Le carbure de bore à 20% – B4C – est une céramique très dure, très utilisée pour les outils de découpe ou le blindage. Sa résistance aux chocs est cependant limitée, et une étude théorique menée par l'équipe « Théorie de la Science des Matériaux » (TSM) de l'IRAMIS/LSI a montré que la formation de lacunes de bore dans les chaines C-B-C de sa structure en est responsable.
Cette avancée dans la compréhension du rôle de ces défauts ponctuels a permis de concevoir in silico, c’est à dire par le calcul, un nouveau matériau où les chaines carbone-carbone sont renforcées vis-à-vis de la formation de lacunes [1], [2], et qui devrait ainsi posséder des propriétés mécaniques renforcées. L'étude théorique a produit un diagramme énergétique en fonction de la pression, qui permet de préciser les conditions de synthèse du nouveau matériau.
La maille élémentaire du carbure de bore B4C est bien connue et composée de 15 atomes : 11 atomes de B et un de C formant un icosaèdre (B11C), lequel est relié soit directement aux autres icosaèdres, soit à des chaînes C-B-C (voir Figure). Les excellentes propriétés de dureté de cette céramique peuvent être malheureusement perdues lors d’un choc dépassant sa limite plastique (dite limite d'Hugoniot élastique ou « Hugoniot elastic limit – HEL »), d'environ 17 GPa. Par une étude théorique, l'équipe TSM du LSI a montré que le point faible du matériau réside dans les lacunes de bore C – ☐ – C (☐ désignant la lacune) qui se forment préférentiellement dans les chaines C-B-C ([3], [4], [5]).
Le calcul montre en effet que sous haute pression ce type de lacune est instable par rapport à la formation d’une nouvelle liaison chimique C-C. Cette relaxation est responsable d’une réduction significative de volume locale autour du défaut. Cette formation de liaisons C-C se produit à une pression proche de celle où la perte de tenue mécanique est expérimentalement observée (~ 40 GPa).
Un scénario global peut alors être élaboré pour expliquer la perte de résistance mécanique du matériau : lorsque le matériau est choqué au-delà de sa limite d'Hugoniot, les dislocations sont dynamiques, et leur mouvement s'accompagne de la formation d’un grand nombre de lacunes, dont la relaxation (sous l'effet du même choc) conduit à une réduction globale de volume, entrainant la rupture du matériau.
Cette analyse, identifiant le mécanisme de fragilisation du B4C, a motivé l'exploration par la théorie, d'autres structures atomiques ayant pour caractéristique commune de posséder des chaines renforcées. Un exemple d'une telle structure est la formation de chaînes C-C dans chaque maille : (B11C)C-C (figure ci-contre). Dans ce nouveau matériau, les carbones de chaînes sont en configuration géométrique tétraédrique, comme dans le diamant.
Cette nouvelle phase a été caractérisée par le calcul quantique en théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT), par la méthode des ondes planes et pseudo-potentiels, avec deux types de fonctionnelles d'échange et corrélation, dans l’approximation de densité locale (LDA) ou de gradient généralisé (GGA). Le calcul montre qu'elle est énergétiquement métastable par rapport à la structure initiale du B4C. Par ailleurs, le calcul des vibrations de réseau (phonons) montre que la phase est dynamiquement stable, dans l'approximation harmonique. Enfin, le calcul de toutes les constantes élastiques du second ordre montre sa stabilité mécanique.
Les énergies de formations de lacunes de bore ou de carbone dans le nouveau matériau ont été ensuite calculées et on constate qu’à l’équilibre thermodynamique, les lacunes sont difficiles à former à pression ambiante et ne se forment pas sous pression. Du point de vue théorique, cette nouvelle phase apparait donc comme une bonne alternative pour remédier à la perte de tenue mécanique de B4C, tout en conservant des propriétés de dureté et d’élasticité comparables [1].
Afin de permettre son identification lors de synthèses, les spectres théoriques de diffusion Raman et de diffraction de rayons X de la nouvelle phase et du B4C ont été calculés. Les données expérimentales disponibles dans la littérature ne montrent pas de signatures de chaînes C-C, ce qui montre l'originalité de la proposition.
Les calculs montrent la possibilité d'une autre structure, également métastable, de type lacunaire (B11C)C☐C, où les atomes de carbone sont en géométrie sp2, analogue à celle rencontrée dans un plan de graphite ou de graphène (alors qu'ils sont en géométrie tétraédrique sp3 dans la phase (B11C)C-C). Les énergies de formation des deux structures sont très proches à température ambiante, et sont donc potentiellement en compétition. La signature de l’existence de (B11C)C☐C a été recherchée dans la littérature et son existence est supposée dans deux expériences publiées en 1981 [6], [7]. Une autre donnée expérimentale montre la formation de 25% de lacunes dans les chaînes des échantillons étudiés [8]. Comme le montre notre calcul initial, ces lacunes doivent relaxer au delà d'une pression seuil, pour former des liaisons C-C. Nous avons enfin montré par le calcul la possibilité d’une transition de phase entre (B11C)C☐C et (B11C)C-C, au-delà d'une pression seuil.
Sur la base de ces résultats, un brevet, protégeant l'invention par le calcul du matériau à chaine renforcées C-C, a été déposé en France en 2013 et étendu à l'international en 2014 [2] . En parallèle, des premières tentatives de synthèse du matériau proposé ont été réalisées.
Références :
[1] Carbon-rich icosahedral boron carbide designed from first principles,
A. Jay, N. Vast, J. Sjakste, et O. Hardouin-Duparc, Applied Physics Letters 105, 031914 (2014)
[2] Requête en délivrance de brevet d'invention, déposée en 2013 et demandée à l’extension internationale en 2014, « Carbure de bore a stabilité mécanique accrue et procédé de fabrication », par Antoine Jay, Nathalie Vast, Jelena Sjakste, et Olivier Hardouin Duparc, inventeurs.
[3] Boron carbides from first principles,
N. Vast, J. Sjakste, et E. Betranhandy, J. Phys.: Conf. Ser. 176 (2009) 012002,
[4] Mechanical properties of icosahedral boron carbide explained from first principles
R. Raucoules, N. Vast, E. Betranhandy, et J. Sjakste, Phys. Rev. B 84 (2011) 014112.
[5] Ab initio study of defective chains in icosahedral boron carbide B4C,
E. Betranhandy, N. Vast, et J. Sjakste, Solid State Sciences 14, 1683 (2012).
[6] Stoichiometric limits of carbon-rich boron carbide phases,
M. Beauvy, Journal of the Less Common Metals 90 (1983) 169.
[7] Synthèse et caractérisation de céramiques denses en carbure de bore,
M. Bougoin, F. Thevenot, J. Dubois and G. Fantozzi, J. of Less-Common Met. 114 (1985) 257.
[8] Neutron powder diffraction refinement of boron carbides. Nature of intericosahedral chains,
B. Morosin, G.H. Kwei, A.C. Lawson, T.L. Aselage et D. Emin, Journ. of alloys and compounds 226 (1995) 121.
Contacts IRAMIS-LSI, groupe TSM : Nathalie Vast, Jelena Sjakste, et Olivier Hardouin Duparc.
Ce programme de recherche a bénéficié du soutien de la DGA. |