électron-phonon. La supraconductivité qui ne relève pas de ce modèle établi est alors qualifiée de « non-conventionnelle ». Il existe de nombreux autres supraconducteurs synthétiques non-conventionnels, tels que les composés à « fermions lourds », ou les supraconducteurs à base de fer (FeSe, FeAs…).
Malgré cette diversité, aucun matériau supraconducteur non-conventionnel n’a jusqu’à présent été trouvé dans la nature. Dans cette étude [1], la découverte de la supraconductivité non-conventionnelle dans la miassite Rh17S15, un composé minéral présent dans la nature, change cet état de fait. Le minerai dont est issu la miassite a été identifié en 2001 dans la rivière Miass dans les montagnes du Sud de l’Oural en Russie, d’où le nom de ce minéral.
La Figure 1 (a) montre un des monocristaux de miassite de taille millimétrique, élaboré au laboratoire et utilisé pour cette étude. La difficulté de synthèse provient de la différence de température de fusion (S : 115 °c, Rh : 1964 °c) et d’ébullition (S : 444.6°c, Rh : 3695°c) entre les 2 éléments. Sa température critique Tc est de 5.4 K. Outre l’élévation de température, la supraconductivité peut également être détruite par un champ magnétique, lorsque celui-ci dépasse le champ critique supérieur (Hc2). Dans un supraconducteur conventionnel Hc2 est généralement borné par la limite paramagnétique de Pauli qui correspond au champ magnétique nécessaire pour retourner le spin d’un électron dans une paire de Cooper. En revanche dans la miassite la valeur de Hc2 est anormalement élevée, dépassant 20 T, soit presque deux fois plus que la limite paramagnétique de Pauli.
C’est ce constat qui a motivé une collaboration entre des chercheurs du LSI et du laboratoire Ames pour étudier la nature du couplage supraconducteur dans Rh17S15. L’étude repose sur la détermination de la symétrie du paramètre d’ordre supraconducteur, le gap supraconducteur, via deux types de mesure :
- La profondeur de pénétration de London.
- La réponse à la création de défauts.
La profondeur de pénétration de London mesure la distance à laquelle un champ magnétique faible peut pénétrer dans le supraconducteur. Les mesures effectuées dans Rh17S15 montrent une variation linéaire en température de la profondeur de pénétration de London (Figure 1 (b)). Cette dépendance est incompatible avec la supraconductivité conventionnelle (avec un paramètre d’ordre isotrope de type s–wave) pour laquelle la variation attendue est exponentielle [2]. Ce comportement linéaire est en revanche compatible avec un paramètre d’ordre nodal, qui comporte des nœuds où le gap s’annule.
Une autre méthode indépendante pour sonder la supraconductivité est sa réponse au désordre non magnétique. Pour étudier l’influence du désordre des défauts ponctuels non magnétiques ont été introduits en irradiant Rh17S15 avec des électrons relativistes de 2,5 MeV, produits par l’accélérateur d’électrons SIRIUS du LSI, à même de créer des lacunes dans le réseau cristallin. Dans les supraconducteurs conventionnels, (paramètre d’ordre isotrope s-wave), la température critique est indépendante de ce type de désordre [3]. Toute dépendance est due à une anisotropie du paramètre d’ordre supraconducteur. Les mesures de résistivité dans Rh17S15 (Figure 1 (c)) montrent une réduction significative de Tc à un taux qui n’est possible que si le paramètre d’ordre est nodal.
L’ensemble de l’étude permet ainsi de conclure de façon consistante que la miassite possède un paramètre d’ordre avec des nœuds, similaire à celui des cuprates à haut Tc. La Figure 1 (d) montre la topographie obtenue du gap supraconducteur, qui préserve la symétrie cubique tout en possédant des lignes circulaires de nœuds où ce paramètre d’ordre s’annule.
La présence de nœuds dans le gap supraconducteur est une caractéristique distinctive de la supraconductivité non-conventionnelle, également observée dans certains pnictures de fer, les composés à fermions lourds, les supraconducteurs organiques et possiblement d’autres classes de supraconducteurs.
Cette étude a ainsi permis de montrer que Rh17S15 est un membre un peu unique des supraconducteurs non-conventionnels, étant le seul exemple que l’on retrouve à l’état naturel. Cette découverte de la supraconductivité non-conventionnelle dans un minéral naturel souligne qu’il n’y a rien d’intrinsèquement « artificiel » dans la supraconductivité « non-conventionnelle ».
Références :
[1] « Nodal superconductivity in miassite Rh17S15. »
H. Kim, M. Tanatar, M. Kończykowski, R. Grasset, U. S. Kaluarachchi, S. Teknowijoyo, K. Cho, A. Sapkota, J. M. Wilde, M. J. Krogstad, S. L. Bud’ko, P. M. R. Brydon, P. C. Canfield and R. Prozorov, Communication Materials 5 (2024) 17.
[2] “Magnetic penetration depth in unconventional superconductors.”
R. Prozorov & R.W. Giannetta, Superconductor Science and Technology 19 (2006) R41.
[3] “Theory of dirty superconductors”
P.W. Anderson , Journal of Physics and Chemistry of Solids 11 (1959) 26.
Contact CEA-IRAMIS : Romain Grasset (LSI/D2SM)
Collaborations :
- Hyunsoo Kim, Makariy A. Tanatar, Udhara S. Kaluarachchi, Serafim Teknowijoyo, Kyuil Cho, Aashish Sapkota, John M. Wilde, Sergey L. Bud’ko, Paul C. Canfield & Ruslan Prozorov, SUPERMAGLAB, Ames National Laboratory, Iowa State University, Ames, IA, 50011, USA.
- Marcin Kończykowski & Romain Grasset : Laboratoire des Solides Irradiés, CEA/DRF/IRAMIS, École Polytechnique, CNRS, Institut Polytechnique de Paris, F-91128, Palaiseau, France.
- Matthew J. Krogstad: Materials Science Division, Argonne National Laboratory, Lemont, IL, 60439, USA.
- Philip M. R. Brydon : Department of Physics and MacDiarmid Institute for Advanced Materials and Nanotechnology, University of Otago, P.O. Box 56, Dunedin, 9054, New Zealand.