Dynamique de fragmentation du ferrocène induite par collision avec des ions

Dynamique de fragmentation du ferrocène induite par collision avec des ions

Au-delà de la formation des petites molécules qui constituent notre environnement naturel, l’espace interstellaire est aussi la source de molécules plus complexes. Cette chimie du milieu interstellaire nécessite la présence de molécules « briques élémentaires » et un apport d’énergie, principalement par le rayonnement cosmique composé de lumière, de particules de haute énergie et d’ions massifs. Si le flux d’ions est faible dans le milieu interstellaire, les collisions avec ces ions présentent de très grandes sections efficaces de réaction.

Les composés du fer sont des éléments indispensables au métabolisme de la majorité des êtres vivants, et il est fondamental de comprendre leur origine et toute la chimie qui leur est associée. Si le ferrocène n’a encore été détecté dans l’espace, le cation Fe+ (métal le plus abondant dans l’espace) et les cycles cyclopentadiényles C5H5 ont été détectés. Afin d’explorer plus largement les réactions chimiques possibles dans ce milieu très dilué, il est important de connaitre l’ensemble des voies de fragmentation du ferrocène sous l’impact d’ions.

L’étude expérimentale réalisée par l’équipe AMA du CIMAP, complétée par l’effort de modélisation de théoriciens de l’Université de Madrid, montre que la collision d’ions multichargés induit une simple ou double ionisation par échange de charge, suivie d’une riche dynamique de fragmentation avec une grande diversité de fragments obtenus. Une de ces voies révèle de façon inattendue une fragmentation retardée qui a pu être expliquée par la population d´un état électronique excité spécifique.

Reste à établir le lien possible entre cet ensemble de données fondamentales et les observations spatiales, objectif majeur de l’astrochimie actuelle.

Cations et anions, ions positifs et négatifs, et molécules neutres forment naturellement des regroupements chimiques. La chimie organométallique s’intéresse plus particulièrement à l’environnement de cations de métaux de transition (électrons de valence d ou f) qui, avec les ligands associés (anions, molécule neutre, autre cation), forment des « complexes de coordination ». Le ferrocène Fe(C5H5)2, formé d’un cation central de Fe2+ lié de façon covalente à 2 cycles pentadiényles, est le prototype des complexes organométalliques, et plus spécifiquement des composés métallocènes. Il présente une structure sandwich stable typique avec l’atome de Fe entre les deux cycles C5H5. Dans la molécule de ferrocène, l’atome de fer, possède une configuration électronique de 18 électrons, et présente l’état d’oxydation +2. Les deux cycles cyclopentadiényle qui l’entourent satisfont la règle de Huckel pour les composés aromatiques, avec la formation de liaisons entre l’ion Fe2+ et deux cycles C5H5. Le composé est remarquablement stable, et ces liaisons sont rarement rompues dans des conditions de réaction normales.

D’un point de vue fondamental, le ferrocène présentent deux intérêts :

  • c’est un système modèle des molécules organiques contenant du fer d’intérêt biologique,
  • c’est également une molécule prototypique pour l’étude des processus multi-électroniques fondamentaux dans les systèmes quantiques complexes.

Du point de vue des applications, les métallocènes, et les dérivés du ferrocène en particulier, jouent un rôle important en chimie de synthèse, en nanomédecine et en science des matériaux : les composés organométalliques contenant du ferrocène peuvent, par exemple, améliorer l’efficacité de conversion dans les cellules photovoltaïques organiques.

En ce qui concerne l’astrochimie, la molécule ou ion ferrocène n’ont pas encore été détecté dans l’espace (car peu d’observations sont réalisées dans cette gamme spectrale), et même si l’on a pu montrer que plusieurs autres organométalliques sont bien présents dans le milieu interstellaire, les nuages cosmiques et les météorites. En revanche, le cation fer Fe+ (métal le plus abondant dans l’espace) et les cycles cyclopentadiényle C5H5ont été détectés et l’on suspecte la présence de composés aromatiques au fer. Les signatures de la présence de ferrocène ou d’espèces apparentées sont ainsi maintenant recherchées.

Vue d’artiste de l’impact d’un ion Xe20+ sur une cible de ferrocène en milieu dilué.

La présente étude menée par l’équipe AMA du CIMAP en collaboration avec des chercheurs de l’université de Madrid [1], a permis de déterminer la dynamique de dissociation des cations ferrocène induite par collisions avec des ions. Le mécanisme réactif repose sur le transfert initial de charge et d’énergie lors de l’interaction, suivi de la fragmentation du composé ionisé. L’étude combine théorie et expérience en utilisant la spectrométrie de masse en coïncidence associé à un dispositif expérimental sur une des lignes de l’infrastructure ARIBE du GANIL produisant des faisceaux d’ions multichargés de basse énergie : Xe20+ à 300 keV, pour cette étude), et des calculs de chimie quantique réalisés par le Groupe UAM en Espagne.

Sous l’impact des ions, l’échange de charge produit transitoirement du ferrocène simplement et doublement chargé. L’analyse des coïncidences entre les fragments formés, notamment FeC5Hx+ et C10H10+, est très riche d’enseignement sur les détails de la dynamique de fragmentation qu’il a été également possible de modéliser. L’étude montre que des chemins de fragmentation impliquent un état excité à longue durée de vie conduisant à la métastabilité du dication et à une dynamique de fragmentation spécifique.

Ces résultats fournissent ainsi un panorama très complet des réactions de fragmentation suite à un impact ionique, telles qu’elles peuvent se produire en milieu très dilué, comme dans l’espace. Reste à explorer le lien possible entre ces données fondamentales et les observations spatiales.


Référence :

[1] « Unexpected and delayed fragmentation dynamics of the organometallic ferrocene induced by ion-collision »
F. Aguilar-Galindo, V.T.T. Nguyen, R. Singh, A. Domaracka, B.A. Huber, S. D ́ıaz-Tendero, P. Rousseau
and S. Maclot, Phys. Chem. Chem. Phys., 26, 7638, 2024.


Contact CEA-IRAMIS : Sylvain Maclot (CIMAP/AMA)

Collaboration :

  • V.T.T. Nguyen, R. Singh, A. Domaracka, B.A. Huber, P. Rousseau & S. Maclot
    Normandie Univ., ENSICAEN, UNICAEN, CEA, CNRS, CIMAP, Caen, France
  • F. Aguilar-Galindo & S. Díaz-Tendero
    Department of Chemistry, Universidad Autónoma de Madrid, Madrid, Spain