Pour réaliser de nouveaux composants ou capteurs, il est utile de savoir façonner la matière à l'échelle nanométrique, et pour ceci des procédés originaux et innovants doivent être élaborés. Les ions rapides, tels que eux produit par le GANIL, ont l'avantage de permettre un dépôt d’énergie très élevé et très bien localisé tout le long de leur passage, et en particulier au niveau de leur traversée de la surface. Lorsque les irradiations sont effectuées en incidence rasante, la superficie des modifications est fortement augmentée, avec par exemple la formation de protubérances ou de sillons de plusieurs centaines de nanomètres de longueur. De cette façon, il est même possible d’induire des modifications de surface avec des ions qui n’induisent aucun changement en incidence normale. Autre avantage, les ions permettent de façonner des surfaces hautement réfractaire, et sont par exemple le seul outil permettant de couper et plier du graphène. L'équipe du CIMAP poursuit actuellement ses recherches vers les applications de surfaces modifiées par impact ionique.
Les ions rapides déposent leur énergie de manière très localisée, le long de leur trajectoire, dans l’épaisseur de la cible. Ce dépôt d’énergie très localisé peut induire des changements topologiques à la surface de la cible. L’utilisation des irradiations en incidence rasante permet de maximiser cet effet. En incidence normale, la trace de l’ion est inscrite dans le volume de la cible. Par contre, en incidence rasante, la trace reste proche de la surface, conduisant à une plus grande surface structurée par l’ion incident. Notre équipe « MAtériaux, Défauts et IRradiations (MADIR) » du CIMAP a étudié cette géométrie particulière avec différentes cibles.
Ainsi, l'irradiation en incidence rasante (< 5°) d'une surface de titanate de strontium (SrTiO3) produit des séries de « protubérances » régulièrement espacées et alignées ; à raison d’une ligne par ion incident [1]. La longueur des lignes et la distance entre chaque bosse sont liées à l’angle d’incidence des ions. Plus l'angle est réduit, plus la longueur de la ligne et l’espacement des bosses sont importants. Cette morphologie de la trace peut être décrite grâce au modèle de la pointe thermique : lors du passage de l’ion, une part de son énergie cinétique est transmise aux électrons de la cible et entraîne une augmentation de la température électronique. Par interaction électrons / phonons l'énergie d'excitation électronique est,transférée aux atomes, ce qui augmente, localement, la température du cristal. Lorsque la température locale devient plus élevée que la température de fusion, les atomes diffusent, la structure se désordonne puis se réorganise. En suivant ce modèle, traité par un calcul 3D avec des valeurs de couplage électrons/phonons réalistes, on observe une coïncidence entre la projection sur la surface de la densité électronique le long de la trajectoire du projectile et l'emplacement des bosses individuelles : les bosses se situent au maximum de densité électronique. Des travaux sont en cours, avec l’université d’Oxford, sur l’étude de l’influence éventuelle des surfaces ainsi nano-structurées, sur le fonctionnement de cellules biologiques.
Dans un deuxième exemple, il a été montré que l’irradiation en incidence rasante d’une couche de graphène constitue la seule et unique méthode pour couper et plier le graphène. Lorsque du graphène déposé sur un substrat est irradié en incidence rasante avec des ions rapides, il est détruit d’une manière particulière [2]. Pour de petits angles d’incidence (~1°) deux rectangles sont libérés le long de la trajectoire, conduisant à un repliement en portefeuille du graphène. Pour des angles plus grands (3°-6°), plusieurs pièces dans le graphène sont coupés et pliés (chaque géométrie de pliage est spécifique à un angle d’incidence de l’ion).
Pour chaque matériau, un seuil de perte d’énergie pour la modification des surfaces existe. Ce seuil est abaissé lorsque l'irradiation est en incidence rasante plutôt qu’en incidence normale [3]. C'est ce que montre cette étude, poursuivie par l'étude sur des surfaces de SiC [4]. Dans ce cas, l'irradiation en incidence rasante conduit à la formation de sillons (un par ion incident) dont la longueur est une fonction géométrique de l’angle d’incidence ; comme la longueur des lignes de bosses dans le SrTiO3. Les mesures du travail de sortie montrent des valeurs plus élevées au niveau du sillon formé que sur la surface intacte, ce qui indique un déficit de Si sur le sillon. De plus, la profondeur de sillon est limitée à 2 Å (marche atomique). Il est donc probable que le passage de l’ion induise une sublimation du Si dans la trace. Cette déduction a par ailleurs été confirmée par le modèle décrit plus haut.
L’irradiation avec des ions rapides en incidence rasante se révèle donc comme une méthode puissante de nanostructuration des surfaces. Les structures obtenues peuvent être des lignes de bosses ou des sillons; en fonction du matériau. Les ions apparaissent également comme l’unique outil susceptible de couper et plier le graphène.
Références :
[1] » Creation of multiple nanodots by single ions » E. Akcöltekin, T. Peters, R. Mayer, A. Duvenbeck, M. Klusmann, I. Monnet, H. Lebius and M. Schleberger, Nature Nanotechnology 2, 290 (2007). |
[2] » Unzipping and folding of graphene by swift heavy ions «
S. Akcöltekin, H. Bukowska, T. Peters, O. Osmani, I. Monnet, I. Alzaher, B. Ban-d’Etat, H. Lebius and M. Schleberger, Appl. Phys. Letters 98, 103103 (2011).
Voir aussi le fait marquant CEA-IRAMIS : « Des ions lourds pour couper et plier le graphène« .
[3] « Energy threshold for the creation of nanodots on SrTiO3 by swift heavy ions »
M. Karlusic, S. Akcöltekin, O. Osmani, I. Monnet, H. Lebius, M. Jaksic and M. Schleberger, New Journal of Physics 12, 043009 (2010).
[4] » Graphitic nanostripes in silicon carbide surfaces created by swift heavy ion irradiation » O. Ochedowski, O. Osmani, M. Schade, B. Kleine Bussmann, B. Ban-d’Etat, H. Lebius and M. Schleberger, Nature Communications 5, 3913 (2014). |
Contact IRAMIS-CIMAP : Henning Lebius.
Collaboration CIMAP – M. Schleberger (Université Duisburg-Essen et CENIDE, Inst f. Exp.-Physik, 47048 Duisburg, Allemagne).