Les recherches sur les propriétés optiques des objets nanométriques de métaux nobles sont aujourd'hui très actives. En effet, si leur taille est très inférieure aux longueurs d'onde de la lumière visible, leurs électrons développent des oscillations à la fréquence de la lumière (modes plasmons). On obtient ainsi un couplage direct entre les oscillations électroniques de courte longueur d'onde au sein des nanostructures et les ondes électromagnétiques, reçues ou émises. L'effet est d'autant plus intense, que l'on sait optimiser les effets d'antenne.
Ces propriétés sont fortement influencées par la forme des objets : anisotropie de forme, effets de pointe… Le façonnage de la matière à l'échelle nanométrique par faisceau d'ions est ainsi une technique intéressante car elle permet de réaliser au cœur d'un substrat irradié, des nano-objets filaires dont on peut contrôler l'orientation spatiale.La maîtrise des procédés de fabrication par irradiation ouvre une voie pour l'élaboration de matériaux nano-composites, premier pas vers la réalisation de composants « optique » à l’architecture tridimensionnelle.
Une collaboration entre le LSI, l'Université de Tampere (Finlande), le LPS et le LPN montre que ces équipes ont aujourd'hui une parfaite maitrise de la réalisation de réseaux ordonnés de nanofils. Ils ont notamment caractérisé l'évolution angulaire de la génération de second harmonique des nano-antennes d'or individuelles, réalisées par irradiation ionique et intégrées dans une matrice diélectrique.
Au cours de la dernière décennie, beaucoup d'efforts ont été déployés pour développer des techniques permettant l'intégration des nanostructures dans des matrices fonctionnelles. Cette activité, aujourd'hui renforcée par les progrès techniques en nano-fabrication, a permis le développement de méthodes élégantes pour l'élaboration de nano-dispositifs planaires (2-d). Des méthodes pour concevoir et réaliser des nano-architectures tridimensionnelles (3-d) sont aujourd'hui aussi explorées.
Les techniques de façonnage par faisceau d'ions développées au Laboratoire des Solides Irradiés (LSI) permettent de réaliser des nanostructures aux propriétés optiques intéressantes [[1]]. Une première étape de lithographie électronique, suivi d'un dépôt d'or sur un substrat de silice permet d'obtenir un réseau très régulier de plots, que l'on enfouit dans une couche de silice déposée. L'ensemble est irradié par des ions lourds de krypton de 74 Mev. Au cours de leur parcours dans le matériau, les ions déposent leur énergie le long de leur trajectoire. Par endommagement et échauffement local, ils permettent la diffusion rapide de l'or le long de la trace latente des ions, formant ainsi des nanofils de forme très anisotrope, dont il est possible d'orienter la direction, fonction de l'angle d'incidence des ions (Voir figure). A partir de nanostructures compactes de quelques centaines de nanomètres, la dimension transverse des fils est réduite à quelques dizaines de nanomètres.
Les nanostructures obtenues forment des nano-antennes plasmoniques. Les métaux nobles présentent en effet des propriétés optiques singulières de par la présence d'oscillations collectives des électrons aux fréquences optiques (résonances plasmons). En présence d'une nanostructuration, ces résonances sont associées à une forte localisation spatiale (bien en dessous de la limite de diffraction) et à une exaltation (plusieurs ordres de grandeur) du champ électromagnétique local. A proximité de l'antenne, des effets optiques non linéaires peuvent alors être observés, même pour de faibles éclairements. Dans de telles conditions, la génération de seconde harmonique (SHG, processus dans lequel deux photons à la fréquence fondamentale sont convertis en un seul photon harmonique) peut être très efficace. Les effets non linéaires d'ordre deux sont interdits dans les matériaux centrosymétriques tels que les cristaux de métaux nobles. La génération d'harmonique devient possible avec une simple rupture de symétrie induite par exemple par une surface ou une interface. Les nanostructures façonnées par faisceau d'ions sont très anisotropes et non-centrosymétriques. En brisant localement la symétrie, elles autorisent la génération locale de photons harmoniques [[2], [3].
La présente étude a eu pour objectif d'étudier le couplage d'un faisceau laser excitateur avec les plasmons des nano-antennes façonnées par faisceau d'ions, et de mesurer l'évolution angulaire de la génération de second harmonique (SHG). Les effets non linéaires sont en effet très sensibles aux détails de la forme des nanostructures et offrent donc un diagnostic sensible du procédé d'élaboration. La source laser est accordée en longueur d’onde afin d'exciter la résonance plasmon des nanostructures.
Les modes plasmons sont cartographiés par spectroscopie de pertes d'énergie des électrons (EELS) [[4]. Les points « chauds » d'émission observés correspondent au maximum des modes propres de la nanoantenne. Ces modes peuvent osciller selon deux directions, le long du grand axe (oscillations longitudinales) ou le long du petit axe (oscillations transverses). Ils seront naturellement couplés avec le rayonnement incident ayant la bonne polarisation.
Le couplage avec le champ électrique de la radiation incidente a été étudié par microscopie vectorielle : par une forte focalisation à l'aide d'un objectif de microscope, il est possible de contrôler l'onde électromagnétique au point focal en fonction de la polarisation de la lumière incidente.
La figure ci-contre montre la génération de signal harmonique (SHG) pour différentes orientations des nanoparticules, excitées selon différents mode de polarisation : l’intensité et la forme du signal dépendent de l’orientation de la nanoparticule. On observe en particulier, que la polarisation radiale offre le meilleur contraste selon l'orientation spatiale des nanostructures. Les résultats expérimentaux ont été comparés à des simulations numériques faites avec la méthode des « éléments finis de frontière » (ou BEM – Boundary Element Method – en anglais).
Cette étude apporte ainsi une bonne compréhension de la génération d'harmonique dans les nanostructures spatialement orientées, qui en retour doit nous permettre d'optimiser la fabrication de nanocomposites avec une architecture 3D. Nous travaillons actuellement à la définition d'un protocole de fabrication de ces nanocomposites avec des propriétés optiques « à la carte ».
Références :
[1] « Rational description of the ion-beam shaping mechanism »,
G. Rizza, P. E. Coulon, V. Khomenkov, C. Dufour, I. Monnet, M. Toulemonde, S. Perruchas, T. Gacoin, D. Mailly, X. Lafosse, C. Ulysse, E. A. Dawi, Phys Rev. B 86 (2012) 035450.
[2] « Nonlinear plasmonics »
M. Kauranen and A. V. Zayats, Nature Photonics, 6 (2012) 737.
[3] « Optical second harmonic generation in plasmonic nanostructures: from fundamental principles to advanced applications »,
J. Butet, P.-F. Brevet, O. J.F. Martin, ACS Nano 9 (2015) 10545.
[4] « Mapping surface plasmons on a single metallic nanoparticle »,
J. Nelayah, M. Kociak, O. Stephan, F. de Abajo, M. Tencé, L. Henrard, D. Taverna, I. Pastoriza-Santos, L. Liz-Marzan, and C. Colliex, Nature Physics 3(5), 348 (2007).
« Ion-shaping of embedded gold hollow nanoshells into vertically aligned prolate morphologies » P.-E. Coulon, J. Amici, M.-C. Clochard, V. Khomenkov, C. Dufour, I. Monnet, C. Grygiel, S. Perruchas, C. Ulysse, L. Largeau & G. Rizza, Scientific Reports 6 (2016) 21116. |
Contact CEA-IRAMIS : Giancarlo Rizza (Laboratoire des Solides Irradiés – LSI, Ecole Polytechnique, Palaiseau France)
Collaboration :
- Abdallah Slablab et Martti Kuranen Department of Physics, Tampere University of Technology, Tampere, Finland
- Mathieu Kociak, Laboratoire de Physique des Solides (LPS), CNRS (UMR 8502), Université Paris-Sud, Université Paris-Saclay, Bat. 510, Orsay, France
- Christian Ulysse, Laboratoire de Photonique et Nanostructures (LPN), CNRS, Site Alcatel de Marcoussis, Route de Nozay, 91460 MARCOUSSIS, France.