Les vésicules, simples compartiments dont la membrane isole deux milieux aqueux, sont proposées comme nano-réacteurs chimiques ou comme vecteurs pouvant transporter et délivrer à un emplacement ciblé des molécules d’intérêt, en imitation de fonctions biologiques (l'étude de l'échange entre cellules via des vésicules est l'objet du Prix Nobel de Physiologie-Médecine 2013). Constituée d'une simple membrane, une vésicule représente aussi un modèle grossier, mais le plus simple, d’une cellule biologique.
La présente étude a porté sur des vésicules encloses par une membrane composée de copolymères auto-assemblés (polymersomes), dont les propriétés de résistance mécaniques et de perméabilité sont très élevées. Ce travail de recherche, en collaboration entre une équipe du SIS2M et une de l'Université de Bordeaux-ENSBCP, publié dans ACS Nano, montre que des polymersomes faits de copolymères diblocs peuvent former des vésicules à double parois, sous l'effet des contraintes intenses subies lors d'un choc osmotique (comme celui qu'elle peuvent recevoir lors d'une injection dans un liquide riche en espèces chimiques comme le sang).
Ces effets ont été largement explorés, car la forme des vésicules est un paramètre essentiel de la bio-distribution et de l'internalisation cellulaire (endocytose), pour lesquelles les polymersomes sont d’excellents candidats à l’heure actuelle.
Les vésicules ou liposomes, structures closes séparant un domaine aqueux d’une phase continue également aqueuse grâce à une bicouche lipidique, représentent un modèle rudimentaire d’une cellule biologique. Une cellule reste cependant plus complexe, puisque sa membrane comporte en fait plusieurs types de lipides, de nombreuses protéines membranaires et est connectée à un cytosquelette interne.
Toutefois les vésicules s’avèrent également des objets que l’on cherche à maîtriser pour transporter des molécules d’intérêt comme des médicaments et les relâcher de manière contrôlée. Elles peuvent aussi devenir des nano-réacteurs où l’on cherche à reproduire des conditions de confinement pour des réactions chimiques. Si les bicouches lipidiques sont fragiles et donc difficilement utilisables, des vésicules faites d’une membrane polymère (polymersomes) peuvent être manipulée plus aisément et dotées de fonctions chimiques diverses grâce à la richesse des polymères utilisables.
Une complication, qui peut-être aussi un facteur profitable, est que les vésicules changent de forme lors de leur transfert d’un milieu à l’autre du fait de la variation de pression osmotique (pression due à la concentration de soluté). Les membranes polymères, bien que moins perméables à l’eau que leurs homologues lipidiques, réagissent à ces situations de déséquilibre osmotique en laissant passer de l’eau (rejet d'eau dans une solution en excès de soluté, absorption d'eau pour une concentration interne supérieure à celle de l'environnement). Dans le cas d'un rejet d'eau, quelle forme adopte un polymersome nanométrique (typiquement de 100 nm de diamètre) lorsqu’il présente trop de surface par rapport au volume enclos pour demeurer sphérique ?
La réponse dépend de la taille du polymersome et de la nature de sa membrane.
Schéma de la transformation par déflation osmotique d'une vésicule initialement sphérique pour former une vésicule bi-lamellaire « imbriquée ». La forme obtenue est fonction de la réduction du volume de la vésicule. Les couleurs (vert clair et vert foncé) représentent respectivement, les faces interne et externe de la vésicule initiale. Toutes les formes préservent une symétrie de rotation selon l'axe verticalPour des membranes faites d’une bicouche de copolymère comme avec le PDMS-g-PEO un déséquilibre osmotique hypertonique permet à la vésicule d’atteindre un état original de vésicules imbriquées ou ‘‘nested vesicles’’ qui résulte d’une fusion membranaire lors du repliement de la paroi lorsque le volume interne se réduit. Ces vésicules à paroi double sont mises en évidence par microscopie électronique sous basse température (cryoTEM) mais aussi par diffusion de neutrons. L’alliance des deux techniques permet d’éliminer les artefacts d’observation et d’atteindre une très bonne statistique sur les mesures d’épaisseur de membrane lors des changements de forme. On observe que pour les polymersomes de trop petite taille (rayon inférieur à 23 nm), le repliement complet nécessite une énergie de courbure trop importante et les vésicules imbriquées ne se forment pas.
Il est aussi possible de former des polymersomes avec des polymères triblocs et la membrane est alors formée d’une monocouche comme pour le polymère PEO-b-PDMS-b-PEO. C’est alors la conformation du polymère qui empêche la formation de vésicules à double paroi car la fusion membranaire exigerait alors de perdre trop d’entropie conformationelle (formation d’épingles à cheveux) ou d’énergie interfaciale.
Ces observations ouvrent ainsi la voie à la manipulation de la forme de polymersomes, et à la maitrise de la formation de conformation à paroi double aux propriétés potentiellement très intéressantes pour de futures applications : nano-réacteur chimique ou transport/vectorisation de molécules.
La découverte de ces voies de déformation de polymersomes ont été obtenus dans le cadre d'une collaboration entre le LIONS de l'IRAMIS/SIS2M, le Laboratoire Léon Brillouin, le LCPO à l’ENSBCP de Bordeaux et l’Institut Charles Sadron à Strasbourg. Ces résultats sont publiés dans ACS Nano.[1]
Référence :
[1] Polymersome shape transformation at the nanoscale
R. Salva, J.-F. Le Meins, O. Sandre, A. Brûlet, M. Schmutz, P. Guenoun and S. Lecommandoux, ACS Nano, 7 (10) (2013) 9298.
Contact CEA : Patrick Guenoun, SIS2M/LIONS.