Photodiodes à spin : un détecteur de lumière polarisée circulairement

Photodiodes à spin : un détecteur de lumière polarisée circulairement

Se propageant sur de longues distances à la vitesse de la lumière, les photons peuvent être un bon vecteur de transmission d'une information portée localement par des spins électroniques, à condition de savoir convertir l'état de spin local vers un état de polarisation de la lumière et réciproquement.

Une collaboration internationale incluant le Laboratoire des solides irradiés publie dans Physical Review Letters [1] un article détaillant les mécanismes à l’œuvre pour détecter une lumière polarisée circulairement grâce à des dispositifs de spin-optoélectronique de type photodiodes à spin.

Les charges électriques (piégées par exemple dans la grille flottante d'un transistor CMOS de mémoire flash) ou le spin des électrons (pour le stockage magnétique MRAM ou sur un disque dur) permettent aujourd'hui le stockage et le traitement de l'information. En utilisant les propriétés de spin, l'information peut être encodée soit par l'orientation des spins (up ou down), définissant un état magnétique local, ou encore par un courant électrique polarisé en spin, avec un sens majoritaire d'orientation des spins des électrons. Se propageant sur de longues distances à la vitesse de la lumière, les photons peuvent être un bon vecteur de transmission d'une information portée localement par les spins électroniques, à condition de savoir convertir l'état de spin vers un état de polarisation de la lumière et inversement.

En injectant des électrons polarisés en spin dans un semi-conducteur, il est déjà possible d'obtenir une émission de lumière polarisée circulairement, et un taux de polarisation de 67% a récemment pu être obtenu [2]. « Inversement, les capteurs sensibles au spin de la lumière existent, mais ils sont encore peu efficaces » précise Henri-Jean Drouhin. Avec ses collègues de l’équipe CNRS-Thalès, de l’Institut Jean Lamour, mais aussi de l’Institut Ioffe de Saint Pétersbourg et de l’Académie des sciences chinoise, ils ont alors mené un travail expérimental et théorique afin de comprendre précisément les mécanismes à l’œuvre dans ce type de capteur.

« Dans ce travail, la spintronique est alliée avec l’optique. C’est la spin-optoélectronique » explique Henri-Jean Drouhin, co-auteur de l’étude parue dans Physical Review Letters et responsable du groupe « Physique et Chimie des nano-objets » au sein du Laboratoire des solides irradiés (LSI*). Les photons, possèdent en effet l'équivalent d'un spin, qui se manifeste notamment dans le fait que la lumière peut être polarisée de façon circulaire droite ou gauche, ce qui signifie que le champ électrique de la lumière s’enroule vers la droite ou vers la gauche comme une hélice dans la direction de propagation des photons. Lorsque cette lumière polarisée arrive sur le capteur conçu par les chercheurs, les photons incidents excitent les électrons du matériau. Le spin des électrons adopte alors une direction préférentielle fonction de la polarisation de la lumière, i.e. de l'orientation du spin des photons. L'analyse du spin des électrons permet donc d’obtenir des informations sur la polarisation de la lumière incidente, faisant de ces dispositifs des « photodiodes à spin », à l’image des photodiodes classiques qui mesurent l’intensité de la lumière.

Vu schématique de la photodiode à spin étudiée : on retrouve la couche de conversion semi-conducteur GaAs, où les photons polarisés circulairement excitent des électrons en les portant dans un état excité avec une orientation de spin donnée. La polarisation Vb = V+-V permet alors d'obtenir un courant polarisé en spin. Une couche mince de MgO, puis une couche ferromagnétique nanostructurée Co0.4Fe0.4B0.2 avec une aimantation perpendiculaire coiffent le diapositif et permettent l'analyse de la polarisation en spin du courant généré.

« Le dispositif est constitué de plusieurs couches empilées de semi-conducteur à base de GaAs, arséniure de gallium, où les photons reçus peuvent porter les électrons de la bande de valence dans la bande de conduction. Une polarisation électrique Vb contrôle l'extraction des électrons ainsi excités vers une couche magnétique qui permet d'identifier la polarisation en spin du courant ainsi généré. Cette couche mince est constituée d'un métal ferromagnétique (alliage de cobalt, fer et bore) dans lequel les électrons pénètrent plus ou moins facilement selon l'orientation de leur spin. Entre les deux matériaux, une couche d’isolant (de l’oxyde de magnésium) permet de réguler le passage des électrons par effet tunnel.

Avec le dispositif étudié, l'effet n'est cependant pas si aisé à mettre en évidence : un modulateur photoélastique permet de révéler par détection synchrone la corrélation entre le photocourant et la polarisation circulaire de la lumière incidente. Pour isoler la contribution du spin, il faut aussi tenir compte correctement du dichroïsme magnétique, du courant inverse de trous qui est non négligeable et mettre à profit un champ magnétique externe appliqué B qui renforce le signal en stabilisant le spin des électrons.

Les chercheurs ont ainsi réussi à reconstituer les différents mécanismes d'excitation et relaxation des électrons et trouvé comment les contrôler à l’aide de la polarisation Vb et du champ magnétique appliqué. « Dans notre modélisation, nous avons également parfaitement modélisé théoriquement les phénomènes physiques mis en jeu, et testé que ce modèle fonctionnait pour différentes plages de tensions et de champs magnétiques appliqués au dispositif » souligne Slava Safarov, co-auteur de l’étude au LSI.

Avec ces travaux de recherche fondamentale, l’équipe montre les pistes à suivre pour développer des détecteurs efficaces de lumière polarisée circulairement qui pourraient servir pour un nouveau mode de télécommunication optique, avec le transport à grande distance d'une information portée par le spin.

Contact CEA-Iramis : Henri-Jean Drouhin (LSI).

Référence :

[1] Recombination time mismatch and spin dependent photocurrent at a ferromagnetic-metal–semiconductor tunnel junction,
Viatcheslav I. Safarov, Igor V. Rozhansky, Ziqi Zhou, Bo Xu, Zhongming Wei, Zhan-Guo Wang, Yuan Lu, Henri Jaffrès, and Henri-Jean Drouhin, Phys. Rev. Lett. 128, 057701.

[2] Voir aussi : « Convertir le spin des électrons en lumière polarisée sans champ magnétique extérieur« .


Collaboration :

  • LSI, UMR École Polytechnique – CEA – CNRS, Institut Polytechnique de Paris, 91128 Palaiseau, France
  • Ioffe Institute, St. Petersburg 194021, Russia
  • Institut Jean Lamour, UMR7198, Université de Lorraine – CNRS, 54011 Nancy, France
  • Institute of Semiconductors, Chinese Academy of Sciences, and Beijing 100083, China
  • Unité Mixte de Physique, CNRS, Thales, Université Paris Saclay, 91767 Palaiseau, France.