Démonstration de supraconductivité de type s avec noeuds dans le Ba(FeAs1-xPx)2

Démonstration de supraconductivité de type s avec noeuds dans le Ba(FeAs1-xPx)2

Une nouvelle famille de matériaux supraconducteurs à haute température a été découverte en 2009 avec de nouveaux composés dénommés pnictures [1], à base de fer. L'étude de leur structure et de leurs propriétés, bien distinctes de celle des cuprates, autre grande famille de supraconducteurs, apporte des informations indispensables pour construire une réflexion approfondie sur les origines de la supraconductivité à haute température.

L’effet de désordre cristallin induit par l’irradiation aux électrons de haute énergie sur les propriétés de l’état supraconducteur des pnictures Fe2(As1-xPx)2 s’est révélé être un élément clé pouvant contribuer à identifier le mécanisme de couplage des électrons en paires de Cooper, à l'origine de leur supraconductivité. Les expériences menées par une équipe internationale sur la plateforme SIRIUS du LSI, montrent en effet une évolution inédite de la structure du gap supraconducteur : la suppression de « nœuds » du gap semi-conducteur, suivie de l’apparition d'états localisés [2]. Cette observation est un argument fort en faveur d'un couplage impliquant les fluctuations magnétiques de spin, et de la nature multibande de la supraconductivité des pnictures à base de fer.

Les supraconducteurs conventionnels et les cuprates, supraconducteurs à haute température critique (Tc), différent fondamentalement par la sensibilité de leur température critique (Tc) aux défauts créés par irradiation : selon la théorie d’Anderson, le couplage des électrons de conduction en paires de Cooper pour les supraconducteurs conventionnels est insensible à leur diffusion par des défauts non magnétiques. A l'opposé, la température critique des supraconducteurs au couplage « exotique », notamment les cuprates, se trouve être fortement réduite sous l’effet du dopage et/ou de l’irradiation.

Dans l'état supraconducteur, la première propriété observable est l'annulation de la résistance électrique. Une autre caractéristique est la non pénétration en volume d'un champ magnétique externe : le champ ne pénètre qu'en surface, sur une faible épaisseur, dite épaisseur de London λ. Du point de vue de la structure électronique, l'état supraconducteur se caractérise par l'ouverture d'un gap, dont les propriétés de symétrie reflètent celles des interactions responsables du couplage des électrons en paires de Cooper.

Dans le cas des supraconducteurs à base de fer (SBF), le problème est un peu plus complexe, car plusieurs bandes électroniques sont présentes au niveau du gap et plusieurs arguments sont en faveur d'un couplage des électrons impliquant des fluctuations magnétiques. A ce jour deux mécanismes, restent cependant possibles : ils sont labélisés, selon les propriétés de symétries de la structure électronique :

  • s+/s- : pour le couplage via les fluctuations magnétiques de spin, pour lequel la partie orbitale de la structure électronique présente une symétrie s, et des phases opposées entre l'origine et le centre de zone de Brillouin. Un gap de type s+/s- ne préclut pas la présence d'un nœud dans le gap supraconducteur.
  • s+/+ pour le couplage basé sur les fluctuations de magnétisme orbital. Dans ce cas l'interaction impose une symétrie s des orbitales et des phases de même signe.

Pour identifier dans les SBF le bon mécanisme de formation des paires de Cooper, plusieurs expériences explorant l’effet du dopage et de l’irradiation ont été lancées. Ce projet a été focalisé sur le composé BaFe2As2 (ou 122) : représentatif de ces composés. Le matériau initial possède une phase magnétique, de type onde de densité de spin, qui peut être supprimée par substitutions sur les sites Ba, Fe ou As, ce qui permet l'émergence de la supraconductivité. La substitution isovalente de phosphore sur les sites arsenic (BaFe2(As1-xPx)2) est la mieux contrôlée. Le diagramme de phase température – composition présente une structure en “dôme“ pour chaque type de substitution. L'effet isotopique et le couplage via les phonons restent cependant insuffisants pour obtenir une supraconductivité standard de type BCS.

Diagramme de phase des composés Ba(FeAs)2 métal antiferromagnétique. La supraconductivité est induite (phases SC) par substitution sur chaque sous réseau du baryum par du potassium, ou du fer par du cobalt. L’état supraconducteur obtenu par substitution isovalente par du phosphore sur les sites « arsenic » présente des noeuds dans le gap supraconducteur.

Concernant les propriétés de ce supraconducteur, la variation observée en fonction de la température de la longueur de pénétration London λ, à partir des mesures de susceptibilité par TDO [3], est une première indication forte de la présence de nœuds dans le gap supraconducteur, et donc en faveur d'un couplage de type s+/-.

La plateforme SIRIUS opérée par le LSI, permettant l’irradiation à basse température (20 K) par les électrons de 2.5 MeV, a été l’élément clé de ce projet. Pour des monocristaux de Ba(FeAs1-xPx)2, ce type d’irradiation produit exclusivement des défauts ponctuels non magnétiques, sans modification de la composition. En fonction de la dose d’irradiation, les évolutions de la température critique (Tc) et de la résistivité à l’état normal (T>Tc) ont été suivies [2].

L’évolution avec le désordre induit par l’irradiation, de la variation en température de la longueur de pénétration de London λ est interprétée par un changement de la structure de gap supraconducteur. On observe en particulier la suppression des nœuds dans le gap après l’irradiation à faible dose, révélée par l'évolution de la dépendance λ2(T) : linéaire pour l’échantillon vierge qui devient exponentielle pour l'échantillon irradié, dépendance caractéristique d'un état supraconducteur avec gap sur toute la surface de Fermi. À forte dose d’irradiation, la dépendance devient alors quadratique (λ2(T) ~ T2). Cette dépendance reste caractéristique d'un gap supraconducteur sur l’intégralité de la surface Fermi, mais implique la présence d'états supplémentaires dans le gap.

Les mesures de résistivité montrent l’évolution de la température critique de transition supraconductrice (panel gauche) en fonction de la dose d’irradiation par les électrons de 2.5 MeV. À droite, variation en fonction de la température réduite (T/Tc)2, de la longueur de pénétration de London λ d’un cristal de Ba(FeAs1-xPx)2 On distingue différent régimes : une dépendance linéaire pour l’échantillon non irradié, une dépendance exponentielle puis quadratique caractéristiques de la suppression des noeuds dans le gap.

Cette observation d'un changement de structure du gap supraconducteur induit par le désordre, dans un composé archétype de SBF est un phénomène inédit. Il montre que la présence de nœuds du gap est accidentelle et n’est pas imposée par la symétrie du couplage (i.e. la suppression des nœuds n'entraine pas la disparition de la supraconductivité). Le couplage de symétrie peut ainsi être exclu. Les résultats obtenus sont compatibles avec le couplage de type s+/-, avec nœuds pour les pnictures BaFe2(As1-xPx)2. Ce résultat est enfin une bonne illustration de l'originalité des expériences par irradiation d'électrons qui peuvent être conduites autour de la plateforme SIRIUS.


Références :

[1] Les pnictures sont des composés d'éléments « pnictogène » qui désigne ceux de la quinzième colonne du tableau périodique de classification des éléments chimiques : N, P, As, Sb, Bi…

Pnictogène est issu du grec πνίγειν (pnigein), signifiant asphyxier ou étouffer, priver d'air, comme le ferait une atmosphère d'azote pur sans oxygène. Le mot pnicture est ainsi à rapprocher étymologiquement des mots : pneu, apocope de pneumatique, pneumonie, pneumologue, basés sur le grec vneo, « pnéo », je respire, et πνεῦμα , « pneuma » : souffle, respiration).

[2] « Disorder-induced topological change of the superconducting gap structure in iron pnictides
Y. Mizukami, M. Konczykowski, Y. Kawamoto, S. Kurata, S. Kasahara, K. Hashimoto, V. Mishra, A. Kreisel, Y. Wang, P. J. Hirschfeld, Y. Matsuda, and T. Shibauchi. arXiv:1405.6951v1, Nature Comm. 5, 5657 (2014).

[3] La mesure de λ est déduite de la mesure de la susceptibilité magnétique, par oscillateur à diode tunnel (TDO). La mesure consiste à placer l'échantillon au cœur de la bobine d'un circuit oscillateur LC. La diode tunnel introduit dans le circuit une résistance négative permettant un grand gain et une résonance étroite en fréquence. L'échantillon est ainsi soumis au champ magnétique induit par la bobine. Toute variation de susceptibilité se traduit par une variation d'impédance L de la bobine induisant un déplacement de la fréquence de résonance de l'oscillateur.


Contact CEA-IRAMIS : Marcin Konczykowski (Laboratoire des Solides Irradiés – LSI)

Collaborations :