Un matériau transparent laisse passer la lumière. Mais si la lumière devient trop intense (faisceau laser) le solide peut être localement détruit par claquage optique, phénomène qui résulte d'un violent échange d'énergie. Les détails du mécanisme sont complexes, mais méritent d'être étudiés, pour maitriser cet effet indésirable (optique laser), mais aussi aujourd'hui pour façonner les matériaux optiques (micro usinage du verre, composants SiO2 et gravures de fibres optiques) ou pour des applications médicales (chirurgie de la cornée). Une expérience pompe-sonde originale, réalisée par les chercheurs de l'IRAMIS, permet de détailler les mécanismes du processus selon la nature du matériau irradié.
Le claquage optique est un effet souvent indésirable (détérioration des optiques laser par exemple), mais que l'on peut aussi utiliser judicieusement pour façonner des matériaux en enlevant de façon contrôlée de la matière : : les impulsions courtes (< 1 ps), capables d’éroder tout type de matériau, sont ainsi de plus en plus utilisées pour des applications industrielles. La lumière (onde électromagnétique) permet d'exciter les électrons, le claquage optique est associé à un déplacement d'atomes. Le mécanisme sous-jacent est donc complexe et implique des phénomènes de relaxation rapide de l'excitation électronique initiale. Il est ainsi fonction de la structure électronique des matériaux et du couplage avec le faisceau laser intense. Notre étude éclaire d'un jour nouveau ce phénomène en précisant en particulier le rôle des avalanches électroniques dans le processus, et en apportant un meilleur critère de seuil de claquage.
Un matériau est transparent si le gap énergétique entre le niveau de valence et le niveau de conduction est plus élevé que l'énergie d'un seul photon. En augmentant l'intensité lumineuse, l'absorption simultanée de plusieurs photons (typiquement 3 à 5) devient possible et permet de porter des électrons de la bande de valence à la bande de conduction. Ces électrons peuvent ensuite absorber encore d'autres photons (chauffage des électrons) de telle façon que leur énergie devienne suffisante pour exciter par désexcitation un deuxième électron de la bande de valence (ionisation par impact). La répétition du processus conduit à une cascade d’ionisation pendant l'impulsion laser, c'est le phénomène d'avalanche électronique, similaire à celui qui se produit lors du claquage électronique en champ statique.
Gauche : Excitation mutiphotonique des électrons de la bande de valence (BV) vers la bande de conduction (BC) et chauffage des électrons. Centre : Désexcitation des électrons chauds et formation d'un exciton (paire électron-trou : e–-h+) localisé (états électroniques locaux dans le gap). Droite, processus d'avalanche : désexcitation des électrons chauds vers le bas de la zone de conduction et excitation simultanée d'électrons de la bande de valence.
Après excitation électronique, comment relaxe le système ? Outre le phénomène d'avalanche électronique évoqué ci-dessus, une désexcitation non radiative des électrons peut être observée dans certains matériaux, pour former des paires électrons-trous localisées (ou excitons) est observée dans certains matériaux. Enfin les collisions électrons-phonons entrainent une élévation de température globale du matériau, qui peut excéder la température de fusion. Il faut ainsi explorer le rôle possible de chacun de ces processus dans le phénomène de claquage optique pendant le temps très rapide de l'impulsion laser (typiquement 40 femtosecondes (fs) : 40 10-15 s).
Pour contourner cette difficulté, une expérience de type pompe – sonde a été réalisée sur le laser LUCA de l’IRAMIS. Une première impulsion de pompe (400 nm) excite par un processus multiphotonique les électrons de la bande de valence vers la bande de conduction. Une seconde impulsion pompe, quelques centaines de femtosecondes plus tard, « chauffe » les électrons préalablement excités dans la bande de conduction : une augmentation de la densité d’électrons alors excités sera la signature d'un phénomène d'avalanche.
Pour sonder l’évolution du solide, on construit une figure d’interférences à l’aide d'une des impulsions sonde et d'une impulsion de référence. L'état d'interférence permet de mesurer les variations de l’indice du solide Δn(ω) que l'on sait relier à la densité d'excitation électronique. La forme des franges révèle ainsi les variations locales d'indice Δn(ω), et donc la densité locale d'électrons excités. En comparant l'effet d'une impulsion pompe unique ou des deux combinées, et en modifiant leurs intensités et/ou le délai entre les deux impulsions, il devient possible de découpler les phénomènes et de préciser le rôle des différents mécanismes et l’influence des différents paramètres : durée d’impulsion, longueur d’onde, nature du matériau…
Dispositif expérimental : excitation par deux faisceaux (pompe-sonde). L'éclairement du premier faisceau est ajusté pour être juste en dessous du seuil de claquage. Le second faisceau chauffe les électrons excités. Figure d'interférence observée en sortie du monochromateur. La forme des franges reflète les variations locales d'indice que l'on peut relier à la densité d'électrons excités dans la bande de valence.
Notre étude a porté sur la comparaison entre plusieurs matériaux dont l'alumine (Al2O3) et la silice (Si02), de structures électroniques bien distinctes. L'intensité de la première impulsion pompe (400 nm, 20 Hz, 50 fs, < 50 µJ) est choisie pour être au seuil d'endommagement du système. La seconde impulsion sonde (800 nm, de durée 50 fs à 10 ps) est simplement très légèrement décalée dans le temps (de 0 à 2000 fs), et assure le chauffage des électrons.
Dans le cas de l'alumine, qui présente un gap de 8.5 eV, l'impulsion pompe primaire produit une densité d'excitation, persistant sur plusieurs centaines de femtosecondes : les électrons excités restent dans la bande de conduction. De façon surprenante, l'ajout de la seconde impulsion pompe ne conduit pas à des phénomènes d'avalanche, alors que l'intensité laser totale est bien au delà du seuil de claquage. La densité d’excitation n’est donc pas le bon paramètre pour déterminer le seuil d’endommagement, plutôt lié à la quantité d’énergie transférée au solide pendant l’impulsion. Cette énergie est donnée par la convolution de la densité de porteurs excités et de leur énergie. On observe ainsi que le claquage est obtenu pour une énergie supérieure à celle de sublimation (ou, de façon équivalente, permettant d'atteindre une température locale supérieure à celle de fusion du matériau : T > Tfusion).
La silice présente une situation plus complexe : les électrons excités par la première impulsion conduisent à la formation rapide de paires électrons-trous piégées dans la bande interdite (phénomène associé à une variation d’indice positive et interdisant le chauffage ultérieur des électrons). Si elle intervient avant ce piégeage, la seconde impulsion de pompe peut chauffer les électrons portés dans la bande de conduction et, contrastant avec le cas de l'alumine, on observe une augmentation de la densité d’excitation par effet d’avalanche. Des phénomènes similaires sont observés pour les cristaux ioniques NaCl et KBr.
En conclusion, l'examen des excitations au seuil d'endommagement, ne montre pas de lien univoque entre claquage optique et avalanches : le claquage peut se produire sans avalanche (Al2O3, MgO) ou avec avalanche (SiO2, NaCl et KBr). L'ensemble des mesures fait aussi apparaitre que la densité d'excitation n'est pas le bon critère pour définir le seuil d'endommagement ; le bon critère porte plutôt sur l'énergie totale absorbée.
Cette étude résolue en temps apporte ainsi une meilleure compréhension des phénomènes intervenant dans le claquage optique, connaissance nécessaire pour améliorer la sécurité des optiques lasers, ou pouvant apporter une meilleure maitrise de l'ablation par faisceau laser.
Référence :
Mechanisms of femtosecond laser ablation of dielectrics revealed by double pump–probe experiment
A. Mouskeftaras, S. Guizard, N. Fedorov, S. Klimentov*, Appl. Phys. A 110 (2013) 709.
*General Physics Institute, Russian Academy of Sciences, Moscow, Russia.
Contact CEA : S. Guizard, IRAMIS/LSI.