Une impulsion laser de très haute intensité en interaction avec la matière permet de générer un plasma et des particules chargées relativistes de haute énergie. Le champ électrique de l'impulsion est cependant par nature oscillant, et des conditions d'interaction bien spécifiques sont nécessaires pour obtenir une accélération efficace des particules. Les équipes du LSI et du LULI, en collaboration avec l'Enrico Fermi Department of Physics de Pise, cherchent ainsi à définir des conditions optimales d’interaction laser-plasma pour obtenir une accélération de particules efficace et une intensité de faisceau élevée.
Comme le montre des simulations et des expériences récentes, l'utilisation d'une cible solide dont la surface est pré-structurée augmente le couplage laser-plasma(*). Le couplage obtenu est même supérieur lorsque les conditions sont réunies pour exciter une onde plasma de surface qui permet de générer des paquets d’électrons d’énergie relativiste avec un fort courant. Un pas en avant supplémentaire vient être fait en utilisant un front d’onde laser en rotation qui permet de renforcer cette onde de surface. Ultra-courte et ultra-intense, celle-ci contribue alors à accélérer des paquets d’électrons répartis sur quelques cycles optiques pour atteindre une énergie beaucoup plus élevée qu'en absence de rotation de front d’onde.
L’excitation avec rotation du front d'onde laser d'une onde plasma de surface sur un substrat structuré apparaît ainsi comme un mécanisme d’accélération prometteur pour générer des faisceaux d'électrons relativistes avec un fort courant et de durée femtoseconde.
Les oscillations collectives d’électrons à la surface d'un matériau, i.e. les ondes plasma de surface, induisent des champs électromagnétiques extrêmement localisés qui ont la capacité de confiner la lumière. Dans un plasma dense, ces ondes se propagent le long de la surface avec une vitesse de phase proche de celle de la vitesse de la lumière et peuvent accélérer des paquets d’électrons ayant une charge totale élevée et une énergie relativiste (~ 5 MeV, ~ 100 pC) [1]. Ce mécanisme d’accélération est d’un grand intérêt pour différentes applications, en particulier pour les accélérateurs compact d’électrons ou pour la spectroscopie ultra rapide d’électrons.
Plusieurs techniques permettent de renforcer le couplage entre l'impulsion laser incidente et l'onde plasma de surface : i) une surface nanostructurée en gradin (ou face vicinale) permet d'ajuster l'accord de phase entre l'onde lumineuse et l'onde plasma générée. ii) En focalisant l'impulsion laser avec un front d'onde incliné par rapport à la direction de propagation, une rotation du front d’onde est obtenue au niveau du point focal, ce qui permet d'obtenir un angle d’incidence sur la surface dépendant du temps au cours de l’interaction laser – cible [2]. Dans ce schéma, le centre des fronts d’onde successifs (où l’amplitude du champ est maximale) se propage le long de la surface de la cible. Un choix judicieux de la rotation du front d’onde laser selon la direction de propagation de l’onde de plasma de surface permet alors d'amplifier l’onde de surface et d'obtenir des ondes plus intenses sur quelques cycles optiques [3].
Dans le cadre d’une collaboration entre chercheurs du Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses (LULI) et chercheurs du Laboratoire des Solides Irradiés (LSI), il est montré qu’en optimisant le schéma d’interaction laser avec un front d’onde en rotation sur une cible nanostructurée, on peut produire des paquets d’électrons d’une durée de quelques cycles optiques et d’énergie jusqu’à 80 MeV, pour des intensités laser de ~ 4.7 x 1019 W/cm2.
L’optimisation des paramètres de l'impulsion laser et du plasma cible a été effectuée en développant un modèle analytique et des simulations de type Particle-In-Cell (PIC) avec le code SIMLEI [4]. Le modèle analytique permet de définir une vitesse effective de glissement du centre du front d’onde en fonction du point de focalisation du faisceau laser qui se trouve légèrement en avant de la surface. La meilleure configuration est obtenue lorsque la vitesse de glissement est égale à la vitesse de propagation de l’onde de surface. Parmi l’ensemble des configurations explorées [5-6], celle présentant la meilleure efficacité est une surface présentant dans la zone d'interaction une structure modulée, avec une période de 2x la longueur d'onde du laser, suivie d’une surface plane, afin de réduire les effets de diffraction de la lumière.
Les simulations réalisées pour cette configuration optimisée montrent qu’il est possible de créer avec un laser d’une durée de 10 λ0/c (~ 25 fs pour λ0 = 0.8 μm), d’une intensité de ~ 4.7 x 1019 W/cm2 et un front d’onde en rotation de 67 mrad, des paquets d’électrons qui se propagent le long de la surface plasma – vide d’une durée de l’ordre de 3 λ0/c (~ 8 fs) avec une énergie de l’ordre de 70 MeV et une charge totale voisine de 50 pC. La rotation du front d'onde apporte un gain supplémentaire de 65% sur l'amplitude de l'onde plasmon et l'énergie des électrons accélérés.
Cette étude montre qu’il est ainsi possible de contrôler la durée ainsi que l’amplitude de l’onde plasma de surface excitée par laser dans le régime relativiste et de créer des paquets d’électrons de très courte durée, fortement chargés et très énergétiques. Elle ouvre la voie à des mesures expérimentales qui peuvent être réalisée sur les installations laser de très haute intensité (UHI) aujourd’hui disponibles au plan national et international.
Références :
[1] Electron acceleration by relativistic surface plasmons in laser-grating interaction
L. Fedeli, A. Sgattoni, G. Cantono, D. Garzella, F. Réau, I. Prencipe, M. Passoni, M. Raynaud, M. Květoň, J. Proska, A. Macchi, and T. Ceccotti, Phys. Rev. Lett. 116 (2016) 015001.
[2] Attosecond lighthouses: how to use spatiotemporally coupled light fields to generate solated attosecond pulses,
H. Vincenti and F. Quéré, Phys. Rev. Lett. 108 (2012) 113904.
[3] Few-cycle surface plasmon polariton generation by rotating wavefront pulses
F. Pisani*, L. Fedeli*, and A. Macchi*, ACS Photonics 5 (2018) 1068.
[4] SMILEI : A collaborative, open-source, multi-purpose particle-in-cell code for plasma simulation
J. Derouillat, A. Beck, F. Pérez, T. Vinci, M. Chiaramello, A. Grassi, M. Flé, G. Bouchard, I. Plotnikov, N. Aunai, J. Dargent, C. Riconda, M. Grech, Comput. Phys. Commun. 222 (2018) 351.
[5] Ultrashort high energy electron bunches from tunable surface plasma waves driven with laser wavefront rotation,
S. Marini, P. Kleij, M. Grech, F. Pisani, F. Amiranoff, M. Raynaud, A. Macchi, and C. Riconda, Phys. Rev E 103 (2021) L021201.
[6] Key parameters for surface Plasma wave excitation in the ultra-high intensity regime
S. Marini, P. Klej, M. Grech, F. Amiranoff, C. Riconda and M. Raynaud, Phys of Plasma 28 (2021) 073104.
(*) Voir le fait marquant LIDYL-LSI (2015) : « Le surf des électrons sur une onde de surface« .
Contact CEA-IRAMIS : Michèle Raynaud et Paula Kleij – Laboratoire des Solides Irradiés, UMR CEA-CNRS-Ecole Polytechnique.
Collaborations :
- Laboratoire pour l'Utilisation des Lasers Intenses – LULI, Sorbonne Université, CNRS, CEA , École Polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91128 Palaiseau, France.
- Enrico Fermi Department of Physics, University of Pisa, largo Bruno Pontecorvo 3, 56127 Pisa, Italie.
Ce travail a reçu le soutien financier de ANR (projet 11-IDEX-0004-02 Plas@Par) et de l’Union Européenne (CEA NUMERICS programme Marie Sklodowska-Curie No. 800945).
Les simulations ont été réalisées dans le cadre des demandes HPC GENCI (No. 2018-x2016057678) et PRACE (Project MIMOSAS).