Les matériaux antiferromagnétiques sont susceptibles de jouer un rôle important dans les futurs développements technologiques pour le stockage de l'information, mais leur état magnétique est difficile à sonder et à manipuler. Dans un article paru dans la revue Nature Materials, une collaboration de chercheurs du SPEC-UMR 3680 CEA-CNRS et de Thalès propose une méthode optique d’imagerie par génération de seconde harmonique (SHG) utilisant un laser femto-seconde. La technique a permis de suivre l'évolution de la structure en domaine d'un matériau antiferromagnétique sous l'effet de différents stimuli, champ électrique externe ou excitation optique.
Dans les aimants conventionnels, le magnétisme est robuste jusqu’à des températures bien supérieures à l’ambiante. Les matériaux ferromagnétiques, dans leur état ordonné où l'ensemble des moments magnétiques atomiques sont alignés et pointent dans le même sens, sont par conséquent largement utilisés dans les technologies de l’information. D’un autre côté, les matériaux anti-ferromagnétiques (AF), qui composent la majorité des matériaux magnétiques, ne sont pas (encore) utilisés comme éléments actifs. Dans ces composés, les moments magnétiques atomiques pointent dans des directions opposées entre voisins produisant donc une aimantation résultante nulle. Cet ordre est insensible à un champ magnétique extérieur et difficile à sonder. Cependant, l’application de ces matériaux dans le domaine des technologies de l’information est prometteuse. En effet, un élément mémoire antiferromagnétique pourrait être plus petit que les ‘bits’ ferromagnétiques existants, et serait surtout insensible aux perturbations électromagnétiques extérieures, volontaires ou accidentelles. Ces composés présentent aussi une dynamique cent fois plus rapide que celle des composants ferromagnétiques, pouvant atteindre le régime technologiquement important du Térahertz.
Ces propriétés remarquables sont toutefois inutilisables sans un contrôle fiable de l’ordre antiferromagnétique. Ceci requiert des champs magnétiques très intenses impossibles à produire dans un dispositif commercial. Il est donc essentiel de trouver d’autres stimuli extérieurs à même d’influencer l’ordre AF. Certaines avancées récentes permettent d’imaginer une écriture basée sur le ‘couple de transfert de spin’, un procédé de transfert d’aimantation produit par des courants. Ces effets viennent d’être appliqués aux AF conducteurs qui, en sus de leurs propriétés de magnéto-résistance, peuvent ouvrir des perspectives d’utilisation dans des dispositifs électroniques. Par ailleurs, l’ouverture à la dynamique THz des antiferromagnétiques requiert l’utilisation de matériaux isolants (qui sont largement plus répandus que leurs cousins conducteurs). Il est donc essentiel de trouver les matériaux adéquats, les moyens d’écriture ainsi que les techniques de visualisation (mesure) de l’ordre AF. Aucune de ces étapes n’est actuellement validée.
Il est difficile d’observer les domaines AF et jusqu’à présent une technique phare était est la photoémission par rayonnement synchrotron. Au SPEC, nous avons développé, au sein du Laboratoire Nanomagnétisme et Oxydes (LNO), une technique alternative d’imagerie par génération de seconde harmonique (SHG) utilisant un laser femto-seconde. C’est une technique d’optique non-linéaire qui consiste à détecter la lumière émise d’un composé au double de la fréquence (2ω) de la lumière avec laquelle il a été éclairée (figure1). Ce processus est seulement permis dans des composés dont la symétrie spatiale ou temporelle est brisée. Le magnétisme et en particulier l’antiferromagnétisme brisent naturellement la symétrie temporelle. Par conséquent l’analyse (intensité, polarisation …) de la SHG émise par un échantillon AF contiendra l’information de sa configuration magnétique. Nous avons ainsi pu mettre en évidence la répartition en domaines AF d’un matériau multiferroique, c’est-à-dire à la fois ferroélectrique et antiferromagnétique : le BiFeO3. Les deux ordres y sont couplés et il est déjà connu que l’ordre AF est lié au vecteur de polarisation électrique. Toutefois, dans un monodomaine de polarisation, trois domaines antiferromagnétiques peuvent en principe coexister. Nous avons donc choisi d’imager leur configuration dans des couches minces de BiFeO3 produites à l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thalès et écrites en carrés de polarisation ferroélectrique homogène. L’image de la seconde harmonique générée et l’analyse de sa dépendance avec la polarisation de la lumière permet de reconstruire, pixel par pixel la direction locale du vecteur AF avec une résolution de l’ordre de 400 nm (figure 1).
Une fois cette étape accomplie, il est possible de visionner l’évolution des domaines sous l’influence de divers stimuli extérieurs (figure 2). Ainsi, nous avons vérifié qu’un changement de la polarisation électrique s’accompagne d’un changement de la configuration des domaines AF. Plus intéressant encore, nous avons mis en évidence qu’un champ électrique sous-coercitif (figure 2c), c’est-à-dire incapable de changer l’état électrique, est à même de modifier les domaines AF. Enfin, dans une perspective de manipulation toute optique, nous avons aussi pu montrer qu’une impulsion femtoseconde intense est aussi en mesure de changer la répartition des domaines AF (figure 2d). Pour l’heure, ces effets ne sont pas contrôlés et restent même partiellement incompris. Toutefois, cette étude représente un pas important vers la démonstration d’une utilisation potentielle de ces matériaux antiferromagnétiques en tant qu’éléments mémoires de haute densité et composants ultra-rapides.
Référence :
Multi-stimuli manipulation of antiferromagnetic domains assessed by second-harmonic imaging, J.-Y. Chauleau, E. Haltz,C. Carrétéro,S. Fusil, M. Viret, Nature Materials 16 (2017) 803. |
Collaboration :
- SPEC-UMR 3680 CEA-CNRS, Université Paris-Saclay, CEA Saclay, 91191 Gif-Sur-Yvette, France
- Unité Mixte de Physique, CNRS, Thales, Univ. Paris-Sud, Université Paris-Saclay, 91767 Palaiseau, France
Contact CEA : Jean-Yves Chauleau (SPEC/LNO).