La sonde atomique tomographique est un outil unique permettant d’analyser la composition chimique en 3 dimensions à l’échelle nanométrique. L’analyse est basée sur la reconstruction des trajectoires des ions émis par une pointe très fine soumise à un potentiel électrique de quelques dizaines de kV. En dépit de réels succès dans l’observation de matériaux métalliques, les mesures réalisées avec des matériaux semiconducteurs ou isolants font apparaître des écarts à la composition chimique attendue.
Pour comprendre l’origine de ces écarts et faire progresser la méthode expérimentale, l’équipe SIMUL du CIMAP analyse l’émission et la stabilité des molécules sous champs électrique intense. Ce travail est réalisé en collaboration avec l’équipe instrumentation du GPM de Rouen, dans le cadre d’un projet financé par le Labex EMC3. Dans le cas d’un échantillon de ZnO nous avons montré que la proportion des différentes voies de dissociation moléculaire varie avec l’intensité du champ, et que la gamme de champ accessible à l’expérience favorise la formation d’oxygène atomique neutre, indétectable expérimentalement. Ce travail montre ainsi la grande utilité des simulations atomistiques pour améliorer la qualité des mesures quantitatives par sonde tomographique.
La sonde atomique tomographique est un outil d’analyse unique permettant de mesurer en 3 dimensions et à l’échelle nanométrique, la composition chimique d’un échantillon. Son principe de fonctionnement repose sur une loi d’électrostatique très simple : l’effet de pointe, connu depuis l’origine de l’électrostatique, et à la base du principe du paratonnerre. Pour la sonde atomique tomographique, on élabore une aiguille très fine prélevée dans l’échantillon à analyser. Les techniques de faisceau d’ions focalisés (FIB) permettent d’obtenir des aiguilles d’une longueur de quelques microns, dont le rayon de courbure à la pointe peut être inférieur à quelques dizaines de nanomètres. Cette aiguille est elle-même montée sur une pointe métallique et l'ensemble soumis à un potentiel d’une dizaine de kilovolts. Le champ résultant à l’extrémité de la pointe-échantillon est de l’ordre de quelques dizaines de volt par nanomètre, soit une valeur légèrement inférieure à l'énergie de cohésion d’une molécule.
Le mode opératoire consiste à venir déclencher l’émission d’ions au niveau de la pointe. Leur masse peut alors être mesurée par temps de vol entre le lieu d'émission sur la pointe analysée et un détecteur placé en face. L'émission est déclenchée à l’aide d’une impulsion électrique dans le cas des métaux ou à l’aide d’une impulsion laser brève dans le cas des semiconducteurs et des isolants. Cette dernière technique a été développée ces dernières années au Groupe de Physique des Matériaux à Rouen. Ces développements ont abouti à la construction d’une machine commercialisée à une centaine d’exemplaires dans le monde. L’excellente résolution temporelle combinée à la localisation des fragments sur le détecteur permet de reconstruire les trajectoires suivies par les ions émis de la pointe et ainsi d’identifier leur position originale dans l’échantillon avec une précision de l’ordre du nanomètre. L’utilisation de cette sonde a permis d’obtenir des résultats tout à fait remarquables, tel que la révélation de la structure multicouche de puits quantique d’InGaN (voir figure ci-dessous).
Malgré ces succès indéniables, certaines difficultés demeurent pour obtenir une analyse quantitative fiable et précise. En effet l’analyse de matériau de composition parfaitement connue car fixée par leur stoechiométrie comme MgO ou ZnO, fait apparaître un écart à la composition chimique nominale, variable selon la valeur du champ appliqué.
Pour décrypter ce phénomène l’équipe SIMUL du CIMAP a réalisé une simulation de la dynamique de l'ion moléculaire ZnO2+, que l'on observe majoritairement pour les plus basses tensions appliquées à une pointe de ZnO. La simulation s’appuie sur une série de calculs de structure électronique des états moléculaires de plus basse énergie du dication ZnO2+. Ils permettent de construire un modèle simple des surfaces d’énergie potentielle en fonction de l’allongement de la molécule, de son orientation par rapport au champ électrique et de l’intensité du champ électrique. La figure ci-desous montre la coupe de ces surfaces pour trois orientations différentes pour un champ électrique uniforme de 10 V/nm.
L’application d’un champ électrique agit sur la molécule de deux manières : le dipôle électrique moléculaire se couple tout d'abord avec le champ, et induit une rotation de la molécule autour de l’axe du champ. Ce mouvement de rotation est lui-même couplé avec le mouvement de vibration moléculaire, ce qui permet à la molécule d'accumuler de l’énergie interne. Dans le même temps, le champ électrique abaisse la barrière de potentiel de dissociation moléculaire. Ainsi, pour un ensemble de conditions initiales isotropes, l’intensité du champ à l'extrémité de la pointe contrôle le rapport entre les différents produits : ZnO2+non dissocié, Zn2+– O, ou Zn+-O+. Dans le cas des champs très intenses, les molécules émises peuvent être dissociées ou ionisées sous l’effet du champ électrique, si leur potentiel de liaison ou d’ionisation est inférieur à celui de la molécule initialement émise. C'est ainsi que l'on observe effectivement la voie de dissociation additionnelle : Zn2+– O+, par ionisation secondaire de l'atome d'oxygène après émission par la pointe selon la voie Zn2+– O. La figure ci-contre montre la répartition entre les différentes voies d'ionisation en fonction du champ électrique vu par la pointe-échantillon.
Dans la zone de champ accessible à l’expérience, i.e. entre 19 et 24 V/nm, la proportion d’oxygène neutre émis est importante. Comme seuls les fragments chargés sont détectables, il en résulte un biais dans la mesure de composition chimique, pour les tensions ne permettant pas l'ionisation de l'atome d'oxygène. Ceci explique aussi pourquoi la composition mesurée est fonction du champ appliqué.
L'existence de plusieurs voies de dissociation et l'abaissement des barrières d’ionisation par effet de champ sont des phénomènes génériques liés à la technique, qui ne se limitent pas au cas des molécules diatomiques. Ces résultats obtenus dans le cas de ZnO montrent tout l'intérêt d'étendre les simulations atomistiques à d'autres compositions d'échantillons, pour améliorer l'usage de la sonde atomique, et rendre l'outil plus quantitatif.
Références :
[1] « Atom-Probe Tomography: The Local Electrode Atom Probe »
M. K. Miller and F. R. G., Springer Science, 2014
[2] « Composition of wide bandgap semiconductor materials and nanostructures measured by atom probe tomography and its dependence on the surface electric field »
L. Mancini, N. Amirifar, D. Shinde, I. Blum, et al., J. Phys. Chem. C 118, 24136 (2014)
[3] « Composition Correlative Optical Spectroscopy and Atom Probe Tomography »
L.Rigutti, A. Phys. Pol. A.129.A-7
[4] Simulation of field-induced molecular dissociation in atom-probe tomography: Identification of a neutral emission channel
D. Zanuttini, I. Blum, L. Rigutti, F. Vurpillot, J. Douady, E. Jacquet, P.-M. Anglade, and B. Gervais, Physical Review A 95, 061401(R) (2017).
Contact CEA-IRAMIS : Benoit Gervais (CIMAP/SIMUL)
Collaboration :
- F. Vurpillot, L. Rigutti, I. Blum & D. Zanuttini : GPM – UMR CNRS 6634,
Avenue de l'Université – BP 12 – 76801 – Saint Etienne du Rouvray - J. Douady, E. Jacquet, P.-M. Anglade et B. Gervais : « Centre de recherche sur les Ions, les MAtériaux et la Photonique » – CIMAP-UMR 6252,
BP 5133 – 14070 Caen Cedex 05.