En milieu nucléaire (au sein d'un réacteur, au cours du cycle du combustible…), les polymères utilisés (câbles, emballages…) peuvent être soumis sous air à des irradiations α (énergie typique : 5 MeV), à l'origine d'un vieillissement prématuré. Les effets les plus visibles sont un jaunissement des films transparents et leur perte de tenue mécanique. D'un point de vue chimique, c'est dès 1946 que Bolland et Gee ont proposé un modèle générique du vieillissement sous air des polymères basé sur une réaction en chaîne permettant aux radicaux peroxydes ROO•-, au fort pouvoir oxydant, de réagir avec le polymère. En réagissant avec le polymère, chaque radical en libère un nouveau, capable de former à son tour un nouveau peroxyde et le processus se poursuit. Ce modèle thermochimique homogène ne prend cependant pas en compte l'inhomogénéité spatiale liée à la forte excitation très localisée induite par l'arrêt d'une particule α. Les effets d'inhomogénéité et de débits de dose sont pourtant essentiels pour extrapoler de manière fiable les études de vieillissement accéléré sur des périodes de temps très longues. Le développement d'un modèle de vieillissement sous irradiation capable de décrire tous la dynamique spatiale et temporelle est alors nécessaire.
Dans ce cadre, une simulation Monte Carlo de la cinétique d’oxydation de polymères prenant en compte les dépôts localisés d'énergie résultant de l'irradiation comme évènements initiaux a été développée au CIMAP. Ce modèle est basé sur une représentation simplifiée du mouvement des radicaux (P• et POO•, où P désigne une chaine polymère) créés par radio-oxydation Les paramètres du modèle sont déduits de données de diffusion pour le polyéthylène. Cette simulation a permis d’étudier l’endommagement par des ions, comparativement à des particules plus légères. Ce travail montre qu’il existe des différences très nettes entre cinétiques homogènes et hétérogènes [1]. Ces différences se reflètent dans la dépendance des rendements au débit de dose et à la concentration d’oxygène dissout dans le polymère, deux quantités macroscopiques facilement contrôlables expérimentalement.
L’irradiation α (énergie typique : 5 MeV) en milieu nucléaire, des polymères sous air est à l’origine de leur vieillissement dont les effets les plus visibles sont un jaunissement des films transparents et une perte de tenue mécanique. Les effets de l'oxydation des polymères ont été observé dès que l’on a été capable de les synthétiser au début du 20ème siècle, et en 1946 J. L. Bolland et G. Gee ont proposé un schéma thermochimique explicatif de l'oxydation. Ce schéma est basé sur la formation de radicaux P• induits par radiolyse du polymère (PH), suivie de leur réaction avec les molécules d’oxygène naturellement dissoutes dans le polymère à pression ambiante pour former POO•. Ces radicaux peuvent ensuite soit se propager par une réaction en chaîne avec le polymère pour former un nouveau P•, puis POO• par oxydation, soit réagir entre eux pour former un produit stable, ce qui termine la chaîne. Dans ces matériaux les constantes cinétiques associées à la propagation et à la terminaison sont faibles. Les cinétiques sont donc lentes et très sensibles au débit de dose ou de manière équivalente au nombre de radicaux créés par unité de temps et de volume dans le matériau.
Pour un vieillissement sous irradiation la sensibilité à ces paramètres, confirmée expérimentalement, limite les possibilités d’extrapolation à long terme du vieillissement. Les expériences réalisées à fort débit de dose sont en effet peu représentatives des conditions expérimentales rencontrées avec un faible débit, qui est par nature spatialement et temporellement inhomogène.
Pour permettre l'extrapolation vers les faibles débits de dose, Il a alors été nécessaire de construire une simulation Monte Carlo cinétique, sur la base du modèle de chaine réactive de J.L. Bolland et G. Gee. Ce modèle cinétique, élaboré par l'équipe SIMUL du CIMAP, permet aussi d’analyser les différences entre les situations homogène et hétérogène, et l'étude en fonction du débit de dose et de la pression d’oxygène pour un polymère modèle. Cette simulation est assez comparable à celles utilisées en métallurgie physique pour l’endommagement des métaux. Les données nécessaires à la simulation sont essentiellement les constantes de diffusion et la solubilité de O2 qui sont connues dans la littérature. Seule la constante de réaction de la propagation est méconnue et a dû être fixée empiriquement. Néanmoins les résultats obtenus sont qualitativement inchangés lorsqu’on fait varier ce paramètre sur plusieurs ordres de grandeur.
La figure 1 montre une cinétique typique de formation de radicaux. Le caractère hétérogène de la distribution de radicaux à l’échelle micrométrique est très net. La figure de droite montre qu’après établissement du régime stationnaire, c’est-à-dire lorsque le nombre moyen de radicaux POO• ne varie plus en fonction du temps, la distribution spatiale reste fortement hétérogène et le demeure quel que soit le temps d’irradiation. En revanche, la distribution radiale dépend fortement du débit de dose : elle est d’autant plus hétérogène que le débit est faible.
La radio-oxydation peut être caractérisée par une longueur de chaîne cinétique définie par le rapport Λ entre le nombre de produits de propagation (POOH) et le nombre de produits de terminaison (POOP). Ce rapport dépend du flux (φ) et de la concentration en oxygène (CO2) qui sont les paramètres de contrôle à disposition du physicien, la concentration étant imposée par la pression de O2 et la solubilité du matériau. La figure 2 montre la variation de Λ en fonction de CO2 pour 3 valeurs de flux pour une cinétique homogène ou hétérogène.
Pour la clarté de la présentation le rapport Λ, est normalisé par (φ/φ0)1/2 qui est la loi d’échelle déduite des équations de cinétique homogène à forte concentration d’oxygène dissout, ce qui correspond pour les flux présentés ici à la pression ambiante (CO2 = 0.2 mM). Dans le cas homogène, on observe sur la figure 2 que la variation de Λ en fonction de CO2 suit un profil indépendant du flux, avec une translation de la courbe le long de l’axe CO2. On pourrait ainsi définir une concentration normalisée par rapport au flux définissant une courbe unique. Le profil obtenu dans le cas des cinétiques hétérogènes est remarquablement différent. Tout d’abord, la courbe présente un maximum bien marqué pour la concentration associée au changement de régime de formation de POOP. De plus la valeur à forte concentration CO2 dépend du flux.
La simulation développée au CIMAP permet ainsi d’obtenir des observables mesurables en fonction des paramètres de contrôle que sont le flux et concentration d’oxygène, qui permettent de caractériser les cinétiques de radio-oxydation. La longueur de chaîne cinétique et mieux encore le nombre de radicaux P• ou POO• mesurables par résonance paramagnétique électronique (RPE) permettraient de tester finement les prédictions de la simulation. Conceptuellement, la simulation monte que le régime stationnaire atteint n’est pas caractérisé par une distribution homogène des produits. Enfin la simulation montre que les cinétiques se développent sur des durées variant de la seconde à la minute et au-delà en fonction du flux, tout à fait accessibles à la mesure.
Référence :
[1] « Kinetic Monte Carlo simulation of heterogeneous and homogeneous radio-oxidation of a polymer”
B. Gervais, Y. Ngono, E. Balanzat, Polymer Degradation and Stability 185 (2021) 109493
Contact CEA-IRAMIS : Benoit Gervais (CIMAP/SIMUL) et Yvette Ngono (CIMAP/MADIR).