Détecter l’uranium à l’état de traces dans l’eau

Détecter l’uranium à l’état de traces dans l’eau

Une technique sur site simple et rapide est nécessaire pour les analyses des eaux de lixiviation issues de sols pollués par des métaux lourds (collaboration avec VINCI Construction) ou celles de rejets d’eau de mer pouvant contenir des hydrocarbures (collaboration avec TOTAL). La méthode employée doit être fiable et ultrasensible, pour satisfaire au respect des normes européennes.

Depuis une dizaine d’années, le LSI développe un capteur de métaux lourds basé sur des membranes polymères nanoporeuses capables de piéger de nombreux métaux par complexation avec des fonctions chimiques localisées dans la porosité. L’irradiation aux ions lourds accélérés du GANIL permet cette structuration en nanopores. La fonctionnalisation chimique se fait par greffage radio-induit grâce aux défauts radicalaires créés dans la matière lors de l’irradiation.

En lien avec les opérations d'assainissement-démantèlement d'installations nucléaires, la méthode est appliquée à la détection ultra-sensible des ions uranyles dans l’eau par voltammétrie et photoluminescence.

72% des réacteurs nucléaires français sont âgés de 31 à 40 ans. Même si une extension de leur durée de vie est actuellement à l’étude, leur démantèlement doit être envisagé. Dans ce cadre, des analyses sur site avec des méthodes fiables et ultrasensibles seront indispensables pour prouver l’absence de pollution résiduelle des sols et des eaux par des métaux lourds. Depuis une dizaine d’années, le LSI développe un capteur de métaux lourds, nommé CAPTOT, basé sur des membranes polymères nanoporeuses (Fig. 1 ci-contre).

Ces membranes sont capables de piéger de nombreux métaux par complexation avec des fonctions chimiques localisées dans la porosité par greffage radio-induit (Fig. 2). [1-3] L’irradiation aux ions lourds accélérés du GANIL permet cette structuration en nanopores avec des densités importantes. La fonctionnalisation chimique se fait par greffage radio-induit grâce aux défauts radicalaires créés dans la matière lors de l’irradiation. La détection est basée sur une méthode voltammétrique (ou Stripping Voltammetry – SV). La méthode est très versatile puisque la liste des métaux pouvant être détectés par CAPTOT comporte : As, Cd, Co, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Zn, Sb, Se et, tout récemment l'uranium (U).

Figure 1. Dispositif CAPTOT prêt à la détection les métaux dissous dans l’électrolyte. La sonde de lecture, dont la tête est plongée dans le liquide à analyser, est reliée par un câble au mini-potentiomètre développé en partenariat avec la société VALOTEC.

Les directives européennes sont de plus en plus contraignantes sur les seuils acceptables de ces métaux lourds dans l’environnement, certains étant de l’ordre de quelques µg.L-1. Certains industriels concernés par l'étude de la pollution des sols selon la norme NF-EN-12457-2 [1], et d'autres concernés par la réglementation OSPAR sur les rejets des eaux de production en mer, se sont donc intéressés à la technologie CAPTOT via les cellules de valorisation du CEA. La maturité de cette technologie permet d’ores et déjà de répondre, en tout ou partie, aux problématiques de ces industriels.

Parmi les métaux toxiques d’intérêt sociétal, la détection des ions uranyles dans l’eau est un enjeu particulier dans le suivi des radionucléides dans l’environnement. Cette étude a été réalisée en collaboration avec l’équipe du Prof. Al-Sheikhly de l’université de Maryland (USA) qui développe de nouvelles fonctionnalités pour la capture des ions UO22+ contenus dans l’eau de mer.


[1] Selon le protocole expérimental retenu, 1kg de terres excavées sont lixiviées dans 10 L d’eau déionisée pendant 24h, pour reproduire la dissolution des métaux du sol par l’eau de pluie.

La réussite du greffage radio-induit du monomère bis-(2-(methacryloyloxy)ethyl) phosphate (B2MP) dans la nanoporosité d’une membrane en poly(difluorure de vinylidène) (PVDF) permet la capture d’ions uranyles UO22+ en solution dans l’eau> [4]. Après un fin dépôt de 35 nm d’or sur les surfaces de ces membranes (voir Fig.2), la mesure des ions uranyles piégés par complexation avec les atomes de phosphore a été obtenue en quelques minutes par le procédé de détection CAPTOT (Fig. 3a).

Dispositif Captot
Encadré : Images FESEM (Field Emission Scanning Electron Microscopy) montrant la nanoporosité d’une membrane polymère en PVDF avant et après dorure (technique dite de « track-etch » ; irradiation GANIL, 109 nanopores par cm2), le schéma illustre la localisation du radio-greffage sur la paroi des nanopores.

De plus, la nanoporosité favorise une préconcentration des ions par adsorption passive permettant d’obtenir une limite de détection très faible de 17 µg.L-1. La mesure d’un isotherme d’adsorption par ICP-MS, ajusté par le modèle de Langmuir, donne une constante d’affinité suffisamment forte (107 L.mol-1) pour témoigner d’une réelle complexation et non d’une simple adsorption électrostatique. De récentes études au LSI, non plus en voltammétrie mais en photoluminescence, montrent que cette limite peut encore être abaissée sous le seuil de 6 µg.L-1 comme le montre la Fig. 3.

Figure 3. a. Voltammogrammes obtenus par SW-CSV (Square Wave Cathodic Stripping Voltammetry) avec des membranes « track-etched » nanoporeuses fonctionnalisées en PVDF-g-B2MP dopées par des ions UO22+ (rayon des nanopores: 25 nm ; longueur : 9 µm ; densité : 1010 nanopores.cm-2). Le dopage a eu lieu en présence de solutions aqueuses d’ions UO22+ de concentrations croissantes allant de 0 à 100 µg.L-1
Figure 3. b. Spectres d’émission obtenus par photoluminescence des ions uranyles piégés dans la nanoporosité des membranes en PVDF-g- B2MP.

Pour poursuivre ce travail, la limite de détection des ions uranyles par photoluminescence reste encore à préciser. Il est sans doute aussi possible d’abaisser ce seuil, en utilisant d’autres procédés de complexation. Il est également envisagé d’étudier l’impact des rayonnements sur le piégeage des ions UO22+ dans les membranes, dans le cadre de l’analyse d’eau pouvant contenir des radio-éléments.

Si ces études montrent un intérêt en valorisation pour le suivi des radionucléides tels que l’uranium dans l’environnement, un dispositif complémentaire à CAPTOT intégrant une détection en photoluminescence dédié aux ions uranyles pourrait voir le jour.

Références :

[1]. « Nanopore size tuning of polymeric membranes using the RAFT-mediated radical polymerization »
M. Barsbay, O. Güven, H. Bessbousse, T. L.Wade, F. Beuneu, M-Cl. Clochard, J. Memb. Sci. 445, 135- 145 (2013).
[2] « Poly(4-vinyl pyridine) radiografted PVDF track etched membranes as sensors for monitoring trace mercury in water »
H. Bessbousse, N. Zran, J. Fauléau, B. Godin, V. Lemée, T. Wade, M-C. Clochard, Rad. Phys. Chem. 118, 48-54 (2016).
[3] « Early warning sensors for monitoring mercury in water »
U. Pinaeva, D. Lairez, O. Oral, T. Lee Wade, M-Cl. Clochard, A. Faber, P. Moreau, J-Ph. Ghestem, M. Vivier, S. Ammor, R. Nocua, A. Soulé, Journal of Haz. Mat. 376, 37-47 (2019).
[4] « Bis[2-(methacryloyloxy)ethyl] phosphate radiografted into track-etched PVDF for uranium (VI) determination by means of cathodic stripping voltammetry »
U. Pinaeva, T.C. Dietz, M. Al Sheikhly, E. Balanzat, M. Castellino, T.L. Wade, M.C. Clochard, Reac. & Func. Polym. 142, 77-89 (2019).


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