Nanostructures induites par faisceaux d’ions :  additivité entre les dépôts d’énergie cinétique et potentielle

Nanostructures induites par faisceaux d’ions : additivité entre les dépôts d’énergie cinétique et potentielle

Élaborer de manière reproductible et bien contrôlée des nanostructures sur une surface solide, pouvant présenter des propriétés originales (détecteurs de gaz, capteur magnétique, réactivité et catalyse, etc…), demande des outils originaux et de bien comprendre les phénomènes de structuration de surface (ruptures de liaison, diffusion, ségrégation, …).

Parmi les techniques possibles, la structuration de la matière par faisceau d’ions est une technique originale au cœur de l'activité de recherche du groupe MADIR – Matériaux, Défauts et Irradiation du CIMAP. Récemment, cette équipe, en collaboration avec des équipes chinoise et autrichienne, s’est intéressée aux modifications de surface du CaF2 et à la création de plots indépendants, en jouant tant sur l’énergie cinétique que sur l’état de charge des faisceaux d’ions.

Un diagramme de phase pour la formation de plots sur la surface de CaF2 irradié avec des ions Xe a ainsi pu être établi en fonction de la perte d’énergie par excitation électronique, liée à l'énergie cinétique des ions, et de leur énergie potentielle (somme des énergies de liaisons des électrons manquants). Dans le régime intermédiaire, entre dépôts d’énergie purement cinétique ou purement potentielle, une formalisation et d’une modélisation 3D a permis de montrer, que l'additivité des deux processus explique la formation de nanostructures, sous les seuils de formation de nanostructures induits par l’un ou l’autre des mécanismes.

La nanostructuration des matériaux est l’une des applications technologiques des faisceaux d’ions les plus en vogue actuellement. En effet, au cours de leur parcours dans le matériau, les ions déposent leur énergie le long de leur trajectoire ; ce qui peut modifier durablement l'organisation de la matière en volume (création de défauts, transition de phase, mise en forme de particules, etc…) ainsi que sur sa surface (formation de cratères, plots, sillons, vagues, pliages, etc…) [1,2]. Habituellement c’est l’effet collectif des ions qui est utilisé pour la nanostructuration. Néanmoins, depuis quelques années, l’équipe du CIMAP développe grâce aux ions lourds rapides du GANIL la nano-structuration par impact individuel (création de trace latente, nano-pores, chapelet de nano-bosses régulièrement espacées, …).

Les chercheurs du CIMAP en collaboration avec les instituts de Physique Moderne de Lanzhou et de Physique Appliquée de Vienne se sont intéressés aux modifications de surface d’un isolant bien connu, le CaF2, [1,3] en jouant sur l’énergie du faisceau d’ions. Les faisceaux utilisés appartiennent à des régimes d’énergie très différents mais présentent une caractéristique commune : le dépôt d’énergie du projectile vers la matière se fait par excitations électroniques et non par collisions balistiques. Ainsi les cas extrêmes d’ions rapides (MeV-GeV) produits au GANIL à Caen et d’ions lents hautement chargés (keV) produits à l’IMP à Lanzhou ont été utilisés pour faire varier respectivement les dépôts d’énergie cinétique par excitation électronique (Se en keV/nm) et l’énergie potentielle (Ep en keV, représentant la somme des énergies de liaisons des électrons manquants).

AFM de la surface de CaF2 irradié par (a) Xe21+ à 5MeV, aucune nanostructure n’a été formé, (b) Xe22+ à 5MeV, des nanostructures sont créées

Il est bien établi qu’un seuil en Se ou en Ep, que l’on peut déterminer par des observations de la surface par microscopie à force atomique (AFM, voir images (a) et (b)), est requis pour la formation de nanostructures. La collaboration montre que, dans le régime intermédiaire et sous les seuils respectifs (dépôt d’énergie purement cinétique ou énergie potentielle exclusivement), des plots de surface peuvent être formés. Un diagramme de phase pour la formation de plots de surface dans CaF2 irradié avec des faisceaux d’ions Xe a été établi ; en fonction des deux variables : la perte d’énergie électronique et d’énergie potentielle (voir figure (c)) [4]. Ce diagramme de phase est constitué de deux régions (A et B) séparées par une droite reliant le seuil en Se de création de bosses par des ions lourds rapides (SHI) et le seuil en Ep de création par des ions lents hautement chargés (HCI). Dans la région A, aucune création de plots n’est observée, alors que dans la région B des plots sont formés à la surface de CaF2. La formation de plots dans le régime intermédiaire est attribuée à l’additivité des deux types de dépôts d’énergie (cinétique et potentielle).

Une formalisation a été proposée et confirmée par une modélisation 3D montrant que l’addition de Se et de la fraction de Ep déposée dans un cylindre, à proximité de la surface, permet d’expliquer la création de plots dans ce régime intermédiaire [4]. Le modèle utilisé usuellement pour les ions lourds rapides [5] a été étendu aux ions lents hautement chargés. Ce modèle, permet d’expliquer les modifications de surface du matériau par la mise en place d’un procédé thermique transitoire lié à une transition solide/liquide localisée dans un cylindre le long de la trajectoire de l’ion.

(c) diagramme de phases pour la formation de nanostructures sur CaF2 irradié par Xe en fonction de la perte d’énergie électronique et de l’énergie potentielle [4]. Région A, pas de formation de plot ; région B, formation de plots de surface.

[1] « Single ion induced surface nanostructures: a comparison between slow highly charged and swift heavy ions »,
F. Aumayr, S. Facsko, A. S El-Said, C. Trautmann and M. Schleberger, J. Phys. Cond. Matt. 23, 393001 (2011).

Voir aussi le fait marquant CEA-IRAMIS : « Des ions lourds pour couper et plier le graphène« .

[2] “Rational description of the ion-beam shaping mechanism”,
G. Rizza, P. E. Coulon, V. Khomenkov, C. Dufour, I. Monnet, M. Toulemonde, S. Perruchas, T. Gacoin, D. Mailly, X. Lafosse, C. Ulysse, and E. A. Dawi, Phys. Rev. B 86, 035450 (2012).

[3] “Creation of nanohillocks on CaF2 surfaces by single slow highly charged ions »,
A. S. El-Said, R. Heller, W. Meissl, R. Ritter, S. Facsko, C. Lemell, B. Solleder, I. C. Gebeshuber, G. Betz, M. Toulemonde, W. Möller, J. Burgdörfer, and F. Aumayr, Phys. Rev. Lett. 100, 237601 (2008).

[4] « Energy deposition by heavy ions: Additivity of kinetic and potential energy contributions in hillock formation on CaF2« ,
Y. Y. Wang, C. Grygiel, C. Dufour, J. R. Sun, Z. G. Wang, Y. T. Zhao, G. Q. Xiao, R. Cheng, X. M. Zhou, J. R. Ren, S. D. Liu, Y. Lei, Y. B. Sun, R. Ritter, E. Gruber, A. Cassimi, I. Monnet, S. Bouffard, F. Aumayr and M. Toulemonde, Scientific Reports 4, 5742 (2014).

[5] “Transient thermal processes in heavy ion irradiation of crystalline inorganic insulators”,
M. Toulemonde, C. Dufour, A. Meftah and E. Paumier, Nucl. Instr. Meth. B 166, 903 (2000).


Contact CEA-IRAMIS : Clara Grygiel CIMAP/MADIR.

Collaboration :