Double irradiation ionique haute et basse énergie du silicium : un procédé pour moduler à façon l’ordre cristallin

Double irradiation ionique haute et basse énergie du silicium : un procédé pour moduler à façon l’ordre cristallin

Les faisceaux d'ions focalisés (FIB, 1 à 50 keV) sont largement utilisés pour façonner les semi-conducteurs pour la réalisation de dispositifs électroniques. Les faisceaux d'ions énergétiques apportent d'autres possibilités : l'irradiation par des ions de faible énergie pulvérise en surface, ils peuvent également être utilisé pour de l’implantation (dopage ou procédé de smart-cut). Les ions d'énergie intermédiaire (~ 50-500 keV) induisent des déplacements d'atomes en volume (pouvoir d'arrêt nucléaire) et à haute énergie (~ 30 MeV) on observe la formation par perte d'énergie électronique, de traces latentes, de désordre et d'éventuelles transitions de phase,

Dans la présente étude, les chercheurs du CIMAP, en collaboration avec DEN/DMN/SRMP et l'IJCLab d’Orsay ont étudié, sur l'installation JANNuS, les effets couplés sur le silicium d'une double irradiation à basse et haute énergie. Il est ainsi montré que le degré et la profondeur d'amorphisation dépendent fortement du rapport d'intensité des 2 types de faisceau d'ions : l'énergie déposée sous forme d'excitation électronique permet de réduire fortement les dommages dus aux collisions balistiques, à condition que le flux du faisceau d'ions à haute vitesse soit suffisamment élevé par rapport à celui des ions de basse vitesse. Le procédé permet ainsi de moduler la cristallinité du silicium sur des épaisseurs contrôlées.

L'irradiation par faisceau d'ions permet la réalisation de nanostructures ou de doper les semi-conducteurs pour la réalisation de dispositifs électroniques. À très basse énergie, les ions permettent de pulvériser la matière (FIB). Lors d’irradiation par des ions de basse énergie ou d’énergie intermédiaire (jusqu’à quelques MeV), ceux-ci perdent leur énergie par collision avec les atomes (pouvoir d'arrêt dit « nucléaire », Sn) ce qui entraine des déplacements atomiques : paires de Frenkel – lacune et interstitiel ou cascades de déplacements. À température ambiante, une amorphisation du matériau est généralement observée, par accumulation de défauts ponctuels ou par superposition de poches amorphes crées dans les cascades de déplacements. À plus haute température, des cavités, des boucles de dislocations ou des phénomènes de ségrégation deviennent possibles.

À plus haute énergie, le ralentissement des ions par collisions inélastique avec les électrons (pouvoir d'arrêt dit « électronique », Se) peut générer la formation de traces latentes le long du parcours des projectiles (de la centaine de nanomètres à plusieurs microns), du désordre et d'éventuelles transitions de phase. Il faut aussi noter que les semi-conducteurs sont pour la plupart réputés insensibles à la formation de traces (à l’exception d’irradiation avec des agrégats).

Ces effets d'irradiation, très différents en fonction du flux et de l'énergie des ions, suggèrent de coupler des irradiations à haute (Se) et basse énergie (Sn) pour obtenir de nouveaux procédés pour façonner un semi-conducteur, tel que le silicium. Pour cela différentes expériences peuvent être menées :

  • des irradiations séquentielles (basse énergie pour créer des défauts par collision balistique suivie d’irradiation à haute énergie pour créer des excitations électroniques, ou réciproquement),
  • des irradiations simultanées en utilisant un double ou triple faisceau (comme c’est le cas sur la plateforme JANNuS du CEA-Saclay)
  • ou l’utilisation d’ions de haute énergie permettant d’avoir à la fois un pouvoir d’arrêt électronique important, tout en ayant une contribution nucléaire (au GANIL, ligne IRRSUD).

Selon les matériaux, une réduction du nombre de défauts créés par effet balistique (ions Fe, 100 keV) peut être obtenue par recuit sous l'effet de l'irradiation par des ions lourds rapides (ions Pb, 0.87 GeV) [1]. C’est le cas du SiC par exemple. Ou au contraire une augmentation du nombre de défauts créés, comme c'est le cas pour l’AlN [2], quand le recouvrement temporel et spatial des deux types d'irradiation n'est pas optimal.

L'expérience récente, menée à la fois sur l'installation JANNuS à Saclay pour les irradiations en double-faisceau et sur JANNuS-Orsay pour la caractérisation par faisceau d’ions (RBS/C), montre que le silicium est aussi sensible aux effets combinés d'une double irradiation. Celle-ci est réalisée avec des ions I+ 900 keV (Sn) et Fe+ 27 MeV ou W+ 36 MeV (Se) pour des irradiations successives (Sn+Se) ou simultanées (Sn&Se). Le rapport des flux Se/Sn utilisé varie entre 0.4 et 1.6. Une double irradiation (Sn&Se), peut aussi être obtenue sur l'installation du GANIL, capable de produire un faisceau unique dans la gamme d'énergie où les deux effets Sn&Se sont réunis.

Effet d'irradiation sur un monocristal de silicium orienté {100} :

  • À gauche : irradiation par des ions I+ de 900 keV (Sn). La zone en gris clair montre l’amorphisation totale obtenue en surface sur une profondeur de 600 nm (absence de pics de diffraction électronique).
  • À droite : irradiation en double faisceau I+ (900 keV) et Fe+ (27 MeV) (Se), avec la même fluence d’ion I+. L'irradiation simultanée Sn&Se limite l’endommagement du silicium. Comme le montrent les clichés de diffraction, l'amorphisation en surface est clairement réduite.

L'irradiation d'échantillons de silicium (monocristaux dopé n, orientés {100}, de 280 μm d'épaisseur) montre pour les seuls ions à faible vitesse (Sn) la formation d'une couche amorphe avec une interface amorphe-cristal à 600 nm de profondeur. Pour r = 0.4 une réduction de l'amorphisation en surface de l'échantillon est observée. Pour r = 0.8, le cristal reste totalement désordonné entre 100 et 450 nm. Pour r= 1.6 l'amorphisation n'est cette fois plus complète et l'irradiation à double faisceau (Sn&Se) conduit à la formation d'une couche endommagée, mais qui reste nettement cristalline. Des simulations Monte-Carlo permettent de reproduire ces résultats.

Ainsi lors d’une irradiation double faisceau, un recuit par les excitations électroniques (Se) des défauts créés par collision balistique (Sn) est mis en évidence. La qualité du recuit est fonction du rapport des flux d'ions de basse énergie et haute énergie. La double irradiation permet ainsi de moduler la qualité de l'amorphisation de la couche superficielle, ce qui peut être mis à profit pour façonner des cristaux de silicium, selon leurs applications en microélectronique.

Références :

[1] Athermal crystallization induced by electronic excitations in ion-irradiated silicon carbide,
A. Benyagoub and A. Audren, Appl. Phys. Lett. 89 (2006) 241914

[2] Synergy between electronic and nuclear energy losses for color center creation in AlN
M. Sall, I. Monnet, C. Grygiel, B. Ban d'Etat, H. Lebius, S. Leclerc and E. Balanzat, Europhysics Letters, 102(2) (2013) 26002.

Ionization-induced annealing in silicon upon dual-beam irradiation,
L. Thomé, G. Gutierrez, I. Monnet, F. Garrido, A. Debelle, Journal of Materials Science 55, 5938–5947(2020).


Contact CEA : Isabelle Monnet (CIMAP).

Collaboration :