Elaboration des premières OLEDs émettrices de lumière circulairement polarisée

Elaboration des premières OLEDs émettrices de lumière circulairement polarisée

Le CEA, associé à l’ENS Paris-Saclay, et les Universités de Rennes et de San José (USA), a développé de nouvelles molécules émettrices de lumière pour la réalisation de diodes électroluminescentes organiques (OLEDs). Les molécules ont été conçues afin de réduire la consommation électrique et d'améliorer l'intensité lumineuse émise par les diodes. Dans cette toute première étude, une étape de modélisation a permis de mieux comprendre les phénomènes mis en jeux et de calculer ab initio les caractéristiques optiques, afin de sélectionner et orienter la conception de nouvelles molécules avec une structure originale. L'émission lumineuse obtenue étant circulairement polarisée, ce type de composant pourrait avoir un avenir prometteur dans les technologies d’affichage.

Pour être regardé confortablement, les écrans doivent être à la fois lumineux et antireflets. La source lumineuse de chaque pixel doit donc être intense et si possible polarisée, pour permettre un traitement antireflet sans perte d’intensité lumineuse ni dégradation de la qualité de la lumière émise. C'est avec ces objectifs que les diodes électroluminescentes organiques (Organic Light-Emitting Diode – OLED) font l'objet de nombreuses recherches pour améliorer et étendre leurs applications dans les secteurs de l’éclairage ou de l’affichage.

La présente étude montre que des OLEDs utilisant des composés organiques à fluorescence retardée par activation thermique (molécules CP-TADF) peuvent être réalisées. Elles allient efficacité énergétique et émission de lumière circulairement polarisée, permettant de s’affranchir de filtres antireflets.

A gauche : empilement typique de couches minces pour la réalisation d'une diode électroluminescente organique (OLED). A droite : OLEDS réalisées sur un wafer de 8 pouces et test d'un des composants. L'émission lumineuse est polarisée circulairement (CP-OLED).

Ces matériaux ont été conçus à partir d’une démarche conjointe théorie-expérience, en plusieurs étapes, de la conception de la molécule jusqu'aux premières CP-OLEDs (Circularly Polarised – Organic Light-Emitting Diode) avec le soutien du projet ANR iChiraLight. Du point de vue de leur fonctionnement, lorsque le dispositif est soumis à une tension électrique, des excitons (paire électrons-trous) sont formés avec une distribution statistique tel que 25% sont dans un état singulet (S1) et 75% dans un état triplet (T1). Porté dans un de ces états excités, l’électron subit différents mécanismes de désexcitation pour revenir à l’état fondamental (S0) : à partir de S1 la désexcitation radiative de fait par fluorescence, phénomène rapide et intense, mais le rendement quantique de cette voie est limité à 25 %. L’émission à partir de T1 est de nature phosphorescente et donc beaucoup plus lente. L’idée principale des molécules développées est alors d’accroitre le nombre de désexcitations à partir de l’état S1 par un mécanisme de transfert depuis l’état triplet T1 vers l’état singulet S1. On parle alors de « fluorescence retardée » qui peut être réalisée par chauffage (TADF pour Thermally Activated Delayed Fluorescence). Pour ceci, le gap d’énergie (ΔESing-Trip) entre les états S1 et T1 doit être suffisamment faible, et l'on cherche ainsi à concevoir des molécules où ce transfert T1→ S1 est optimisé.

Pour obtenir des CP-OLEDs, des molécules chirales luminescentes ont été ainsi conçues. Soumises à une excitation lumineuse ou électrique, elles sont avant tout capables d’émettre une lumière circulairement polarisée. Les émetteurs développés sont ainsi constitués d’unités donneur et accepteur d'électrons séparées par un espaceur permettant d’obtenir un écart d'énergie entre états singulet et triplet ΔESing-Trip inférieur à 0.1-0.2 eV, nécessaire pour un transfert efficace, permettant d'approcher un rendement quantique d'émission lumineuse approchant les 100%.

Le travail de modélisation ainsi réalisé au NIMBE a eu pour objectif de mieux comprendre le mécanisme de transfert d'excitation et comment ces nouveaux assemblages moléculaires permettent d’atteindre les faibles valeurs de ΔESing-Trip recherchées.

Les différentes structures moléculaires et isomères explorées : un cœur phthalonitrile (C6H4(CN)2, en vert) est entouré d'une fonction chirale (BINOL, dérivé d'un dimère de naphtalène, en gris) et d'un ou plusieurs groupements carbazole (C12H9N, en rouge) diversement substitués, avec plusieurs positions possibles par rapport au cycle central (en vert). La structure C' permet d'optimiser le rendement quantique de l'émission lumineuse, par transfert quasi-résonant d'excitation d'un état triplet T1 vers un état singulet S1, se désexcitant par fluorescence rapide vers l'état fondamental S0.

La modélisation est de type chimie quantique, basée sur la théorie de la fonctionnelle de la densité. Elle a montré toute son efficacité pour, non seulement évaluer ΔESing-Trip, mais aussi pour connaitre et maitriser l'ensemble des interactions permettant de contrôler ce paramètre, ainsi que pour évaluer les propriétés optiques associées. La principale difficulté pour obtenir des valeurs quantitatives fiables réside dans le calcul de l'énergie de l’état triplet, d’autant plus que les états singulets et triplets peuvent être fortement couplés par interaction spin-orbite. Diverses géométries de la molécule, avec différentes orientations de la fonction chirale et l'ajout d'un ou plusieurs groupement carbazole diversement substitués ont été ainsi explorées (voir figure 2), par un ensemble de calculs de chimie théorique. Les molécules ainsi proposées ont pu être synthétisées et les premières mesures optiques effectuées.

Cet ensemble de données a permis d’établir des relations structure-propriétés mettant en avant les paramètres structuraux importants pour l’obtention des meilleures propriétés optiques. Ce travail montre bien toute l'utilité d'une étape de modélisation pour guider la conception de nouvelles molécules à propriétés optiques contrôlées. Il n’en est qu’à ses débuts, et se poursuit, pour la partie modélisation, avec la mise en œuvre de nouvelles méthodes théoriques plus précises, qui permettront de calculer l’ensemble des propriétés optiques nécessaires et d'explorer ainsi encore plus largement de nouvelles familles de molécules avant synthèse.


Référence :

« Maximizing chiral perturbation on thermally activated delayed fluorescence emitters and elaboration of the first top‐emission circularly polarized OLED »,
Frédéric, L., Desmarchelier, A., Plais, R., Lavnevich, L., Muller, G., Villafuerte, C., Clavier, G., Quesnel, E., Racine, B., Meunier‐Della‐Gatta, S., Dognon, J.‐P., Thuéry, P., Crassous, J., Favereau, L., Pieters, G., Adv. Funct. Mater. 2020, 2004838.

Contact chimie théorique CEA-IRAMIS : Jean-Pierre Dognon (NIMBE/LSDRM).

Collaboration :