En optique la diffraction impose une limite physique sur la taille des objets que l’on peut observer.de l’ordre de la longueur d’onde. Ainsi, à une fréquence de 1 THz, dans le domaine intermédiaire entre l’infra-rouge et les microondes, correspond une longueur d’onde de 0.3 mm. Une méthode pour s’affranchir de cette forte limitation est de convertir l’onde lumineuse en un signal électronique oscillant à la fréquence de la lumière, mais localisé sur une structure de très petite taille, une voie déjà explorée pour la lumière visible.
Dans cette étude récente, il est montré qu’il est possible de piéger des ondes TeraHertz (THz) dans des « boîtes à photons » d’une taille très inférieure à leur longueur d’onde. Contrairement aux approches usuelles utilisant des métaux pour confiner les photons THz, ces cavités exploitent un mécanisme dit « plasmonique », basé sur des modes de plasmon de surface (oscillation de charges), de fréquence THz dans les semi-conducteurs. Le mécanisme en jeu s’avère très efficace et il permet de confiner les photons jusqu’à des échelles très petites, caractéristiques des électrons du matériau semi-conducteur.
Il est enfin montré que des phénomènes inhabituels d’interaction lumière-matière apparaissent et imposent une limite ultime au confinement de la lumière dans la gamme THz, via ce mécanisme plasmonique.
Le développement de dispositifs utilisant des ondes électromagnétiques dans le domaine Terahertz (THz), est plus que jamais d’actualité et l’objet d’intenses recherches ces dernières années : la gamme de fréquences THz, situé à l’interface entre l’électronique et la photonique, est en effet prometteuse de nombreuses applications dans l’imagerie médicale ou pour le contrôle de sécurité, le contrôle qualité, ou les télécommunications.
La longueur d’onde associée aux fréquences THz est de l’ordre du millimètre. La capacité de confiner des photons THz à l’intérieur de cavités résonantes de taille très inférieure à la longueur d’onde apparait indispensable pour développer de multiples applications notamment pour la détection ultra-sensible, l’ingénierie de la lumière THz grâce aux méta-matériaux, ou plus fondamentalement pour simplement accroître l’interaction entre lumière et matière à ces fréquences. À ce jour, l’approche la plus fructueuse pour confiner les photons THz s’appuie sur des architectures de cavités présentant un caractère métallique (structure électronique sans gap), qui ont la capacité d’écranter et donc de contraindre efficacement l’extension des champs électromagnétiques.
Aux fréquences optiques, il est possible de tirer parti de la réponse plasmonique des métaux pour confiner les champs électromagnétiques grâce aux plasmons de surface. Ce mécanisme est en revanche inopérant dans la gamme THz, puisqu’il ne fonctionne de manière efficace que pour des fréquences proches de la fréquence plasma du métal, i.e. dans la gamme visible-UV. L’étude réalisée montre alors qu’en réalisant des cavités électromagnétiques THz à partir d’un matériau semi-conducteur à faible gap (200 meV), pour lesquels la fréquence plasma se situe justement dans la gamme THz, il redevient possible de tirer parti de la réponse intrinsèque des plasmons de surface du matériau pour confiner les photons.
Il est observé que le mécanisme plasmonique de confinement de la lumière dans des cavités THz fonctionne de manière remarquable, même à des fréquences faibles de l’ordre du THz. Dans les plus petites cavités réalisées (5 x 5 x 0.24 µm3), il a été ainsi possible de piéger les photons THz dans des volumes records 10-7 fois inférieurs à la limite de diffraction (de volume ~ λ3 pour λ=0.3 mm).
A ces échelles, les cavités présentent des comportements inattendus par rapport aux prédictions théoriques, comme un décalage de leur fréquence de résonance vers le bleu, ainsi qu’une disparition progressive de la résonance. Les simulations numériques réalisées montrent que ce phénomène provient d’interactions « non-locales » entre la lumière et la matière, car les dimensions transverses des champs électromagnétiques THz deviennent si petites, qu’elles sont alors comparables à l’échelle caractéristique (distance d’écrantage) du gaz d’électron du gaz d’électrons à l’origine de la réponse plasmonique. La manifestation de phénomènes électromagnétiques non-locaux, ainsi que l’amortissement de Landau des plasmons de surface, observés dans ce régime, traduisent la limite de confinement ultime qu’il est possible d’obtenir grâce au mécanisme plasmonique. Cse phénomènes, observés jusqu’alors aux fréquences optiques ou dans le moyen infrarouge, sont donc aussi atteignables en pratique à de très basses fréquences de l’ordre du THz.
Au-delà de l’aspect fondamental de l’étude, la réalisation de cavités THz basées sur un mécanisme plasmonique permet d’envisager dans un futur proche la réalisation de cavités THz multi-fonctionnelles grâce à l’accordabilité de la réponse plasmonique à divers paramètres extérieurs (champs électriques et magnétiques, température, entre autres). Comme le montre déjà la présente étude, la possibilité de faire varier la fréquence plasma du matériau avec la température permet la réalisation de cavités THz accordables en fréquence selon la température, effet qu’il n’est pas possible d’obtenir avec des approches traditionnelles basées sur les métaux. L’accordabilité plasmonique de cavités THz de très petite taille s’avère alors propice à la réalisation de métasurfaces THz polyvalentes, ainsi qu’à la conduite d’expériences inédites de couplage ultra-fort entre la lumière et la matière aux fréquences THz.
Référence :
[1] Ultrasmall and tunable TeraHertz surface plasmon cavities at the ultimate plasmonic limit
I. Aupiais, R. Grasset, D. Daineka, J. Briatico, L. Perfetti, J.-P. Hugonin, J.-J. Greffet, Y. Laplace, Nat Commun 14 (2023) 7645.
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Contact CEA-IRAMIS : Yannis Laplace, équipe « Nouveaux état électroniques – NEE » du LSI (CEA/DRF/IRAMIS/LSI)
Collaboration :
- Ian Aupiais, Romain Grasset, Tingwen Guo, Luca Perfetti, Yannis Laplace, LSI, CEA/DRF/IRAMIS – CNRS – École Polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, Palaiseau, France
- Dmitri Daineka, LPICM, CNRS – École Polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, Palaiseau, France
- Javier Briatico, Université Paris Saclay, Unité Mixte de Physique, CNRS, Thales, 91767 Palaiseau, France
- Sarah Houver, Université Paris Cité, CNRS, Matériaux et Phénomènes Quantiques, F-75013, Paris, France
- Jean-Paul Hugonin, Jean-Jacques Greffet, Université Paris-Saclay, Institut d’Optique Graduate School, CNRS, Laboratoire Charles Fabry, 91127 Palaiseau, France.